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33e dimanche ordinaire (C) 2007

 

Le jugement dernier

Je suis encore tout rempli de la peinture qui couvre tout le mur de fond dans la salle de la prison de Sarreguemines où j’ai dit la messe ce samedi matin. Elle a été exécutée, cette peinture, en 1987 par un détenu, un vrai artiste. On y voit, partant du centre vers le haut le Christ en croix. Au-dessus de la croix, le Père qui accueille son Fils. Et entre le Père et le Fils, le Saint-Esprit. Le Dieu-Trinité, tel que nous le proclamons dans le signe de la croix ou dans les finales des prières liturgiques : par Jésus-Christ, ton Fils, qui vit et règne avec toi, Père, dans l’unité du Saint-Esprit, maintenant et pour les siècles des siècles. Amen. Et entourant le Trinité, la foule immense de l’humanité comme attirée dans la gloire du ciel. On y remarque, en bas, des prêtres et des évêques, à gauche et à droite, des femmes et des hommes de toutes races et conditions, portant les uns des palmes à la main, d’autres avec leur instrument de torture, telle sainte Catherine, avec la roue du supplice qu’elle a enduré. La scène du Jugement dernier, que les peintres ont tant représentée et aussi les sculpteurs des cathédrales et églises du moyen âge. Je pense au portail royal de Chartres où l’on voit le Christ de majesté, en sa mandorle de gloire. Entouré des quatre vivants (l’aigle, l’ange, le lion et le taureau), il bénit le monde apaisé. Comme s’il appelait la création entière à entrer dans le bonheur et la vie auprès de lui. Vous voyez la scène ? Essayez de vous la représenter. Fermez légèrement vos yeux et contemplez, tandis que je relis quelques versets de la première lecture : “Voici que vient le Jour du Seigneur, brûlant comme une fournaise. Tous les arrogants, tous ceux qui commettent le mal, seront de la paille... Mais pour ceux qui craignent le nom du Seigneur, le soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement”

Je reviens au jugement dernier de la prison de Sarreguemines. Il ne vaut peut-être pas celui de Michel-Ange, mais il est merveilleux et surtout il raconte des choses très justes. Celle-ci en particulier, que le Christ que l’on voit au ciel cloué sur la croix n’est pas mort pour entrer seul dans la gloire. “Il est mort et ressuscité pour nous”, dit saint Paul. On peut encore penser à la parole Jésus que rapporte saint Jean : “Quand je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi”. Dans la plupart des scènes de Jugement dernier, on voit saint Michel tenant en main la balance du bien et du mal; il pèse les bons et les méchants à leur poids, et tandis qu’à sa droite les bons s’en vont, paisibles, vers la Jérusalem d’en haut, à gauche, les méchants, horrifiés, s’apprêtent à sombrer dans les tourments de l’en-bas. A Sarreguemines rien de tel - le peintre l’a-t-il fait exprès ou pas ? - on voit seulement l’humanité, rayonnant de lumière, s’approchant de Dieu. Où sont-ils, les damnés ? Mais ne faut-il pas espérer pour tous ? se demandait, avant de mourir, Hans Urs von Balthasar, que toute l’Eglise, et notre pape Benoît en tête, reconnaît aujourd'hui comme un grand théologien. Et le pauvre Curé d’Ars qui n’était pas un grand théologien, mais un immense saint, disait que “le bon Dieu est meilleur que le diable n’est méchant”. Le Christ en devenant l’un de nous ne s’est-il pas rendu solidaire, non pas de notre péché, mais de l’humanité pécheresse ? En ressuscitant, comment pourrait-il ne pas nous entraîner avec lui auprès du Père ? Benoît XVI écrit dans son tout récent livre Jésus de Nazareth que le Christ, au baptême par Jean, est descendu dans l’eau en étant solidaire de toute l’humanité pécheresse, ou encore en nous portant sur ses épaules, comme s’il anticipait par là ce qu’il allait achever sur la croix. Il est pour ainsi dire, remarque notre pape, et l’image est belle, le vrai Jonas qui a dit aux matelots : “Prenez-moi et jetez-moi dans la mer.” Alors tous seraient sauvés ? dites-vous, mais que faites-vous des textes de la Bible, et du Nouveau Testament en particulier, qui parlent de la perdition éternelle ? J’en fais exactement ce qu’en ont fait les saints. Thérèse d’Avila, par exemple : “Qui donc, s’écrie-t-elle, pourrait souffrir la vue d’une âme condamnée pour l’éternité ? (Oeuvres complètes, Seuil, p. 347). Elle connaissait les textes de condamnation de l’Ecriture. Elle ne les a pas pris au pied de la lettre, ni comme un reportage anticipé de ce qui sera un jour, plutôt comme une protestation à ce que cela ne soit et un appel à ce que j’accueille le salut que Dieu m’offre maintenant. Un peu comme on apprend aux enfants à ne pas toucher au feu : “Attention, si tu touches, tu te brûles!” Pareillement Thérèse de Lisieux. Dans un jeu scénique qu’elle avait écrit pour édifier sa communauté à l’approche de Noël, elle fait intervenir plusieurs anges, celui de l’Enfant Jésus, celui de la Sainte Face et celui du jugement dernier. Après les menaces de ce dernier, l’ange de la Sainte Face prend la parole et demande à l’Enfant Jésus la miséricorde promise pour le pécheur : sa conversion n’est-elle pas pour Dieu une joie plus grande que les quatre-vingt-dix-neuf qui n’ont pas besoin de pénitence ? L’Enfant lui répond : “Je veux exaucer ta prière, toute âme obtiendra son pardon”. Le Père Durrwell, un Père Rédemptoriste qui a enseigné au grand séminaire de Metz et qui avait toute la confiance de notre évêque écrit : “Un homme peut-il se perdre, si un autre homme, ancré en Dieu, est lié à lui ? Pour se perdre, il faudrait qu’il s’opposât si fort à l’amour qu’il ne soit plus possible de rester attaché à lui. Mais le refus d’aimer sera-t-il jamais plus fort que la charité illimitée de l’Esprit ?” (dans L’Esprit Saint de Dieu, p. 96).

Me voici au second point que je voudrais vous soumettre : Si le Christ est solidaire de l’humanité dans son passage de ce monde à son Père, il l’est pareillement de ceux qui partagent avec lui la divinité, le Père et l’Esprit Saint. Nous voici au coeur du mystère de la Trinité. Ici, je renvoie aux croix de nos croix de village; j’en ai rencontré plusieurs - à Nousseviller-Saint-Nabor, à Rouhling, à Petit-Réderching, à Etting - qu’on appelle précisément croix de la Trinité - où l’on voit le Père trônant tout en haut, tenant parfois son Fils par les bras, et entre lui et le Fils, le Saint Esprit. Le premier rôle dans le drame de la croix revient au Père. Non seulement “Il n’a pas, dit saint Paul, épargné son propre Fils” (Rom. 8, 32), il l’a livré aux mains de ses ennemis : “Abba, non pas ma volonté, dit le Christ, mais la tienne.” (Mc 14, 36), comme Judas l’a livré, comme Pilate et les chefs juifs. Non pas qu’il fût complice du meurtre au même titre que ces derniers. Au contraire, il était avec lui dans le vide, le néant de la mort, et l’a engendré. “Vous l’avez tué, dit Pierre, dans le discours de la Pentecôte, Dieu l’a ressuscité” (Ac. 2, 23), ce que Durrwell traduit : “les hommes tuent, le Père engendre” (dans La mort du Fils, p.48). Mais rien ne se fait dans la mort du Christ sans la puissance divine. C’est elle, cette puissance, qui n’est rien d’autre que l’Esprit, qui féconde le sein de Marie. “La puissance du Très-haut te prendra sous son ombre (Lc 1,35 ), dit l’ange Gabriel à Marie, lors de l’annonciation. La même puissance l’arrache aux ténèbres et à la défaite apparente de la mort.

 

 

33e dimanche ordinaire (C) 2010

 

Jésus a passé la grande partie de sa vie à Nazareth, jusque vers trente ans, puis quand le moment fut venu, après le baptême par Jean et la manifestation à cette occasion du Père et de l’Esprit Saint dans le ciel qui s’ouvrit, après aussi la retraite de quarante jours dans le désert, il sillonna la Galilée pendant près de trois ans, s’arrêtant dans les villes et villages pour annoncer ce qui lui tenait à cœur, le royaume de son Père. On le voit beaucoup à Capharnaüm, la patrie de Pierre, et partout sur les bords du lac de Galilée, qu’il sillonne en tous sens, avec le souci premier d’appeler et de former des compagnons, les apôtres, qui poursuivraient son travail quand lui ne serait plus là. Et puis il se met en route vers Jérusalem, l’ultime étape de son chemin - cours de laquelle il prépare ses intimes à son départ qui ne saurait tarder. On le voit au temple qu’il ne quitte que la nuit pour rejoindre le mont des Oliviers . Dès l’aurore, écrit Luc, tout le peuple venait cers lui dans le temple pour l’écouter. » (21, 37).

Là au temple, le second temple, puisque le premier avait été détruit en 586 avant Jésus-christ lors de l’invasion de la Palestine par Nabuchodonosor, puis reconstruit au retour de l’exil du peuple juif de 520 à 515 avant Jésus-christ. C’est de ce temple, agrandi et restauré sous Hérode le Grand, qu’il est question dans l’Évangile que nous avons entendu et dont certains disciples parlaient avec admiration devant Jésus, tant il était beau. Jésus s’adresse à eux dans son dernier discours: « Ce temple sera bientôt détruit, leur dit-il, il n’en restera pas pierre sur pierre » . Et en écho les auditeurs lui demandent : quand cela se fera-t-il et quels signes donnes-tu pour attester la vérité de tes dires ? Nous aussi on poserait, je crois, les mêmes questions. Jésus ne répond pas aux curieux, ça n’a aucune importance de savoir quand et comment. Il veut leur faire comprendre que le vrai temple, c’est lui et que désormais les vrais adorateurs n’adoreront plus ni ici ni ailleurs, dans aucune église du monde; ils adoreront en esprit et en vérité? Quand Jésus parle en l’an trente-trois environ, le temple était encore là, mais Luc qui écrit l’Évangile quelque quarante-cinq ans plus tard sait ce qu’il en est advenu; il a été détruit par ordre de l’empereur de Rome Titus , il en voit les ruines; il ne reste que ce que l’on peut encore voir aujourd’hui, le mur des Lamentations. A sa place a été élevé après la conquête de la Palestine par les Musulmans le Dôme du Rocher, qu’on appelle aussi la Mosquée d’Omar, couvert de feuilles d’or et que l’on voit toujours rutilant de lumière sous le soleil. « C’est par votre persévérance, leur dit Jésus, que vous obtiendrez la vie. Autrement dit, : veillez et priez, prenez garde, car c’est maintenant l’heure décisive de s’engager à sa suite - et c’est, me semble-t-il, ce que nous cherchons tous en ce moment même. Car ce n’est pas encore la fin et ça l’est déjà d’une certaine façon. Alors ne vous laissez pas égarer par de faux prophètes. Peu importe l’état de notre terre, malgré les canicules qui nous inquiètent de plus en plus, malgré les tempêtes dévastatrices malgré le réveil des volcans ou les séismes que provoquent les mouvements des plaques tectoniques, il n’est pas sûr que les trompettes de l’Apocalypse sonnent demain le requiem de l’humanité. Ne vous effrayez pas, dit encore le Christ, car tous ces signes - bien sûr il faut tout faire pour ne pas entraîner par notre faute des catastrophes qui pourraient nous être fatales - tous ces signes laissent entrevoir une fin qui aussi promesse de victoire et de libération.

Je pense aux moines de Tibhirine (beaucoup ont vu le merveilleux film qui a été tiré de leur drame), ils ont vécu à leur façon la fin du monde. Souvenez-vous, l’attaque des terroristes la veille de Noël 1993, l’arrivée soudaine des hommes armés qui réunissent tous de force à l’hôtellerie. « Nous ne savions trop que penser, témoigne l’un d’eux, frère Jean-Pierre. Ou plutôt, sans se l’avouer, chacun pensait : c’est maintenant notre tour. » Pour eux la fin semblait imminente. Après de longs échanges, les terroristes réclament une aide matérielle, des médicaments et le secours du médecin. « Vous n’avez pas le choix », répète leur chef. - Si, reprit à chaque fois le prieur Christian de Chergé, nous avons le choix. Il laissait entendre qu’ils faisaient par avance le don de leur vie. Comme le Christ dans l’Évangile : personne ne prend ma vie, je la donne, nous aussi sommes condamnés d’une certaine façon, sauf - et cela est essentiel - si nous faisons d’avance de notre vie une offrande à Dieu.

Et il y a ceci que j’ai trouvé ces jours derniers en m’intéressant au Padre Pio. Vous connaissez, je pense au moins de nom ce Père capucin mort en 1968, à l’âge de quatre-vingts ans. Ordonné prêtre en 1910, il priait inconnu des hommes dans un couvent perdu de l’Italie du sud. Puis dès avant la Guerre des foules innombrables vers lui et des milliers de personnes ont retrouvé l’espérance. Aujourd’hui encore, plus de quarante ans après sa mort, on se presse à San Giovanni Rotondo où il vivait. Pourquoi ? Tel est le mystère du Padre, celui dont les mains, les pieds, la poitrine portaient les plaies du Christ et saignaient. Celui surtout en qui tous ceux qui l’ont approché reconnaissent une âme de lumière. « Le plus bel acte de foi, écrivit-il à l’un de ses nombreux fils spirituels, jaillit sur nos lèvres dans la nuit, dans l’immolation, dans la souffrance, dans l’effort suprême et inflexible vers le bien; il déchire comme un éclair les ténèbres de ton âme et te porte à travers la tempête jusqu’au cœur de Dieu. » Un éclair dans les ténèbres de ton âme, la tempête en toi. Ne sommes-nous pas avec un tel vocabulaire dans l’expérience de fin des temps ?

Le monde est en feu, disait Edith Stein à sa communauté du Carmel, le 14 septembre 1939 - c’était le début de la dernière Guerre mondiale, quand les troupes allemandes ont envahi la Pologne et qu’elle pressentait les horreurs à venir pour le monde et en particulier pour son peuple. N’était-ce pas pour elle une vision de fin de monde ? Et quand la Gestapo est venue l’arrêter avec sa sœur, elle a dit : « Viens, Rosa, allons pour notre peuple. » Des mots qui rejoignent étonnement ceux du prieur de Tibhirine face au chef terroriste.

En vérité, la mort ne signe-t-elle pas pour chacun de nous la fin du monde ? Mais le vieux monde n’est-il pas déjà écroulé et le nouveau déjà là avec la mort et la résurrection du Christ. Il vaut la peine ici de relire Matthieu 27, 51 à 53 : « Alors le rideau suspendu dans le temple se déchira depuis le haut jusqu’en bas. La terre trembla et les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent et de nombreux membres du peuple de Dieu qui étaient morts revinrent à la vie. Ils sortirent des tombeaux et après la résurrection de Jésus entrèrent dans la ville sainte où beaucoup de personnes les virent. »

Le pain de vie que nous mangerons tout à l’heure n’est-ce pas un morceau de ce monde nouveau qui nous permet d’y entrer tout en continuant de vivre encore provisoirement sur terre ?

33e dimanche ordinaire (C), le 14. XI.2004

“Voici que vient le jour du Seigneur brûlant comme une fournaise”. Ces mots que nous avons entendus en première lecture sont tirés du prophète Malachie. Ils nous introduisent en plein évangile où il est question de fin du monde ou de parousie. Comme pour nous rappeler notre destinée au moment où s’achève l’année liturgique et que s’annonce une nouvelle année avec le temps de l’avent et la marche sur Noël. C’est l’occasion de nous y arrêter, de les méditer, non pas pour nous faire peur, mais pour nous fortifier dans l’attente du Seigneur et vivre dans l’espérance.

La conviction de fond qui inspire ces textes semble être la suivante: de même que chacun de nous doit traverser la mort pour entrer dans la vraie vie, ainsi le monde dans son ensemble, l’univers, doit passer par un ébranlement semblable pour déboucher sur un monde nouveau? Notre traversée de la mort, nous la connaissons - la plupart d’entre nous avons déjà entouré un mourant, même les enfants, n’est-ce pas? -, nous avons perçu le terrible ébranlement du corps, la maladie, l’agonie, puis le silence du corps qui s’abandonne à la mort pour traverser ce que nos yeux ne peuvent plus voir, le fleuve, et atteindre sur l’autre rive la nouvelle existence de l’au-delà. Ainsi l’histoire et le monde dans son ensemble, le cosmos, est-il appelé à ne pas poursuivre indéfiniment la course que nous lui connaissons: il passera lui aussi par une redoutable épreuve, par un ébranlement en profondeur, par une sorte de mort, avant de déboucher sur un monde nouveau. Il faut que le vieux monde, le nôtre tel que nous le connaissons, avec ses misères, mais que nous estimons aussi et aimons malgré tout disparaisse et laisse place à un monde nouveau, ou pour prendre une image plus biblique, que la Jérusalem d’en bas qui compte tant pour les Palestiniens - Arafat qui repose désormais à Ramallah est étendu sur de la terre prise à Jérusalem -, il faut que cette Jérusalem d’en bas cède le pas à la Jérusalem d’en haut.

Or cet ébranlement cosmique de fin des temps, de fin de monde, est vu dans l’évangile que nos avons entendu tout à l’heure à travers un ébranlement historique, la ruine de Jérusalem et du temple, qui s’est produite en l’an 70 et que Luc et les autres auteurs des évangiles ont connue et vécue, puisqu’ils ont écrit leurs textes bien après cette date. “Comme Jésus s’en allait hors du temple, un de ses disciples lui disait: Maître, regarde, quelles pierres! quelle construction!” C’était une merveille, ce temple construit par Salomon, la fierté des fils d’Israël. “Eh bien, dit Jésus, il n’en restera pas pierre sur pierre.”Jésus voyait dans cet événement considérable comme un signe avant-coureur de la fin des temps. Comme si la destruction de Jérusalem et du temple avait pour Jésus et ses disciples un sens plus profond, comme si elle annonçait la fin de notre monde et l’avènement d’un monde nouveau. Alors viennent des images terribles comme celles qui peuvent s’éveiller en nous quand il est question aujourd’hui de manque d’oxygène et que toute notre terre allait être asphyxiée ou de réchauffement de la planète., et angoissantes comme des images de cauchemar : il y aura de grands tremblements de terre, des épidémies de peste et de famine, la guerre; le soleil et la lune s’obscurciront... Tout cela sont des signes évocateurs qu’il ne s’agit pas de prendre au pied de la lettre, car ce qui adviendra sera en réalité indescriptible, puisqu’il s’agit de la fin du monde présent et du surgissement de quelque chose d’absolument nouveau dont nous ne pouvons pas nous faire de représentation à partir de notre expérience présente, nécessairement bornée à ce que nous connaissons du vieux monde que nous habitons. Ces images n’entendent pas non plus être une description scientifique d’une quelconque implosion de l’univers ou d’un big-bang à l’envers. Il s’agit à travers ces images fortes d’évoquer la mort de ce qui est ancien et le surgissement en quelque sorte printanier d’un monde nouveau.

Comme le mystère pascal lui-même, cet événement de fin de monde a une double face: une face douloureuse, redoutable, littéralement effrayante, l’aspect de mort du mystère pascal, la passion et la crucifixion du Christ; et une face lumineuse, pleine d’espérance et libératrice, c’est l’aspect de résurrection du mystère pascal, la victoire sur la mort, le renouvellement de toutes choses au matin de Pâques. “Vous serez livrés même par vos parents, oui, par vos frères, votre famille, vos amis, et ils vous feront mettre à mort. Vous serez détestés de tous à cause de mon nom. Mais sachez que pas un cheveu de votre tête ne sera perdu... Ne vous souciez pas de votre défense... C’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie.” Je terminerai avec ces mots, je les aime et les répète : “c’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie.” Quelles que soient les épreuves par lesquelles vous aurez à passer, tenez bon et laissez-vous porter par l’espérance et le désir de la rencontre plénière avec Dieu qui nous accompagne sur notre route et nous porte. Pas de crispation donc ni d’héroïsme rigide, mais une douce confiance qui se nourrit de la présence du Christ à nos côtés.

Amen

 

 

Christ-Roi 1989

 

Je me trouvais dans une petite église dans le calme et le silence, cherchant à me recueillir en moi dans l’invisible présence de Dieu et j’étais seul. Entre doucement un jeune couple, avec un petit garçon. Ils prennent place dans un banc, dans le silence; le petit garçon se tait étonnement., jusqu’au moment où, ayant fini d’observer, il risque une question ; « C’est quoi ça? » Cela qu’il désigne, c’est la petite lampe rouge, celle qui dit que Jésus est là et qui invite à penser à lui, même si on est absent ou ailleurs avec sa pensée; elle dit aussi, cette petite lumière, qu’on aime bien Jésus et qu’il est avec nous. Le papa, je l’entends, explique cela, tout doucement à son petit garçon.

Question suivante, toujours à voix très basse, bien naturelle : « Où il est Jésus , » Le papa explique encore qu’il est là, dans le tabernacle, la petite armoire, comme une minuscule maisonnette - il lui montre l’emplacement, au-dessus de l’autel… L’enfant regarde bien. … Comment Jésus peut-il y habiter , se demande-t-il, c‘est trop petit. Le papa et la maman tentent une réponse. Pas évident. Il est si petit, Jésus, et si grand à la fois, mais il est là, il est Dieu lui-même.

Nouveau silence. L’enfant est tout contre ses parents et moi j’ai les yeux posés, ils sont devant moi dans la toute petite église. Leur attitude toute calme, de sérénité, de proximité engendre le calme et la sérénité chez l’enfant. Il doit en être tout imprégné; c’est l’âge de la mobilité, mais aussi de la contemplation. Il doit avoir quatre ans ou cinq au plus. Il a aussi l’âge des questions, des vraies questions, celles qui comptent dans la vie et que les adultes oublient parfois.

Arrive la question suivante, elle ne brise pas vraiment le silence, elle le prolonge : « Pourquoi il ne dit rien, Jésus ? » Quelques instants passent, car la question n’est pas facile, les parents réfléchissent. « Tu sais, mon petit, dit le père, il parle; il parle dans le cœur, en silence. » On ne pouvait mieux dire. Je pensais au Curé d’Ars : « On n’a pas besoin de tant parler pour bien prier, aimait-il dire. On sait que le Bon Dieu est là, dans le tabernacle, on lui ouvre son cœur, on se plaît en sa sainte présence. C’est la meilleure prière celle-là. » Il disait encore : « Prier, c’est diriger droit au cœur de Dieu le regard de son âme, et là, sans mot dire… » La prière, c’est aussi parler avec Dieu, lui dire ce qu’on a sur le cœur, non point tant pour le faire connaître à Dieu, il sait, lui, ce dont nous avons besoin et ce que nous avons sur le cœur, avant même que nous ne le lui disions; mais nous avons besoin de dire pour nous préciser à nous-mêmes ce qui est enfoui au fond de nous, pour clarifier ce qui est caché, pour que devienne conscient ce qui est inconscient. Saint Augustin le dit dans son commentaire du Notre Père.

Le papa et la maman se taisent, ils cherchent leurs mots.. Et finalement des bouts de réponse viennent, balbutiés, incertains ils discutent un peu de tout ce que je viens d’évoquer à ma façon et qu’il est si difficile de dire. Et puis le papa conclut : « Il ne dit rien, Dieu, mais je me sens bien avec lui. »

Le petit garçon semble être arrivé au bout de ses questions. Maintenant il va se taire. Peut-être qu’il a senti les limites de ses parents et qu’il ne veut pas aller au-delà, parce que la réponse finale du papa l’a rassuré.

Mais puisqu’il se tait, il lui faut à présent bouger. Il se lève; ses parents, dociles, se lèvent aussi; il prend la main du papa et lui fait faire les quelques pas qui les séparent de la petite lampe rouge, et du tabernacle; la maman reprend sa place dans le banc. Arrivé là, l’enfant observe, regarde, le père le laisse observer - il demeure immobile, le père, et tranquille. L’enfant revient vers le père.

Et là, dit l'enfant. Il montra la grande croix peinte sur le mur, avec Marie et Jean, le disciple bien-aimé, debout, près de lui. Le papa ne l'avait pas remarquée, pourtant elle est grande cette fresque et bien peinte. Regarde, dit encore l'enfant, sur la tête, qu'est-ce qu'il a sur la tête ? C'est Jésus, expliqua le père, on l'a tué, il est mort ainsi et sur la tête il porte une couronne d'épines, parce qu'il est roi, il porte une couronne comme les rois autrefois portaient une couronne. Mais pas d'épines, ça fait mal, ça pique les épines. Eh oui, ça fait mal, ceux qui ont mis Jésus à mort ont voulu lui faire mal, parce qu'il prétendait qu'il était roi. Alors, fit l'enfant, il n'était pas roi pour de vrai ? Si, reprit le père, il l'était vraiment, mais pas comme les rois de la terre qui sont riches et qui ont un grand pouvoir. Jésus est vraiment roi parce que tout vient de lui, la terre et le ciel. Pas seulement notre petite planète terre, mais l'univers tout entier; il tient tout dans sa main. Regarder la statue de Marie avec l'enfant. Qu'est-ce que vous voyez ? Cette boule que l'enfant tient en main représente la création tout entière. Voilà pourquoi il est le vrai de l'univers…

Ils restèrent encore quelques instants debout à regarder la peinture, puis ils allèrent vers la maman qui les attendait; ils sortirent ensemble. Et moi, je pensais à eux, je trouvais merveilleuse la scène à laquelle je venais d‘assister, aussi merveilleuse que la chute du mur de Berlin, car cette petite histoire que je viens de vous raconter se passait en novembre 1989 à l’époque précisément où s‘était écroulé le mur de Berlin. J’étais alors, et pour de longues années encore, aumônier au CHS de Sarreguemines. Je disais en pensant à un certains nombre de malades hospitalisés que je rencontrais régulièrement et qui se trouvaient détruits dans leur être ou dans leur cœur qu’ils n’en seraient peut-être pas venus à cette extrémité, s’ils avaient eu des parents avec qui ils auraient pu quand ils étaient échanger comme l’enfant avec les parents que je venais de rencontrer.

 

 

Fête du Christ-Roi (25 novembre 2001)

 

(Thérèse de Lisieux et sa nourrice, le brigand et la Maghrébine)

 

Il m’a été donné ces jours derniers, grâce à un religieux psychanalyste, de relire quelques pages de Thérèse de Lisieux et c’est une grâce toujours nouvelle de retrouver le visage de cette petite carmélite, si vivante aujourd’hui, alors qu’elle est morte il y a déjà plus d’un siècle, en 1897. Elle a vécu en son temps le drame de la foi et de l’incroyance qui a été celui du vingtième siècle et qui continue d’être le nôtre, au seuil du vingt-et-unième. “Je reste toujours au fonds dans une paix profonde que rien ne peut troubler”, explique-t-elle à sa sœur Pauline, - “un paix profonde que rien ne peut troubler” - alors même qu’elle vit dans la plus intense souffrance possible, celle de se sentir dans le néant, dans la nuit du néant, qu’elle craint de croire pour rien, que Dieu lui semble absent, absent pour toujours, définitivement absent, que la prière, l’Eglise, la foi, tout cela s’écroule dans l’insignifiance, que tout à ses yeux n’est qu’illusion. Alors se pose la question: d’où lui vient la force dans la foi, à cette petite fille de rien du tout. De Dieu, bien sûr, mais Dieu n’intervient en général pas directement, il se sert toujours d’intermédiaires ou de rencontres humaines. Et c’est là que mes yeux s’ouvrirent. Pour m’expliquer sur ce que je ressens, il faut un peu d’histoire:

M. et Mme Martin, les parents de Thérèse, ont eu neuf enfants dont quatre sont morts, l’un après l’autre, en bas âge. Thérèse vient après eux, la dernière. Sa maman à jamais marquée par cette mort en série de ses enfants ne pouvait que craindre que Thérèse, la dernière-née, ne suive le même chemin. Elle a peur et la peur n’est jamais bonne conseillère. On a d’elle une longue lettre où elle parle d’avance de la mort de la fillette et du cercueil à prévoir. Comment cette dernière pourrait-elle s’épanouir dans une telle ambiance mortifère? Et réellement, à peine née, Thérèse tombe malade, anorexique, elle refuse de téter, elle ne veut pas du sein de sa mère. Elle va mal, de plus en plus mal, jusqu’à ce qu’en dernière extrémité et en toute hâte on la confie à une nourrice, Rose Taillé, à la campagne, tout près d’Alençon. Elle y reste un an, du troisième au quinzième mois. Très vite la petite guérit, au contact du soleil et du grand air, avec les odeurs de l’étable et des foins coupés, avec les fleurs et les bruits de la volaille qui caquette, du coq qui chante et de la vache qui meugle. Tout cela va s’incruster dans la mémoire de l’enfant. Avec quelle joie elle se laisse conduire sur la brouette chargée d’herbe coupée de sa nourrice. De là elle se développe harmonieusement. A quatorze mois elle marche, à seize elle dit à peu près tout, à vingt-trois elle fait sa prière comme un petit ange et sait presque tout l’alphabet. En lisant avec un peu d’attention ses écrits autobiographiques, on ne peut pas manquer de remarquer que reviennent sans cesse les mots “rose”, “soleil’, “fleur”; ils représentent chez la fillette, cela va de soi, les premiers émois de la vie telle qu’elle se donne, féconde, large et joyeuse, et les roses qu’elle a promis de répandre sur terre après sa mort, n’est-ce pas d’abord à Rose que nous les devons, Rose, la nourrice qui a libéré la petite de la mort certaine et l’a aidé à vivre? N’est-ce pas cette paysanne sans nom, qui ne savait pas lire, qui a permis en premier à la petite Thérèse devenir ce qu’elle est devenue, alors qu’elle ignorait tout du miracle qu’elle accomplissait: elle a seulement fait ce qu’elle avait à faire, son travail de nourrice. Les parents eux-mêmes de Thérèse ignoraient ce qui s’était passé. Personne n’en savait rien. C’est nous qui, un siècle plus tard, l’apprenons parce que des lettres ont été par hasard conservées puis publiées qui racontent les misères qui s’étaient abattues sur le berceau de la petite fille et, si nous savons lire entre les lignes, les merveilles que Dieu a réalisées à travers Rose Taillé, la nourrice.

Ce qui est plus étonnant encore, c’est que ce miracle se retrouve partout. Voyez l’Evangile de ce jour. Le personnage important, c’est bien sûr, le Christ crucifié. Mais après lui? Qui vient immédiatement après lui? C’est un brigand, l’un des deux crucifiés avec le Christ. C’est lui, ce pauvre bougre repenti qui nous fait signe vers Dieu. Ça ne vous étonne pas? Moi, je trouve ça étonnant. C'est lui, ce brigand qui apporte un peu d’humanité et d’air frais dans l’ambiance épouvantable de la crucifixion où nous voyons les chefs du peuple ricaner, les soldats se moquer et l’autre malfaiteur injurier Jésus. Il fallait toute la profondeur du regard de Jésus et sa disponibilité, alors qu’il était lui-même dans la plus inconfortable position, supplicié en vue de mourir. Là, suspendu entre ciel et terre, il a eu la liberté intérieure de s’ouvrir à son voisin, dans une attitude de totale dépossession de soi, et de découvrir en lui, au-delà de l’apparence, des traces de lumière : dans un acte de compassion extrême, Jésus a perçu, senti que de tout son cœur et de toute sa chair le malfaiteur, son voisin de supplice, criait vers le Dieu vivant et il l’a déclaré bienheureux.

Oserais-je vous dire enfin qu’au moment où je préparais ces mots que je suis en train de vous dire, quelqu’un a sonné à ma porte, une pauvre fille, française d’origine maghrébine, qui a reconnu devant moi qu'elle était enfoncée dans des dettes énormes. J'ai senti qu'à ce moment-là elle me faisait une confiance absolue. Ceux qui sont capables de dire cela nous précèdent comme aussi ils précèdent Jean-Baptiste dans le royaume de Dieu! Vous comprenez qu’il ne s’agit pas en ce cas d’une façade d’amour. M'est alors venu à l'esprit ce mot de Pavese : “Tu seras aimé, dit-il, le jour où tu pourras montrer ta faiblesse sans que l’autre s’en serve pour affirmer sa force”. Nous touchons là au pur amour.

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