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1er dimanche de carême (A) 1984, 2008

 

                                    Bienheureux les pauvres !

Bienheureux les pauvres, dit le Christ, le royaume des cieux leur appartient. Je cherche à comprendre ces mots que j’ai déjà entendus tant de fois, sur lesquels j’ai déjà si souvent prêché et devant lesquels je mes sens toujours démuni comme au premier jour. Bienheureux ou heureux. Le Christ veut notre bonheur. Où le trouver et à quel prix ? Au lieu de faire de grands discours, je vais vous dire deux expériences qui m’ont appris plus que bien des discours.

La première expérience vient du temps déjà lointain où j’étais en Haïti. Vous me permettrez de citer un court extrait d’une lettre que j’ai écrite de là-bas pour mes proches et mes amis, le 22 octobre 1979 : “Ce soir, avant le coucher de soleil je visitai un quartier de Baradères inconnu de moi, la rue Saint-François pleine de boue. “ Ah, mon Père, quel malheur pour nous !” Léonce me montra la hauteur que l’eau avait atteinte il y a quelques jours, quand la queue du cyclone David avait déversé ses eaux sur le pays. Un vrai déluge. “Elle touchait presque le toit de la maison, m’explique-t-il. Regarde ici. La chaux est encore toute délavée. Pour sortir, il fallait prendre le bois-rond à la fenêtre de la chambre-haute”. Sa femme est malade, elle souffre de la malaria.. Arrive clodiquante une vielle dame. “Qu’avez-vous aux pieds” ? demandai-je. Elle défit un vieux bandage qui cachait une mauvaise plaie; elle risquait de gangrener la jambe. “Oui, fit-elle, pendant le débordement de David (ils appellent ainsi les inondations), j’ai heurté mon pied contre le mur d’une galerie. Je m’en vais à la rivière laver la plaie”. Que dire ? Que faire ? Parfois je soigne une blessure. Le dispensaire est loin et les remèdes chers.” Je pourrais citer bien d’autres extraits de lettres; elles racontent toutes des histoires semblables, des histoires de pauvres, car le plus clair de mon temps d’Haïti, les cinq années que j’ai vécues là-bas, c’était avec les pauvres. Et souvent c’était des heures joyeuses, des heures de bonheur. “Bienheureux les pauvres de cœur, le royaume des cieux est avec eux”. Je pense à Gaby, qui a passé toute sa vie de prêtre, trente-cinq ans, au Togo, comme missionnaire. Puis il a dû dételer, six mois plus tard, le 25 avril 1998, il a rejoint le doux royaume du Père. Je trouve ce mot de lui, je vous le livre : “Merci, Seigneur, de toutes ces heures que tu m’as données auprès des pauvres ou des mendiants de ton règne. Oui, nous sommes tous pauvres, tous nous sommes mendiants”. Quel bonheur de vivre avec les pauvres, quand on sait que le royaume des cieux leur appartient.

La deuxième expérience me vient de l’hôpital psychiatrique. Ceux qui y vivent sont aussi, par la force des choses, parmi les plus pauvres de la terre. Un jour, un garçon très handicapé m’a fait comprendre à sa manière, à la sortie de la messe à laquelle il avait assisté, qu’il voudrait lui aussi communier. Comme les autres ; il ne l’a pas dit, mais c’était sous-entendu. Dans les jours qui suivirent, je l’ai reçu chez moi et j’ai commencé à lui parler de Jésus. J’en ai ensuite parlé à ses parents. La mère m’a dit : “Vous perdez votre temps, il ne comprend rien”. C’était probablement vrai qu’il ne comprenait rien avec son pauvre esprit blessé. Il aurait été incapable de redire, même à sa manière, ce que je venais de lui expliquer. Pourtant j’ai vu ce garçon changer. Et le jour de sa première communion, visiblement, il était ému, très ému. Qu’est-ce qui s’était passé ? Au contact des malades, j’ai compris ceci : lorsque quelqu’un est privé d’un membre, spontanément il cherche à se servir d’un autre, de remplacement. Ainsi celui qui est brusquement, suite à un accident, privé de ses jambes, apprend à servir de ses bras pour se déplacer, en chariot, par exemple. L’aveugle apprend à voir avec les oreilles et les mains. Pour les handicapés mentaux, il se passe quelque chose d’analogue : la communication ne pouvant se faire par la voie normale de la raison, puisqu’elle est comme fermée et incapable de trouver les mots pour s’exprimer, spontanément, c’est tout le corps qui entre en jeu, animé par le cœur. Je pense à certaines confessions de malades mentaux où je me suis senti dans une pauvreté radicale : ils viennent pour demander le pardon du Seigneur et en recevoir l’absolution, mais comme ils ne peuvent pas formuler ce qu’ils viennent chercher, ils vous regardent sans rien dire et vous êtes embarrassés : que faire ? Que dire ? Essayer d’avoir des réponses ? Peine perdue. Le regard est là qui se plonge dans le vôtre, un regard qui attend autre chose que des questions et des mots, qui semble dire : qu’est-ce que tu attends pour me donner le pardon de Dieu que je viens chercher ? C’est poignant, un tel tête-à-tête, un tel face-à-face qui se prolonge dans le silence. Alors le prêtre, éclairé par l’Esprit, comprend qu’il est là au nom de Jésus, témoin de sa miséricordieuse tendresse... Et c’est au nom de Jésus qu’il ose rompre le silence et proclamer lentement et avec certaine solennité : va en paix, maintenant, frère, je te pardonne tes péchés. Alors dans le cœur de ce fils (ou fille) de Dieu qui s’est dans la plupart des cas agenouillé près de vous, il se passe quelque chose que Dieu seul connaît, nous sommes au cœur du mystère d’amour qui ne se révélera que dans la pleine lumière du ciel. Mgr Desmazières, un évêque de la région parisienne, qui vivait il y a un quart de siècle, depuis qu’il était en retraite, dans un foyer pour handicapés mentaux, raconte ceci: un jour, un jeune homme de vingt-deux ans se présente au confessionnal. Lorsque j’ai commencé à prononcer les paroles de l’absolution, lui qui était à genoux s’est prosterné le visage contre terre. Et lorsque je lui ai dit : “Maintenant, Christian, va en paix, tous tes péchés sont pardonnés”, il a fait comme un bond pour se mettre debout, il a ouvert ses bras très grands pour m’embrasser, le visage tout rayonnant, et il est sorti.

Que dire de plus ?

C’est merveilleux de voir comment Dieu agit dans le cœur des plus pauvres.

Vraiment ils sont déjà dans le royaume des cieux.

Mais les pauvres, ce ne sont pas seulement ceux de Haïti ou des hôpitaux psychiatriques, c’est aussi nous tous, si nous savons le voir. Amen.

 

 

1er dimanche de carême (A) 2008

                              Surprise dans la cathédrale de Strasbourg.

Une fois n’est pas coutume. Je ne vous parlerai aujourd’hui ni de l’Evangile ni des deux autres lectures que nous venons d’entendre, mais d’une surprise qui m’attendait à la cathédrale de Strasbourg lors d’une visite, il n’y a pas longtemps, le premier février dernier, et que je veux partager avec vous, tant elle était belle. J’avais organisé cette visite avec un guide qu’on m’avait recommandé. Je lui avais demandé de nous faire connaître les vitraux de l’édifice, si cela lui convenait. D’accord, avait-il dit, je vous montrerai les vitraux. Nous voici dans la cathédrale, je suis heureux d’être là, je la connais bien, tant de fois j’y suis entré ! Mais à chaque fois je me laisse surprendre par l’atmosphère que j’y retrouve de la présence mystérieuse du Seigneur, par la forêt des arbres de grès qui vous emporte vers le ciel, par tel détail de sculpture de saint qui me ravit jusqu’au septième ciel. A dix heures précises, le guide se présente, la visite commence avec les vitraux, comme nous avions convenu. Dans l’ordre chronologique, ajouta-t-il. Il nous conduit dans le transept nord où nous regardons les deux verrières les plus anciennes : les deux saints Jean, le Jugement de Salomon en plusieurs séquences, un archange. Nous passons de là dans le transept sud pour revenir dans le collatéral nord avec les figures des rois du Saint Empire germanique. Et nous passons dans la chapelle saint Laurent où s’accomplit le miracle.

Dans l’une des verrières provenant de l’ancienne église des Dominicains - la verrière est ancienne, elle date de la fin du XIIIe siècle, mais elle n’a été fixée en cet endroit de l’édifice que vers 1830 -, nous observons à la jumelle un chien dans le ventre d’une femme. L’image pourrait paraître horrible et incompréhensible si le guide ne nous apprenait qu’il s’agit de Jeanne d’Aza, la maman de saint Dominique. Elle a fait, d’après La légende dorée, un songe : elle voyait dans son sein à la place de l’enfant qu’elle attendait un petit chien qui tenait dans sa gueule une torche enflammée. Il se serait ainsi élancé hors du ventre maternel et aurait par sa parole de feu enflammé le monde entier. Comment mieux dire le destin futur de son fils, prédicateur éminent et fondateur de l’ordre des frères prêcheurs. Il s’est en effet lancé dans la prédication, tel un chien zélé, vigilant, gardant courageusement ses ouailles - voyez le chien qui veille sur le troupeau et aboie contre les renards et les loups de l’hérésie. Le symbole est fort. On reconnaît le verset du Cantique des cantiques : “Prenez-nous ces petits renards qui ravagent nos vignes”. La vigne représente l’Eglise, les renardeaux, les hérétiques et les chiens zélés qui donnent la chasse aux renardeaux, les prédicateurs. Comme nous n’étions que deux visiteurs avec le guide nous pouvions regarder la scène à loisir, avec les jumelles. Il valait la peine de s’arrêter à ce détail, qui est plus qu’un détail; il nous introduisait au cœur de l’histoire de la chrétienté. Et comme le guide remarquait l’intérêt que nous prenions à la scène, il nous dit qu’on pourrait faire le tour de la cathédrale et découvrir toute une série d’évocations de chiens. Racontez-nous, dis-je. Et il raconta.

Le plus intéressant des chiens est celui, me semble-t-il, qui figure sur la façade occidentale de la cathédrale, dans le tympan du portail central, à l’extrémité droite, faisant suite à l’apparition du Christ ressuscité aux apôtres. Il semble avoir entendu les paroles dernières du Christ : “Voici que je suis avec vous jusqu’à la fin des temps” et attendre le retour du Christ venant de l’orient - n’est-ce pas de là qu’il viendra et de là que nous l’attendons ? Et n’est-ce pas le rôle du chien du veiller sur nous qui constituons le troupeau du Christ, les brebis dont il a la charge ? Le chien se tient précisément à l’orient du tympan. Je n’avais jamais pensé au rôle du chien. Au berger, oui. Mais existe-t-il de berger sans chien qui l’accompagne ? Nous en discutons entre nous.

Un troisième chien se trouve sur le contrefort du transept sud, au-dessus du jeune homme au cadran solaire qui se tient à l’abri, dans une guérite (le guide nous montra la direction). Le cadran solaire indique les cinq heures qui correspondent aux heures des offices que chantent tous les jours les chanoines du lieu (matines et primes, tierce, sexte, none et vêpres) et le chien veille à ce que les chanoines soient à l’heure à l’office et n’oublient pas leur mission essentielle qui est de prier pour le peuple.

Et tout près de là où nous nous tenons, poursuivit le guide ( là aussi il nous montra la direction), mais à l’extérieur du portail Saint-Laurent se trouve un quatrième chien, le compagnon fidèle de l’un des trois rois mages, Melchior, le Maure, et semble sortir des replis de sa robe. Image du chien qui suit son maître à la trace. Il y a bien sûr l’étoile qui indique le chemin. Mais le chien n’a-t-il pas pour mission de veiller à ce qu’ils ne s’égarent pas en cours de route ?

Je pense à Jésus. Il parlait en paraboles. Le royaume des cieux est semblable à un semeur qui est sorti pour semer.., il est semblable à un trésor caché dans un champ.., ou à un filet qu’on jette dans la mer et qui ramène toutes sortes de choses ou encore à un chien chargé de veiller sur son troupeau... Par ces paraboles et par beaucoup d’autres encore, Jésus leur parlait du ciel. La cathédrale, ou ce soir l’humble chapelle d’Ebring, parle aussi du ciel à travers des paraboles de pierre ou de verre. Qui n’a vu que les murs, que la lumière, que les voûtes, tout converge vers le prêtre revêtu de vert ou de violet, comme en ce temps de carême qui commence, qui tend la blancheur de ses bras au-dessus de la table de pierre, qui n’a su en un éclair, devant l’équilibre des parties, la légèreté et la danse des formes, qu’ici, la pierre prie, si bien que vous qui êtes là, hommes et femmes, jeunes ou vieux, gais ou tristes, êtes emportés dans un mouvement d’adoration qui vous dépasse, confondus avec les foules qui se tinrent ici, les yeux levés, de générations en générations, de vivants et de morts, qui n’a reçu le coup, non dans la tête, mais au plus creux de la conscience ou de la chair, ne saura jamais ce que j’essaie en ce moment de vous dire. Jamais plus je ne pourrai entrer dans une église sans ressentir quelque chose de ce que j’ai ressenti ce vendredi-là dans la cathédrale de Strasbourg. Amen

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Puis le guide se tourna vers la chair de Maître Hammer, conçue et exécutée pour l’évêque d’alors, le célèbre prédicateur Jean Geiler de Kaysersberg. On voit le chien couché aux pieds de l’escalier, comme s’il était chargé de garder son maître et de surveiller l’assemblée des fidèles pendant le sermon. On le voit prêt à réveiller par ses aboiements ceux qui seraient tentés de somnoler ou qui feraient preuve d’inattention.

Au retour de ce petit voyage à Strasbourg, feuilletant un livre consacré à la cathédrale, je découvre un dernier petit chien - mais est-ce bien le dernier ? Il me semble qu’il doit s’y trouver bien d’autres encore - sur le petit muret qui fait le tour de la plate-forme où les visiteurs peuvent monter et d’où l’on a une vue superbe sur toute la ville de Strasbourg, et bien au-delà, jusqu’à la Forêt Noire d’un côté, et les Vosges de l’autre. Sur cette balustrade de la plate-forme on voit sculpté un petit chien dans une position étrange, comme s’il s’apprêtait à sauter dans le vide. On se demande ce que le chien fait à cet endroit. Heureusement le texte explique qu’au temps où la cathédrale avait été occupée par les protestants, un réformateur connu des Strasbourgeois avait la curieuse habitude de faire le tour de cette balustrade, c’est-à-dire de marcher sur le muret qui sert de garde-fou à la plate-forme. Un jeu de fou dangereux ! Un bourgeois de la ville qui était un jour monté là-haut vit le spectacle étrange de cet homme qui jouait à l’équilibriste sur ce muret; il voulut l’imiter et s’obstina à faire trois fois le tour du muret. Malheur lui en prit : au moment où il allait arriver au but, il est pris de vertige, tombe dans le vide et s’aplatit complètement déchiqueté sur les dalles de grès devant l’édifice, à plus de cinquante mètres plus bas Le chien saute à son tour pour rejoindre son maître. Et c’est pour marquer le lieu de son saut que le petit chien a été taillé à cet endroit et se montre aujourd’hui encore prêt à se précipiter dans le vide. Quel exemple de fidélité!

 

 

1er dimanche carême A 2011

 

 

Nous ne sommes pas nécessairement meilleurs en 2011 que ne l’étaient nos prédécesseurs de l’âge de pierre, même si nous savons infiniment plus de choses qu’ils ne savaient. Ceci par exemple que l’univers, notre univers est en continuelle expansion, les anciens ne le savaient, les physiciens ne l’on découvert que dans la première moitié du vingtième siècle, que notre monde n’est pas un système stable et intemporel, statique, fixé une fois pour toutes, mais qu’il est en continuelle évolution et qu’il dépasse en distance tout ce que l’on pouvait s’imaginer jusque là, que tout a commencé il y a quelque 15 milliards d’années par une gigantesque explosion, le big bang, que les Allemands appellent du si beau mot de Urknall. Que le monde qui s’est fait part étapes, n’est pas achevé, qu’il ne le sera qu’à la fin des temps. Saint Paul écrit dans la lettre aux Romains que toute la création jusqu’à ce jour gémit dans les douleurs de l’enfantement, qu’elle aspire à la révélation des fils de Dieu (8, 18-25) et qu’avec le Christ commence pour l’humanité une nouvelle manière de vivre d’agir et de penser. Nous naissons dans la vieille humanité programmée elle aussi comme le sont les espèces animales qui nous ont précédés. Nous sommes invités à naître nouveaux, à devenir l'humanité nouvelle et à participer à la nouvelle création, si nous assimilons, si nous intégrons, si nous incorporons et si nous faisons fructifier la nouvelle programmation que le Christ a communiquée. Au vieillard Nicodème qui est venu le voir de nuit Jésus commence par dire de manière abrupte : « A moins de naître d’en haut, nul ne peut voir le royaume de Dieu. » Naître d’en haut !

Il suffit de lire les textes qui relatent son enseignement pour constater que le Christ enseigne bel et bien une nouvelle loi, qui s'oppose point par point à l’ancienne. L’ancienne disait qu’il fallait coûte que coûte défendre son territoire. Le Fils de l'Homme, lui, n'a pas de lieu où reposer sa tête. Les anciens nous invitaient à répondre à l'agression par l'agression. Le Fils de l'Homme propose au contraire de tendre la joue gauche si l’on vous frappe sur la droite. Les anciens portaient à accumuler des richesses, des biens. Le Fils de l'homme enseigne la pauvreté volontaire, et ainsi de suite. Sur tous les points, il existe une opposition, un conflit entre ce qui était et les propositions du Christ. C’est ce qui explique d'ailleurs la résistance violente, acharnée, et meurtrière de la vieille humanité à cette programmation nouvelle du Christ qui a pour but, pour fonction, pour raison d'être de créer une nouvelle humanité.

Cela ne veut pas dire que ces antiques lois que nous voyons si clairement à l'œuvre dès que nous observons les comportements politiques et grégaires des groupes humains de nos lointains ancêtres. Loin de là. Elles n'étaient pas mauvaises, elles étaient, elles furent absolument nécessaires à la genèse, au développement, à l'existence individuelle et sociale des espèces animales qui nous ont précédés. Mais elles sont maintenant périmées, précisément parce que celui en qui Dieu crée toutes choses nouvelles, a communiqué une nouvelle manière de vivre qui a pour but, pour raison d'être et pour finalité de créer une nouvelle humanité (je dois ces remarques ,en partie, à L’histoire de l’univers et le sens de la création par Claude Tresmontant p. 111 et suiv.).

Le récit des tentations que l’Eglise nous présente chaque année est une bonne illustration de ce que je voudrais faire entendre.

« Jésus, en tant qu'homme, a lui aussi vécu cette tentation du vieil homme, de la vieille création. Dans le récit, sous la plume de l'évangéliste Matthieu, les trois propositions du «tentateur» sont aussi fortes que pertinentes. Elles lui offrent précisément une position de toute-puissance : « ordonne », et tu seras comblé! S'il répondait «oui», Jésus, lui qui est en train de subir l'épreuve du manque dans le désert, serait aussitôt transformé en magicien: les pierres devenant des pains, tous ses désirs deviendraient des réalités. Il obtiendrait d'autre part l'immortalité: porté par les anges, rien ne pourrait atteindre son intégrité, finie la peur de la mort. Enfin, il serait le roi au-dessus de rois : il posséderait le monde entier et ne connaîtrait plus le besoin. Mais qui peut résister à une telle offre?

Jésus dit «non», trois fois. Définitivement « non ». Sa parole le libère de la tentation de toute-puissance. De celle qui l'aurait conduit à la mort, c'est-à-dire à ne plus être homme. Ce « non » à la tentation de toute-puissance ouvre un chemin nouveau : il rend possible en lui la réalisation d'une humanité en gestation. » Il nous invite à faire comme lui, à entrer avec lui dans le monde nouveau qu’il est venu établir sur terre parmi les hommes. Nous sommes peut-être encore loin du compte… (La Croix du 11 mars 2011)

 

 

2e dimanche de carême (A) 1990 2008

                                                   

La transfiguration

 

Chers amis,

Les textes qui viennent d’être lus sont tout de même beaux ! Savoir que Dieu nous appelle, comme il a appelé Abraham depuis le lointain Golfe persique, Ur en Chaldée, et qu’il nous éclaire, comme furent éclairés les trois témoins Pierre, Jacques et Jean, sur la montagne, quand Jésus fut transfiguré devant eux, que chaque rencontre vraie avec Dieu est comme une lumière, une illumination. Pensez seulement à quelqu’un que vous connaissez, Moïse, quand il descendit de la montagne du Sinaï où il venait de passer quarante jours et quarante nuits en présence de Dieu et où Dieu lui confia les tables de la loi, son visage était tout rayonnant de la gloire de Dieu (Ex. 33, 29). Et cette expérience n’est pas réservée à l’univers où nous avons l’habitude de nous référer, celui de la Bible, c’est-à-dire au peuple juif. Dieu n’est-il pas le père de tous les hommes et donc de tous les peuples ? Je pense à l’une des religions les plus importantes du monde, celle de l’Asie, le bouddhisme - souvenez-vous qu’il y a quelques années en 1986 le pape Jean-Paul II avait invité à Assise les représentants des grandes religions du monde pour prier ensemble : les bouddhistes avaient répondu à l’appel, en particulier le dalaï-lama qui représente le bouddhisme tibétain, l’un des grands maîtres spirituels de notre temps. Et déjà au concile Vatican II l’Eglise catholique avait invité un bouddhiste, un Japonais, Nikkyo Niwano - c’était le premier non-chrétien de l’histoire à avoir été invité à un concile. Or Bouddha est l’un des grands fondateurs de religion de l’humanité. Né il y a environ 2500 ans, en Inde du nord, près de Bénarès, au sixième siècle avant Jésus-Christ, un peu après le prophète Isaïe, au temps de Jérémie et de la déportation des Juifs à Babylone. Ses parents étaient des nobles Indiens : il n’avait qu’à se laisser faire pour recevoir en don une vie bien protégée et tranquillement heureuse. Ce qui l’a fait changer de vie est au fond la question la plus humaine qui soit mais qui prit pour lui une telle dimension que tout le reste pâlit : “Je constate, disait-il que tout est souffrance, parce que rien n’est stable, tout passe, tout se décompose. D’où vient-elle donc cette souffrance et par quels moyens la détruire ?” Il a tout laissé derrière lui, comme Abraham et tant d’autres, pour chercher la réponse à cette question jusqu’au moment qu’on appelle l’illumination sous un arbre à Bodgaya - Abraham connut lui aussi l’illumination sous le chêne de Mambré. Alors d’un coup, au cours d’une profonde méditation la lumière l’envahit et il s’écria “Merveille! Merveille !” Le monde lui apparut tout changé. Les animaux, les plantes, les être humains, tout lui paraissait inondé d’une telle lumière qu’on les aurait dits animés de la même vie que lui. A cet instant précis il comprit pourquoi les hommes souffraient tant : parce qu’ils sont trop attachés à leurs désirs et aux plaisirs et qu’ils vivent dans l’illusion, aveuglés qu’ils sont par l’ignorance. Je pense que les apôtres vécurent quelque chose de semblable dans l’épisode de l’évangile de ce jour où Jésus fut transfiguré devant eux; ils éprouvèrent le même sentiment de bonheur et de plénitude que le Bouddha quand leurs yeux s’ouvrirent à la lumière divine et qu’il virent dans l’éclat de la divinité.

Je ne m’étendrai pas sur l’expérience de saint Paul sur le chemin de Damas; vous la connaissez. En un clin d’œil, le cours de sa vie a changé; je voudrais plutôt m’arrêter un peu à l’expérience d’un autre géant du christianisme, saint Augustin. A trente-deux ans il était un professeur honoré à Milan; il est connu à la cour dont il est l’orateur officiel. Il pourrait devenir ce qu’il est déjà, en partie, un personnage qui compte dans l’empire romain, mais quelque chose l’en empêche, une sorte d’inquiétude intérieure qui ne lui laisse pas le repos jusqu’au dénouement final dans le petit jardin de sa maison et qu’il raconte lui-même. Il s’était étendu cet après-midi-là sous un figuier et pleurait, “les fleuves de mes yeux débordèrent”, écrit-il, tant il se sentait mal. Alors lui parvint de la maison voisine la voix d’en enfant qui disait et répétait en chantonnant : “Prends et lis ! Prends et lis !” Il ouvrit le livre qui se trouvait à sa portée, les lettres de saint Paul, et il lut au hasard : “Ne vivez pas dans la débauche et l’ivrognerie, ni dans les plaisirs et la luxure, mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ” et il ajoute : “A peine avais-je fini de lire cette phrase qu’une espèce de lumière rassurante s’était répandue dans mon cœur, y dissipant toutes les ténèbres de l’incertitude” (Conf. VIII, 12). Vous voyez ce qui s’est passé en Augustin : la lumière a dissipé les ténèbres de son cœur, l’inquiétude disparut et une grande paix l’envahit.

Ce qui s’est passé autrefois, continue de se produire aujourd’hui. Qui d’entre nous n’a pas connu telle heure où sa vie fut comme transfigurée ? Je pense à un ami qui me raconta un jour l’enfer qu’il avait vécu durant un an et demi où une profonde dépression l’avait emporté. C’était la nuit totale. Plus de goût à rien. “Et voici, depuis dix jours je sens que je m’en sors, quelque chose s’est passé, je remonte la pente et j’ai envie de crier ma joie, je reprends plaisir à la vie. Comme c’est merveilleux ! Tout est transfiguré, chaque jour qui l’annonce, je le reçois comme un cadeau.”

Pareillement une femme, la veille, me raconta dans une rencontre de chrétiens autour de l’Evangile comment sa vie fut transfigurée, illuminée. Il y a quelques années elle apprend qu’elle avait le cancer et qu’il fallait procéder à l’ablation d’un sein, puis de l’autre. C’était la chute libre dans le vide, dans le néant. Et puis elle s’en est sortie, elle a appris à triompher du mal, à comprendre qu’ elle pouvait vivre même mutilée de la sorte, qu’il y a quelque chose de plus grand que l’intégrité du corps, c’est l’intériorité, que quoi qu’il arrive elle reste la fille aimée de Dieu. “C’était, dit-elle, une grâce merveilleuse et j’ai connu la vraie joie.”

Ainsi la fête d’aujourd’hui nous montre-t-elle que la transfiguration n’était pas seulement réservée aux trois disciples privilégiés, Pierre, Jacques et Jean. L’Eglise nous invite à la vivre maintenant. Amen.

 

 

 

2e dimanche de carême A 2011 le 19 mars fête de saint Joseph

Dans le commentaire de l’Apocalypse qui n’est autre qu’un dialogue avec sa fille, Paul Claudel invite cette dernière, qui ne comprend rien au livre, à passer outre les difficultés : « Il ne s’agit pas de comprendre l’apocalypse mais de se promener dedans. » Aussi je vous propose aujourd’hui de vous promener avec moi dans la Bible et plus particulièrement dans l’histoire des Joseph, car il y a deux Joseph dans la Bible, ils sot connus tous les deux pour leur songe.

D’abord Joseph, l’époux de Marie, que nous fêtons aujourd’hui, fit un songe. Par lui, Jésus put entrer dans le lignage de David, bien que Joseph ne fût pas le père biologique de Jésus. Il n’y a pas que la génération biologique, il y a aussi la génération selon le cœur, quand il y a adoption. Et c’est ce qui se passa avec Joseph ; il n’était pas le père biologique de Jésus, mais son père selon le cœur.

Jésus fils de David et fils d’Abraham, d’après la généalogie de Matthieu - Abraham qui eut lui aussi un songe : « Lève les yeux au ciel et dénombre les étoiles… telle sera ta postérité » ; voyez l’importance des songes dans la Bible - Luc va plus loin encore, il remonte jusqu'à Adam. Mais comment ne pas évoquer l’autre Joseph, le dernier des douze fils de Jacob, l’une des figures les plus séduisantes de la Bible. Il a vécu plus de mille ans avant l’autre Joseph, mais ils sont unis en ce sens qu’ils sont tous deux ancêtres de Jésus.

Joseph donc, le fils de Jacob, a excité la haine de ses frères à cause de ces gerbes et de ces étoiles. « Nous étions à la moisson, raconte ce derniers à ses frères, à lier les gerbes dans les champs et voici que la mienne se tient au milieu et que les vôtres entouraient la mienne et se ^prosternèrent devant elle. » Il leur raconta encore que le soleil, la lune et les étoiles se prosternaient devant lui ; C’en était trop, les frères en prirent ombrage. Allons-nous nous mettre à genoux devant lui ? pour qui se prend-il ? L’idée leur vint de se débarrasser de lui. De quoi la jalousie n’est-elle pas capable ? L’occasion se présenta. Le père l’envoie rejoindre ses frères qui gardaient le troupeau dans le pâturage ; le voyant s’approcher ils fomentent une ruse et c’est le texte de la première lecture :

 

  "Jacob surnommé Israël aimait Joseph, le fils cadet de plus que les autres. Ce dernier était ce jour-là à la maison  auprès du père, tandis que ses frères étaient allés à Sichem faire paître le troupeau. Le père dit à Joseph : « Tes frères gardent le troupeau à Sichem : je vais t'envoyer là-bas. » Joseph partit rejoindre ses frères qui se trouvaient alors à Dotane. Ils l'aperçurent de loin et, avant qu'il arrive près d'eux, ils complotèrent de le faire mourir. Ils se dirent l'un à l'autre : « Voici l'homme aux songes qui arrive! C'est le moment, allons-y, tuons-le, et jetons-le dans une de ces citerne. Nous raconterons qu'une bête féroce l'a dévoré et on verra ce que voulaient dire ses songes! » Mais Ruben les entendit, et voulut le sauver de leurs mains. Il leur dit : « Ne touchons pas à sa vie. » II il ajouta : « Ne répandez pas son sang : jetez-le dans cette citerne du désert, mais sans le frapper. » II voulait le sauver de leurs mains et le ramener à son père.Dès que Joseph eut rejoint ses frères, ils le dépouillèrent de la tunique précieuse qu'il portait, ils se saisirent de lui et le jetèrent dans la citerne, qui était vide et sans eau. Ils s'assirent ensuite pour manger, En levant les yeux, ils virent une caravane d'Ismaélites qui venait de Galaad. Leurs chameaux étaient chargés d'aromates, de baume et de myrrhe qu'ils allaient livrer en Egypte. Alors Juda dit à ses frères : «Quel profit aurions-nous à tuer notre frère et à dissimuler sa mort? Vendons-le plutôt aux Ismaélites et ne portons pas la main sur lui, car il est du même sang que nous, c'est notre frère. » Les autres l'écoutèrent. Quand la caravane arriva, ils retirèrent Joseph de la citerne, ils le vendirent pour vingt pièces d'argent aux Ismaélites, et ceux-ci l'emmenèrent en Egypte" (Gen. 37, 3… 28).

Rien détonnant que Joseph devînt une figure de Jésus dans la relecture de la Bible par les Pères de l’Eglise. La haine des frères dont les crimes s’accusent à la lumière de son innocence n’annonce-t-elle pas celle des Juifs qui iront jusqu’à tuer Notre Seigneur. Le dépouillement de sa tunique éclaire ce qui se passe au calvaire, quand les soldats dépouillèrent le Christ de sa tunique et qu’ils tirèrent au sort à qui elle reviendrait. Ils l’ont trempé dans le sang d’une bête, celle du Christ pareillement sera tachetée de sang. Tout cela devient clair pour nous.

Et le voilà traîné jusqu’en Egypte, le pays des ténèbres par lesquelles sont figurées les ténèbres de tous les pays de tous les temps, y compris celles d’aujourd’hui – comment n’y pas voir les ténèbres de la Lybie et d’un dictateur qui s’en prend à ses sujets. Et voilà que celui qu’on croyait perdu à tout jamais est constitué maître de toute la terre d’Egypte. Pharaon l’investit de l’anneau, d’une robe de lin et d’un collier d’or et il changea son nom et lu en donna un qui signifie : Sauver du monde. N’est-ce pas ce que dira l’apôtre Paul du Christ, « Lui, de condition divine s’anéantit, prenant la condition d’esclave ; il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort sur une crois. A la fin Dieu l’exalta et lui donna un nom qui est au-dessus de tut nom. Et c’est dans l’abjection des siens, le rejet, les crachats… que Joseph sauva sa famille et tout le pays d’Israël, en leur distribuant le blé au temps de la famine. Nous avons entendu en deuxième lecture le récit merveilleux où Joseph se donne à reconnaître à ses frères, comme Notre Seigneur s’est fait reconnaître à ses frères de Palestine après sa résurrection :

   

« Alors quand ses frères arrivèrent en Egypte, Joseph ordonna que tous sortent dehors et que nul étranger ne fût       présent à la reconnaissance réciproque. Et il éleva la voix avec une explosion de larmes qu'entendirent les Égyptiens et toute la demeure de Pharaon. Et il dit à ses frères : Je suis Joseph! Est-ce que mon père vit encore? Mais ses frères ne purent lui répondre, tant ils étaient saisis de frayeur. Il leur dit avec bonté : Approchez-vous vers moi. Et ils s'approchèrent. Je suis, dit-il, Joseph, votre frère que vous avez vendu en Egypte. Ne craignez point, ni qu'il ne vous apparaisse dur que vous m'ayez vendu en ces régions : pour votre salut en effet Dieu m'a envoyé devant vous en Egypte. Il y a deux ans que la faim a commencé à être dans la terre et encore cinq années restent pendant lesquelles il ne pourra être ni labouré ni moissonné. Dieu m'a envoyé en avant afin que vous soyez réservés sur la terre et que vous puissiez avoir des aliments pour vivre. Non par votre conseil, mais par la volonté de Dieu j'ai été envoyé ici : c'est Lui qui m'a fait comme le père de Pharaon et le Seigneur de toute sa maison et prince dans toute la terre d'Egypte. Hâtez-vous et montez vers mon père et dites-lui : Voici ce que demande Joseph : Descends vers moi, ne diffère point. Annoncez à mon père toute ma gloire et tout ce que vous avez vu dans la terre d'Egypte. Et Joseph embrassa tous ses frères et il pleura sur chacun d'eux séparément. Et après cela ils osèrent lui parler. — Amenez votre père et toute sa parenté et venez vers moi et je vous donnerai tous les biens de l'Egypte afin que vous en mangiez la moelle. Et ne vous souciez pas de ce que vous laisserez dans vos maisons car toutes les richesses de l'Egypte seront à vous. Et il donna à chacun deux robes et à Benjamin trois cents pièces d'argent avec cinq robes excellentes. Et il renvoya ses frères en leur disant : Ne vous querellez pas en route. Et ils vinrent à leur père dans la terre de Chanaan et ils lui dirent : Ton fils Joseph vit et il est maître dans toute la terre d'Egypte. Ce qu'entendant Jacob, comme s'éveillant d'un sommeil profond, cependant il ne les croyait pas. Mais ils lui rapportaient tout l'ordre de la chose et quand il eut vu les chars et tout ce que Joseph envoyait, son esprit revécut et il dit : II me suffit si mon fils Joseph vit encore. J'irai à lui et je le verrai » (Gen. 45, 1…28).

Poursuivons notre promenade avec l’autre Joseph, l’humble charpentier de Nazareth. Lui aussi, c’est dans la nuit, en songe, que tout se passa. Quoi, qu’et-ce qui se passa ? Il accueille celle qui lui était promise, celle qu’il aimait et qui attendait un enfant qui venait d’ailleurs que de lui, alors qu’il voulait la renvoyer sans bruit pour ne blesser personne. C’est alors que l’amour a été plus fort que la justice humaine. Que fait-il ? Quand il se réveilla du songe, il fit ce que l’ange lui avait prescrit; il la prit chez lui. C’est tout; rien de plus, rien de moins, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus grand, il s’incline devant Celui qu’il sait infiniment au-dessus de lui : « Père que ta volonté soit faite. » Comme Marie fit elle aussi : Qu’il me soit fait selon ta parole… » Mon curé, je veux dire celui de mon enfance à Kirviller aurait à cet endroit retiré son bonnet carré et aurait dit les mots de l’ange en latin : fiat mihi secundum verbum tuum.

Joseph, lui, n’a rien dit, il a fait ; il prit Marie chez lui sans comprendre. Amen

(J’ai écrit ce sermon après la relecture du passage que Paul Claudel consacre à Josep d’Egypte dans Un poète regarde la croix p.75-92)

 

 

 

3e dimanche de carême (A) 1999 2008

 

La Samaritaine

 

Donne-moi à boire ! La demande de Jésus. Dieu en Jésus-Christ supplie l’homme de lui donner à boire, le contraire de ce que nous faisons. Habituellement, c’est nous qui demandons à Dieu, ici, c’est Dieu qui demande. Il vaut peut-être la peine de bien entendre cela, peut-être la prière consiste-t-elle à faire assez de silence en soi pour entendre les demandes de Dieu, plutôt que de toujours le fatiguer avec nos demandes. Et pourquoi Dieu n’aurait-il pas des choses à nous demander ?

Ces jours-ci j’ai eu l’occasion de beaucoup méditer sur la résurrection, sur Pâques... La résurrection, le fait de ressusciter, ne semblait pas un événement extraordinaire à susciter au temps de Jésus, ni impossible ni invraisemblable. La preuve ? Les évangiles présentent la résurrection par Jésus de la fille de Jaïre ou du fils de la veuve de Naïm ou encore celle de Lazare comme un miracle, un miracle comme les autres, de la même veine que la multiplication des pains ou la guérison d’un aveugle. Or, en réfléchissant à ces choses, j’ai compris ceci, que le grand bouleversement chez les disciples ne fut pas tant la résurrection de Jésus, que le fait que ce soit Jésus qui soit ressuscité. Ce qu’ils annoncent ce n’est pas que Dieu ait été capable de ressusciter Jésus, mais ceci : “Ce Jésus de Nazareth que vous aviez crucifié, Dieu l’a ressuscité des morts.” L’étonnant était le fait que Dieu, en ressuscitant Jésus, donnait raison à Jésus, que Dieu était bien tel que Jésus le présentait et non pas comme le prétendaient ses adversaires. Autrement dit, que Dieu était du côté de Jésus.

Les disciples avaient vécu la mort de Jésus comme un échec et une défaite : celui en qui ils avaient cru, qu’ils avaient vu surgir et qui semblait accomplir leur espérance, qui s’était montré du côté des humbles pour leur rendre Dieu que les prêtres, les docteurs de la loi, les prétendus sages et savants avaient confisqué à leur usage, celui qui s’était montré proche des pécheurs, proche de la Samaritaine, celle de l’évangile d’aujourd’hui, avait échoué. Echec terrible pour les disciples. Et si ce qu’ils avaient vécu avec lui n’était vrai ! Un doute risquait de s’installer en eux, de les déstabiliser, de les décourager. “Nous espérions qu’il serait le libérateur d’Israël...”, disaient les disciples le troisième jour après la mort de leur maître. Nous espérions, mais il n’en est rien, leur espérance est morte. Ils avaient donc cru en vain en lui ! Et voilà qu’ils expérimentent au matin de Pâques que le Christ est vivant, c’est donc que l’idée qu’il défendait de Dieu est vivante elle aussi. Cette idée de Dieu, telle que Jésus l’avait présentée, que les disciples avaient faite leur, voici qu’ils découvrent qu’ils peuvent continuer de l’habiter. “Il avait donc raison, Jésus, contre les puissants qui l’avaient condamné et exécuté sur la croix, Dieu est vraiment comme il avait dit; il savait vraiment qui était Dieu, Dieu est avec lui.” Alors, ils n’ont qu’un mouvement les apôtres, aller annoncer cela, cette Bonne Nouvelle, que c’est bien lui le Messie, celui qu’ils attendaient. Comme aussi la Samaritaine, au retour des apôtres, laissant là sa cruche, revint à la ville et dit aux gens : “Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’avais fait...” Ils sortirent de la ville, dit le texte, et se dirigeaient vers Jésus. Quand on a découvert quelque chose d’important, on a envie de le faire connaître. Voilà ce que Dieu attend de nous, voilà sa prière, que nous le découvrions - et n’est-ce pas pour cela que nous sommes réunis ici, pour que nous puissions aussi l’annoncer au monde ?

Soljenitsyne raconte dans L’archipel du goulag, paru en France en 1974, comment il a retrouvé la foi : “O Dieu de l’univers ! J’ai de nouveau la foi ! Moi qui t’avais renié, tu ne m’as donc pas fui.” Alors, à la mesure de sa soif, il puise à nouveau à la source de vie et il a envie de le dire, tellement cela lui paraissait important à dire et impossible à garder pour lui. Comme la Samaritaine le disait aux habitants de Sychar, comme les apôtres l’ont dit aux quatre coins du monde.

Je pense encore à l’homélie que Monseigneur Tessier, évêque en Algérie, fit devant son petit troupeau dans la cathédrale d’Alger à la pentecôte 1997, il cita une lettre d’Abd-el-Kader, l’émir arabe de Mascara, près d’Oran, qui mena la guerre sainte contre les Français au moment de la conquête de l’Algérie entre 1830 et 1850, un homme que Mgr Tessier admire beaucoup. Il écrivait dans cette lettre adressée à l’évêque d’Alger de l’époque qu’il était intervenu pour sauver les chrétiens de Damas, en Syrie, voués à la mort certaine, parce que c’était son devoir d’intervenir à la fois comme musulman et comme serviteur des droits de l’humanité, puisque, disait-il, “tous les hommes sont des enfants de Dieu”. Une telle conviction, se demande Mgr Tessier, n’est-elle pas le fruit de l’Esprit qui souffle où il veut, en tous ceux qui sont, comme dit l’Evangile du jour, les vrais adorateurs de Dieu” ?

 

 

 

3e dimanche de carême A 2011

 

Avec le Samaritaine et le Christ, je vous propose une promenade à travers la Bible, en partant de la première lecture du jour, du livre de l’Exode :

 

17, 3 Cela se passe durant la longue marche de quarante ans à travers le désert du Sinaï, à l’endroit appelé Réphidim. Là, Israël établit son camp et le peuple eut soif; il murmura contre Moïse : “Pourquoi, dit-il, nous as-tu fait sortir d’Égypte ? Est-ce pour nous faire mourir de soif, nous, nos fils et nos troupeaux ?”

°4 Alors Moïse cria vers le seigneur : “Que ferai-je pour ce peuple ? Encore un peu et ils vont me lapider.” °5 Le Seigneur répondit à Moïse : “Passe en avant du peuple ! Prends avec toi quelques anciens d’Israël, et va. Tu auras en main le bâton avec lequel tu as frappé le Nil, °6 et moi, je vais me poster devant toi sur le rocher de l’Horeb. Tu frapperas le rocher, il en sortira de l’eau et le peuple boira.” C’est ce que fit Moïse sous les yeux des anciens d’Israël.

 

Vous reconnaissez  l’épisode bien connu de l’eau qui jaillit du rocher ; les Pères de l’Eglise y ont lu comme une figure annonciatrice du Christ en croix, quand le centurion transperce son côté pour constater sa mort et qu’il en sortit du sang et de l’eau.

N’est-ce pas cette eau que le Christ évoque quand il s’entretient avec la Samaritaine au bord du puits de Jacob et qu’il lui demande à boire : « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : donne-moi à boire, c’est toi qui lui aurait demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. » La même eau qu'il nous propose dans l'eucharistie de ce jour, 

l’eau vive qui comble les désirs les plus profonds de notre être…

De cette eau vive il est déjà question avec Isaac, le fils de Jacob, au livre de la Genèse :

 

26, 12 La famine au pays d’Israël obligea Isaac à chercher refuge ailleurs, lui, sa famille avec les troupeaux. Il trouva à s’établir au pays des Philistins. Cette année-là, Isaac sema dans ce pays et récolta cent pour un. Le Seigneur le bénit °13 et l’homme devint riche, de plus en plus riche, jusqu’à devenir très riche. °14 Ses troupeaux de petit bétail, ses troupeaux de gros bétail et ses nombreux serviteurs rendaient les Philistins jaloux. °15 Les Philistins bouchèrent donc, en les remplissant de terre, tous les puits que les serviteurs de son père Abraham avaient creusés en son temps. °16 Abimélek lui-même, le chef des Philistins, dit à Isaac : “Va-t’en de chez nous ! Tu es devenu trop puissant pour nous.” °17 Isaac partit donc de cet endroit et il campa dans la vallée de Guérar. C’est là qu’il résida.

°18 Isaac creusa de nouveau les puits qu’on avait creusés au temps d’Abraham, son père, et que les Philistins avaient bouchés après la mort d’Abraham. Il leur donna les mêmes noms que son père leur avait donnés. °19 Les serviteurs d’Isaac creusèrent alors dans la vallée et ils y trouvèrent un puits d’eau vive.

 

Comment ne pas voir dans cette eau vive une figure annonciatrice du puits de Jacob et de l’eau que le Christ se propose de donner à la Samaritaine ?

J’aimerais vous introduire un peu dans le commentaire que fait Origène, l'un des Pères de l'Eglise les plus séduisants du IIIe siècle, de cet épisode, tellement il me paraît beau et tellement j’ai été ravi d’en prendre connaissance, il y a déjà de nombreuses années. Origène parle des Ecritures comme d’un puits où l’on vient tirer l’eau. Vous voyez l’image : l’eau, c’est la Parole de Dieu, et le puits, notre cœur. N’est-ce pas merveilleux ? notre cœur comme un puits d’où l’on tirerait la Parole de Dieu. Mais écoutons plutôt Origène nous parler :

 

"Le peuple meurt de soif, même en face des Écritures, jusqu'à ce qu'Isaac vienne les ouvrir... Il ouvre les puits, et nous enseigne que le lieu où l'on doit chercher Dieu, c'est notre cœur... Voyez donc qu'il y a sans doute aussi dans chacune de nos âmes un puits d'eau vive, comme un certain sens céleste et une image de Dieu latente. C'est ce puits que les Philistins, c'est-à-dire les Puissances adverses, ont empli de terre... Mais notre Isaac a recreusé le puits de notre propre cœur, et il en a fait rejaillir des sources d'eau vive... Si donc aujourd'hui même vous m'écoutez fidèlement, Isaac accomplit son œuvre en vous, et en purgeant votre cœur il vous ouvre les mystères de l'Écriture et vous fait croître dans son intelligence... Le Logos de Dieu est près de vous, il est même en vous, il enlève la terre de chacune de vos âmes et en fait jaillir l'eau vive... Car en toi est imprimée l'image du Roi céleste. Lorsque Dieu, au début, fit l'homme, il le fit à son image et à sa ressemblance. Et cette image, il ne la plaça pas au dehors, mais au dedans. On ne pouvait pas la voir en toi, tant que ta demeure était souillée, pleine d'immondices. Cette source de science était bien au fond de toi, mais elle ne pouvait sourdre, parce que les Philistins l'avaient obstruée de terre, faisant ainsi de toi une image du terrestre. Mais l'image de Dieu peinte en toi par le Fils de Dieu lui-même n'a pu être entièrement recouverte. Chaque vice la recouvre d'une couche nouvelle, mais notre Isaac peut les faire disparaître, et l'Image divine brillera de nouveau... Prions-le, recourons à lui, creusons avec lui, combattons les Philistins, scrutons les Écritures. Creusons si bien, que l'eau de nos puits abreuve tous les troupeaux ".

Puisons donc au puits de notre propre cœur, puisons aux puits de l'Écriture. Que l'eau de l'Ecriture se mêle à celle de notre coeur. Que la méditation des Livres saints nous aide à découvrir peu à peu le secret divin qui gît en notre cœur. Que, sous le pressoir des Écritures, la vigne plantée dans ce cœur exprime son fruit. Alors nous deviendrons cette Arche d'or où la Loi de Dieu demeure en permanence. Alors le Parole bondira parmi nos collines. Alors non seulement nous recueillerons dans le bassin de notre âme l'eau qui jaillit des fontaines d'Israël, mais nous pourrons accomplir ce que nous recommande la Sagesse en disant : « Bois des eaux de tes fontaines et de tes puits, et que ta fontaine t'appartienne en propre », et, par un juste retour, c’est de nous que nous tirerons de quoi comprendre mieux encore la Parole :

Tente donc, toi aussi, qui m’écoute, d’avoir ton propre puits et ta propre fontaine, pour que toi aussi, quand tu pendras le livre des Ecritures, tu te mettes à tirer de ton propre fonds quelque intelligence ; et, selon la doctrine que tu as reçue dans l’Eglise, tente de boire, toi aussi, à la fontaine de ton esprit."( dans Henri de Lubac, Histoire et Esprit d’après Origène, p.348 – 350).

 

 

 

 

 

 

 

 

4e dimanche de carême (A) 2005 2008

 

Sommes-nous guéris de notre cécité comme l’aveugle de naissance ?

“Autrefois, dit saint Paul, vous n’étiez que ténèbres; maintenant dans le Seigneur, vous êtes lumière.” Comment être lumière aujourd’hui et où ? Dans les grandes questions qui se posent à l’humanité. Quelles sont les grandes questions ?

La première, me semble-t-il, est celle de notre avenir. A partir de l’hypothèse qui s’impose aujourd’hui plus que hier que nous sommes prisonniers de notre planète, une planète qui nous semble de plus en plus petite. Les scientifiques semblent l’admettre : les voyages interstellaires pour tous, au cas où nous serions menacés dans notre existence terrestre, sont de l’ordre du rêve : nous ne quitterons jamais notre terre, nous sommes condamnés à l’habiter. Il nous faut donc chercher à vivre avec elle, à) la respecter, à ne pas la détruire. Pas moyen d’y échapper. Or la surface habitable est limitée, ce qui interdit une croissance sans fin du nombre des habitants. Deux chiffres : un milliard et demi en 1900, aujourd’hui plus de six milliards, et le chiffre continue de grimper, dix milliards dans moins d’un siècle. Sommes-nous lumière ? Si ces dix milliards veulent tous vivre comme nous les Occidentaux - Europe, Etats-Unis et Japon - et pourquoi ces dix milliards ne le voudraient-ils pas ? il faudra produire beaucoup. Combien de temps ceux qui aujourd’hui sont privés du minimum nécessaire à la survie pourront-ils tolérer encore le spectacle que nous leur offrons de l’abondance ?

En quoi sommes-nous sur ce point lumière du monde ? Et ce point est double. Il est à la fois démographique (qu’il n’y ait pas de surpopulation généralisée) et de justice entre les pays riches et les pays sous-développés. Comment sommes-nous lumière sur ces points ?

Le deuxième point concerne l’état de notre terre. Il est tel que nous ne pouvons pas nous désintéresser des conséquences de notre action. Un exemple : l’effet de serre dû à l’augmentation de gaz carbonique dans l’atmosphère. Le résultat, nous le savons, est l’augmentation de la température. Les glaces dans les pôles, les calottes glaciaires sont en train de fondre à la vitesse grand “v”. Or, depuis cent ans, avec la grosse industrie et la consommation de pétrole, la proportion de gaz carbonique a augmenté de 30%. Impossible de chiffrer les conséquences à l’heure actuelle, mais il est probable qu’elles ne soient pas négligeables. Un ralentissement de ces gaz est donc impératif. Et cela ne dépend pas seulement des autres, mais de chacun de nous. Sommes-nous lumière ?

Et parmi les biens de la terre il y ceux qu’elle nous offre une seule fois, pas deux fois : le charbon, le pétrole. Le charbon, nous savons ce qu’il est devenu chez nous. Et le pétrole, en le détruisant, nous faisons disparaître une matière que la nature met des centaines de millions d’années à produire. En deux siècles nous aurons dilapidé (nous sommes tous des fils prodigues ! Aveugles de surcroît, pire que celui de l’évangile). Avec la consommation actuelle, il est probable qu’avant la fin du siècle les réserves seront épuisées.

Or, cette richesse à qui appartient-elle ? Pas aux seuls princes des émirats ni aux seuls Américains ni aux compagnies qui l’exploitent. Elle appartient à tous. Sommes-nous des lumières ?

Il faudrait évoquer les armes nucléaires et les recherches sur la génétique. Avec quels projets tout cela est-il conduit ? Sommes-nous lumière ?

Et la fraternité humaine : comment apporter parmi toutes les injustices, misères, conflits, violences, un peu de paix, de bonheur ? Sommes-nous lumière ?

Plus profondément encore, là où se joue le sens de notre vie, là où se fait en notre humanité comme une étrange absence au centre, là où se donne à l’être humain ce qui lui permet de se supporter, de s’orienter, de pouvoir vivre : en ce point crucial sommes-nous lumière ?

La manière dont je parle et pose les questions, peut paraître négatif. Comme si rien n’allait plus sur notre bonne vieille terre. Comme si jusqu’ici rien n’avait été fait et qu’il fallait commencer toutes choses à zéro et comme si les chrétiens étaient absents des combats de cette terre. Non !

Il n’est pas nécessaire de regarder très loin : voyez Jean-Paul II; pensez à ses dernières années de pape, il n’en pouvait presque plus, souvent on avait pitié de lui, il n’en finissait pas de mourir. Etait-il encore capable de gérer la grande entreprise catholique de plus d’un milliard de membres ? Beaucoup riaient de lui, de son obstination à rester au gouvernail.

Ne confondait-on pas manager et chef spirituel ? On aurait voulu éliminer vieillesse et maladie et les remplacer par jeunesse et esprit d’entreprise, dans une société pour qui ne compte que l’efficacité et l’éternelle jeunesse. Mais qui était plus proche que lui des jeunes ? Pensez aux mémorables JMJ de Paris ou de Rome ?

On riait de lui : pourquoi s’accrochait-il tant au pouvoir ? Mais le pouvoir dans l’Eglise, c’est quoi ? N’est-ce pas la passion du Christ et qui serait capable de réfuter que JP II dans sa passion du Christ ne fût pas un témoin actif du Christ ? Qui mieux que lui a manifesté à nos sociétés avides d’éphémères jouissances que même les personnes endurant un sérieux handicap peuvent enrichir leur entourage par leur seule présence ? Formidable leçon de vie qui porte toute la noblesse du monde! Et le témoignage de son successeur va dans le même sens. Que pourrait-il apporter à la terre alors qu’il avait soixante dix-huit ans quand il fut élu par ses paires au siège de saint Pierre ? Certes il voyage moins que son prédécesseur, il se déplace plus difficilement, se montre moins présent sur les places publiques de la planète. Mais quelle lumière quand il intervient ! Il nous invite à aller au fond des choses, droit vers l’essentiel. Amen.

 

 

4e dimanche de carême A 2011

En sortant du temple, Jésus et ses disciples voient sur leur passage un aveugle de naissance... Cette rencontre va devenir pour saint Jean l'occasion de nous apprendre quelque chose d'essentiel sur notre condition d'homme, que nous sommes tous des aveugles de naissance en quête de sens, que nous tâtonnons dans les ténèbres, qui que nous soyons. Non pas à cause d'un péché que nous-mêmes ou nos parents ou un ancêtre auraient commis dans un passé plus ou moins lointain. Non. Les contemporains de Jésus pensaient que tout handicap ou autre difficulté de vie avait pour origine une faute commise quelque part, qu'elle fût connue ou non. D'où la question des disciples : est-ce lui qui a péché ou ses parents ? Il nous arrive plus qu'on ne croit au premier abord de penser de même :il a fait ceci ou cela, vous allez voir, il le paiera… Dieu le p

unira. La réponse de Jésus est pourtant claire : ce n'est pas parce qu'il aurait péché lui ou ses parents que cet homme est aveugle. Mais regardez, vous allez voir l'action de Dieu se manifester en lui.

Nous sommes tous des aveugles de naissance.

Etes-vous d'accord ?

Si oui, tout est possible, vous êtes comme l'aveugle de l'Evangile et Jésus peut vous guérir.

Sinon, il n'y peut rien. Comment un aveugle qui croit voir pourrait-il être guéri ? Comment Jésus aurait-il pu aider des gens qui se croyaient parfaits, qui n’avaient rien à se reprocher, qui se faisaient forts d’observer la loi de Moïse tels les pharisiens qui étaient incapables reconnaître en Jésus l'envoyé de Dieu, puisqu’il n’observait pas la lettre de la loi. Si Dieu l'avait vraiment envoyé, il aurait observé le sabbat et n'aurait pas fait de miracle ce jour-là, il n’aurait pas guéri l’aveugle.

Il y a ainsi deux types d'aveugles. Le premier, celui dont nous faisons tous partie nous sommes tous des aveugles que nous le voulions ou non et l'autre, ceux qui pensent voir clairs, alors même qu'ils sont aveugles, on les appelle les pharisiens et nous en sommes dans la mesure où nous posons des conditions à l'action de Dieu parmi nous. Non qu'il soit interdit de vouloir comprendre : Dieu qui guérit des aveugles ne peut pas demander qu'on le suive en aveugle; ce qui est dénoncé, c'est la mauvaise foi, l'accumulation d'arguments ou de preuves qui nous évitent de reconnaître ce qui éclate comme une évidence pour les cœurs simples.

Que fait Jésus ?

Vous le voyez dès les premiers versets: il crache sur le sol et avec la salive il fait de la boue qu'il applique sur les yeux de l'aveugle... Va te laver à la piscine de Siloé, lui dit-il ensuite.

Vous reconnaissez à quoi font allusions ces gestes. La boue qu’il applique sur les yeux de l'aveugle renvoie au début de la Genèse quand Dieu modela le premier homme avec la boue de la terre. Et la plongée dans la piscine fait allusion à la plongée du baptême, dans l'eau de la cuve baptismale, d'où l'on se relève voyant?

Autrement dit, dans le baptême Dieu nous façonne une seconde fois. N'est-ce pas ce que saint Paul dit clairement dans la lettre aux Romains, qu'au baptême nous devenons des créatures nouvelles. Ou encore qu'au baptême nous renaissons dans une vie nouvelle (Rom. 6, 4), en ne faisant plus qu'un avec le Christ.

Ce qui est intéressant, merveilleux dans la façon dont saint Jean nous laisse entendre, c'est que l'action de Dieu ne s'est pas seulement manifestée pour cet aveugle précis qu’il a rencontré à la sortie du temple; s'il en était ainsi, on pourrait tout au plus dire : il a eu de la chance, cet aveugle, mais en quoi cela nous importe-t-il. Tant mieux pour lui, mais tous les autres aveugles, qu'est-ce que cela change à leur condition ? Eh bien vous l'aurez compris, cet aveugle est au fond comme un signe de ce qui se passe en chacun de nous, si nous nous laissons pétrir, façonner par la main de Dieu.

Ce n'est pas seulement ce qui s'est passé autrefois, mais une leçon pour reconnaître qu'aujourd'hui Dieu continue de nous guérir, si nous nous ouvrons à sa lumière.

Et ceux qui ne sont pas baptisés, seraient-ils condamnés à errer sans fin en aveugles dans les ténèbres de la terre ?

Non pas ! Je me souviens d'un missionnaire qui avait vécu des années durant avec une tribu d’Indiens sur les hauts-plateaux de l'Annam ou plutôt du livre qu'il a écrit il y a plus de cinquante ans et dans lequel il relate son vécu avec ces gens qui vivaient dans l'ignorance totale de Jésus-Christ - je n'oublierai jamais le titre de ce livre : Dieu aime les païens. Ce missionnaire avait compris que ceux qui ne sont pas baptisés, Dieu les aime autant que eux qui le sont. Est-il pensable un seul instant que Dieu rejette et condamne tous ceux qui auraient le malheur de naître en Chine, au Japon ou dans l'un des nombreux peuples qui n'appartiennent pas à l'Eglise chrétienne, une grande partie de l'humanité.

Mais alors, si le baptême n'est pas nécessaire, pourquoi baptiser ? Il est précisément le signe que Dieu nous aime et il est essentiel que des signes soient posés. Qu'est-ce que la communauté chrétienne ? La nôtre ici et maintenant ? Sinon cela, l'affirmation que Dieu nous aime - et n'est-ce pas une immense joie de savoir cela. Oui, nous sommes des signes au milieu du monde que Dieu ne nous abandonne pas, qu'il est proche de nous, comme personne ne pouvait l'imaginer avant qu'il ne vînt vivre en Jésus-Christ notre condition d'homme.

 

 

 

 

 

 

5e dimanche de carême (A) 1999 2008

 

Lazare, dehors !

Que nous dit cet évangile qu’on appelle communément la résurrection de Lazare ? Comment puis-je me sentir concerné par ce qui s’y dit ? que m’apprend-il sur moi-même ?

Il m’apprend d’abord ceci qui semble une évidence, mais qu’il est bon de noter, que l’amitié ou la proximité de Dieu ne m’empêchera pas de mourir de peur, nous le savons bien. Ressusciter n’est pas dans la logique de la vie, c’est quelque chose qui nous est donné, don, un cadeau. Pas pour demain ou après-demain, mais ici et maintenant. Ressusciter, c’est attendre la vie d’un autre, du Christ vivant. C’est lui, la résurrection, il le dit : “Je suis la résurrection et la vie”, il est la parole vivante, capable d’appeler à la vie ce qui meurt. Il appelle Lazare et parce qu’il l’appelle d’une voix forte : “Lazare, dehors !”, Lazare se réveille de la mort et se lève.

Vous en avez tous fait l’expérience à un moment ou l’autre de votre vie.

Mais l’amitié de Jésus n’a pas empêché Lazare de mourir. Vous avez entendu sa sœur, Marthe, dire à Jésus, sous forme de reproche : “Ah, Seigneur si tu avais là, mon frère ne serait pas mort !” N'est-ce pas une évidence que nous mourrons ? Pas si sûr ! Il y a un secret désir en nous que notre intimité ou proximité avec le Seigneur nous confère l’immortalité. Or, nous avons à faire ici à un Dieu qui laisse mourir son ami. C’est dire qu’il n’y a pas de sur-vie, l’immortalité n’est pas inscrite dans le code génétique. D’ailleurs il n’est pas question de sur-vie en ce texte ni d’immortalité, il est question de résurrection. Or, résurrection en veut pas dire : ne pas mourir. Même Jésus a dû passer par là, avec tout ce que la mort contient de lutte - agonie veut dire lutte -, de difficile, de dur. Quelqu’un a perdu confiance en soi, il est triste, puis un jour, il retrouve le sourire, parce qu’un ami s’est donné la peine de l’accompagner. C’est l’expérience de la dépression.

Celui qui est déprimé est comme mort, il ne vit plus, il est malheureux. Je pense à mon ami Paul, il n’avait plus de goût à rien, il n’entendait plus le chant des oiseaux, la musique, lui qui l’aimait tant, lui était devenue insupportable. “Vraiment, disait-il, c’est la nuit, l’enfer”. Un jour tout a changé, il a réentendu un oiseau chanter, puis d’autres, il a vu une fleur et d’autres fleurs et cela lui semblait merveilleux comme un matin de création, il reprenait goût aux choses, il était rené, ressuscité, il a fait l’expérience de la résurrection, il a passé de la mort à la vie, comme Lazare, parce que malgré tout il continuait à croire en la vie, parce que peut-être aussi il y avait des amis près de lui. Cela est important, essentiel, même si on ne sait pas quoi dire en pareil cas, même si on se sent complètement démuni, il suffit parfois d’être simplement là, la seule présence peut aider. Une présence d’estime, d’amour. Voilà ce que nous dit Jésus : il aimait Lazare et cet amour l’a sauvé.

Je pense encore à Thérèse, à François, à Yves, à un certain nombre de malades alcooliques que j’avais accompagnés autrefois, qui suivaient des cures de désintoxication. L’alcoolique, peu importe la raison pour laquelle il se met à boire, est malheureux, très malheureux; il se met à boire la plupart du temps parce qu’il est malheureux, il est en enfer, il veut s’en sortir, du malheur, précisément en buvant, pour oublier. En réalité, plus il boit, plus il s’enfonce dans l’abîme, dans la mort, dans le malheur, en enfer, et souvent il entraîne d’autres avec lui. Jusqu’à ce qu’au fond de la misère, mais ça n’arrive pas dans tous les cas, il se dise : “Non, ce n’est pas possible, ça ne peut plus durer, il faut que ça change” et il décide de s’en sortir, et il s’en sort ou plutôt il arrive qu’il s’en sorte, avec ou sans cure. Et là il fait une expérience merveilleuse, l’expérience du retour à la vie. “Je commence à voir clair, disent-ils alors - je commence.., car ils savent bien que tout cela est encore bien fragile et que des rechutes sont toujours possibles -, une petite musique de nuit se laisse entendre quelque part au fond du cœur. “On n’est plus les mêmes, disent-ils encore, c’est comme le jour et la nuit”. Il m’arrive de leur demander : serait-ce un peu de ciel dans votre vie ? - Oui, c’est bien cela un peu de ciel, après l’enfer. Autrement dit, ils ressuscitent des morts.

Mais cette résurrection n’est pas réservée aux cas un peu exceptionnels que je viens de citer. Nous la vivons tous à un moment ou l’autre de notre vie, quand nous sommes comme Lazare appelés d’une voix forte à nous réveiller, car cet appel traverse tous les siècles. Alors nous nous relevons de notre mort de tous les jours : fatigue, dégoût, vieilles rancunes recuites qui “sentent déjà”, déceptions, impuissances et désespérances. La foi n’est rien d’autre que cela, croire, dans l’ordre que la parole créatrice et recréatrice est venue habiter parmi nous, qu’elle appelle à vivre “même ceux qui sont morts”, enfin qu’elle connaît et appelle chacun par son nom.

Je pense à Christine, la quarantaine, je ne la connais que par le témoignage : son mariage a fait naufrage, comme il arrive assez souvent, mais elle est restée croyante, attachée à l’Eglise catholique, elle s’en explique dans un petit livre qu’elle m’a envoyé; elle y raconte comment elle s’est rendue un jour dans un monastère pour faire le point. “Je posais mes affaires, dit-elle, et déjà je sentais que le calme venait et le silence. Je n’avais pas le courage de prier tout de suite, j’avais l’impression que l’air que je respirais ici m’invitais tout simplement à me poser, me laisser faire, sans forcer. Et si dormir ainsi était déjà une manière de prier ?” (p. 31). Trois jours de calme, de prière et de méditation au monastère et elle repart transformée, transfigurée dans son âme, ressuscitée. Un autre jour, elle redécouvre la confession : Va et réjouis-toi. Tu es aimé pour l’éternité, tu as déjà changé de tête, il y a de quoi être heureux. “C’est cela, dit-elle, que j’aime dans la confession, on entre à l’église, on se reconnaît pécheur, et l’on repart dans un esprit de fête” (p. 170). Des moments de grâce, de résurrection.

Le soir il m’arrive de lire une page ou deux du dernier livre de Christiane Singer. Elle est morte début mars 2007, l’année dernière à pareille époque. Six mois plus tôt, un jeune médecin lui avait annoncé, sans ménagement, qu’elle avait encore six au plus à vivre. Presque tous les jours elle griffonne, tant bien que mal, dans un carnet ce qui constitue Les derniers fragments d’un long voyage parus chez Albin Michel. Elle écrit page 72 : “Ma dernière prière, écrit-elle, ne soyez pas déçus que la mort ait en apparence vaincu; ce n’est que l’apparence, la vérité est que tout est vie et j’entre en vie. Ah, comme je serre dans mes bras tous ceux que j’ai eu le bonheur de rencontrer sur cette terre”. Pour pouvoir écrire ces mots, il faut être ressuscité, avant d’être mort. Christiane était ressuscitée avant d’être morte”. Et vous, frères, êtes-vous ressuscités ?

 

 

 

5e dimanche de carême 1987-1990-2011

 

Nous aussi sommes appelés à sortir de nos tombeaux

Après l’évangile de la Samaritaine, il y a 15 jours, et celui de dimanche dernier sur l’aveugle de naissance et l’obstination d’une partie des Juifs à refuser de croire que Jésus venait de Dieu, qu’il était l’envoyé ou le messie de Dieu, l’Église nous invite aujourd’hui à méditer ce qui entoure la mort de son ami Lazare. Disons tout de suite qu’il ne s’agit pas de résurrection à proprement parler, car ressusciter veut dire entrer dans la vie glorieuse de Dieu, comme cela s’est passé pour le Christ au matin de Pâques et comme il adviendra de chacun de nous à l’heure de la mort. Or Lazare n’est pas entré dans la vie glorieuse du paradis - du paradis personne ne revient; le Christ l’a simplement rappelé à la vie terrestre, il lui a donné un peu de sursis. Était-ce un cadeau que de le ramener ainsi à la vie et de l’oblige à une deuxième mort ? Comme s’il ne suffisait pas de mourir une fois ! Et puis il y le détail qu’il donne : Lazare est enterré de puis quatre jours, il sent déjà. Visiblement Jean ne cherche pas à faire frémir ses lecteurs; il n’a rien d’un reporter à l’affût du sensationnel. Il lui suffit d’un mot de Jésus qui cria d’une voix forte : Lazare sors dehors . Jean se veut d’abord évangéliste, ce qui l’intéresse c’est la foi en Jésus-Christ, ce qui dans chaque fait et geste du Christ est une invitation à reconnaître en lui le Fils de Dieu. Or précisément le cœur de l’évangile n’est-il pas le message que le Christ adresse à Marthe, la sœur de Lazare : « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra; et tout homme qui vit et qui croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? Et Marthe de répondre : « Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, e fils de Dieu, Celui qui vient dans le monde. » La foi de Marthe à laquelle répond la dernière ligne du récit : les nombreux Juifs qui étaient venus entourer Marie et avaient vu ce que faisait Jésus, crurent en Lui… » A la foi répond la non foi, ceux qu disaient : Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ?» Sentez-vous l’opposition hargneuse contenue dans ces paroles, comme un peu plus, quand il sera élevé sur la croix, dans celle du larron qui fut crucifié avec lui et qui resta fermé dans son obstination : « Il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve donc lui-même s’il est le Christ, l’Élu de Dieu. »

Au fond, chers amis, il n’y a qu’un péché, et Jésus nous le laisse entrevoir, c’est l’incrédulité, le refus de croire, le refus de reconnaître sa dépendance vis-à-vis de Dieu, autrement dit, le rêve fou, même s’il est la plupart du temps désavoué, d’être comme Dieu. N’est-ce pas aussi notre péché ? Jean-Marie Pelt, que vous connaissez tous, a ce mot fort à propos de l’énergie nucléaire et de ce qui se passe autour de Fukushima : « Les hommes se sont pris pour des dieux» (La Vie du 7 au 13 avril 2011). C’était déjà la tentation d’Adam et Ève Pourquoi ne mangez-vous pas du fruit défendu ? leur demande insidieusement le Diable. Si Dieu vous l’a défendu, c’est qu’il a peur qu’en le mangeant vous deveniez comme lui. » Ils se sont laissés prendre au piège. Mais se rendaient ils compte qu’il s’agissait d’un piège où se jouait non seulement leur avenir, mais celui de toute l’humanité. Comme il va du sort de l’humanité, notre humanité, dans le choix du nucléaire. Nous en rendons-nous compte ?

C’était aussi la tentation à laquelle le Diable cherchait à soumettre Jésus : si tu es Dieu, fais que les pierres deviennent des pains.., jette-toi en bas du temple.., adore-moi, utilise ta puissance pour te faire valoir!

Rester dans son obstination, dans la non reconnaissance de Dieu, c’est être mort dès maintenant, disait Bernard de Clairvaux. Comme Lazare !

L’Église nous donne l’occasion de sortir de nos tombeaux. Ne nous fions pas aux apparences. Voyez l’enfant prodigue. Contrairement au frère aîné qui a toutes les apparences de l’honnêteté, mais qui en réalité s’enfermé dans le refus des autres, tandis que le plus jeune se jette aux pieds de son père et s’ouvre à la grâce. L’essentiel en ces derniers jours avant Pâques n’est-il pas de s’ouvrir au ciel ?

Je ne peux pas m’empêcher de mentionner en terminant saint Augustin, l’évêque d’Hippone en Afrique du Nord. Il s’est converti à trente-deux ans.

 

 

5e dimanche de carême A 2011

 

Lazare, viens dehors !

Esprit Saint qui es dans notre cœur pour entendre les paroles qui viennent d’être proclamées, que ta lumière nous en livre le sens, que nous comprenions, fais-nous nous souvenir de ces mots de Jésus : ‘Je suis la résurrection et la vie.

Que nous dit la scène où il est question de la maladie, puis de la mort et du retour à la vie de Lazare ? Je ne dis pas résurrection, car ce qui se passe avec Lazare n‘est pas la résurrection; mais le retour à la vie terrestre. Résurrection veut dire entrée dans la vie divine. Or Lazare n’est pas entré dans la vie divine, il n’a pas été traversé par la lumière d’en haut ni transfiguré dans la gloire du ciel, comme le Christ l’a été au matin de Pâques. Avec Lazare, rien de tel; le Christ l’a rappelé à la vie sur terre : Lazare, viens dehors, relève-toi, comme s’il se devait sortir du sommeil. Au fond, le Christ prolonge quelque peu sa vie, mais Lazare sera bien obligé un jour de quitter définitivement cette vie-ci. Était-ce lui rendre service que de l’obliger à passer une seconde fois par l’angoisse de fin de vie ? A quoi bon . Pourquoi le Christ agit-il de la sorte ? Il l’explique aux disciples quand il apprend la maladie de son ami : « Cette maladie, dit-il, ne mène pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié. » Il faut bien comprendre ces mots : cette maladie ne mène pas la mort, elle a pour but de manifester la gloire de Dieu. Comment cela ? Comment cette maladie va-t-elle manifester la gloire de Dieu ? D’une double façon : d’abord par le miracle. En rappelant Lazare à la vie, les Juifs vont découvrir que dans le Christ se manifeste la présence et la puissance de Dieu, son éclat redoutable que nul ne pouvait soutenir sans mourir. Aussi, jadis, au temps de Moïse, il était caché par la nuée; il l’est maintenant par son humanité - de temps en temps seulement il laisse paraître quelque chose de sa gloire, sur le Mont Tabor, par exemple, ou lors des miracles : Jean avait bien compris, que les miracles étaient plus que des actes extraordinaires; ils étaient des signes que Dieu se manifestait parmi les hommes, qu’en Jésus-Christ qui les accomplissait se réalisait le royaume de Dieu et se célébraient les noces éternelles, l’union de Dieu et des hommes.

Et il y a ceci, que ce miracle va entraîner sa mort qui est aux yeux de la foi la plus haute preuve de sa gloire : « Et moi, dit le Christ, une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi» (12, 12). Là aussi il faut comprendre : son élévation sur la croix le Vendredi Saint sera le signe de son élévation au ciel le matin de Pâques. Ce sont deux aspects du même mystère : « Il faut que le Fils de l’homme soit élevé pour attirer les hommes à lui » (12, 32). Sa puissance, dira saint Paul, se manifeste dans la faiblesse extraordinaire, la puissance de la croix.

Et ce n’est pas tout. La scène avec Lazare dit encore bien d’autres choses. Avez-vous remarqué qu’à trois ou quatre reprises il est question de la foi. Croire. Tel est l’enjeu de la vie de Jésus. Croiront-ils en Lui, ses disciples et tous ceux qui seront témoins de ses faits et gestes ? Croire, voilà l’important. Le Christ ressent combien ceux qui l’entourent ont du mal à croire. Non pas tant croire en Dieu; cela va de soi, disait Péguy, la puissance de Dieu éclate de toutes parts, dans la création; l’infinie grandeur du ciel étoilé la nuit renvoie à Dieu, comme aussi l’éclat du soleil sur les paysages de printemps. Qui n’est pas sensible au sourire d’un enfant, au parterre des fleurs dans les prés quand approche Pâques, aux arbres qui verdissent vers la fin d’avril, à la lumière du matin ou du soir ? Mais croire que Jésus est vraiment le Fils de Dieu ne va pas de soi et qu’il est ressuscité au matin de Pâques et que sa résurrection annonce la notre, que notre humanité dans sa misère est déjà d’une certaine façon traversée par la gloire de Dieu, qu’avec lui la mort ne mène pas au néant, mais s’ouvre à la douce paix de Dieu : ça c’est plus difficile, et c’est le grand souci de Jésus.

Même les apôtres, ses plus proches, ont du mal à croire; ils ne comprennent rien : « Lazare, leur dit le Christ, est mort, et je me réjouis de ne n’avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez. »

Marthe ne comprend pas davantage quand Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera ». Elle a seulement en vue son retour sur terre, sa guérison : « Oui, oui, il ressuscitera au dernier jour, mais en attendant il est au tombeau, il est bien mort ! » - « Marthe, moi, je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra, le crois-tu ? » En fait, elle n’y comprend rien; elle fait confiance; ce n’est pas rien que de faire confiance, un début de foi.

Et il y a la foule, la foule de ceux qui suivent ce qui se passe, les amis, les voisins, tous ceux qui s’étaient rassemblés autour de Lazare à l’occasion de sa mort, c’est à eux que Jésus pense quand il dit : « Je te rends grâce, Père, parce que tu m’as exaucé. Si j’ai parlé, c’est pour la foule qui est autour de moi, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé.. » Certains croient, d’autres restent fermés à la grâce, quelques uns se moquent ouvertement de lui…Et moi, où en suis-je ?

Au fond, toute la scène avec Lazare n’a qu’un but et c’est de renvoyer à la résurrection, que le Christ n’est pas mort, qu’il continue d’être avec nous, comme les disciples d’Emmaüs en ont fait l’expérience, le soir de Pâques, quand ils se rendent compte que Jésus marchait avec eux, comme Marie-Madeleine qui reconnaît que son bien aimé Seigneur est bien vivant, comme les apôtres le découvrent le même jour au cénacle, alors qu’ils étaient tout désemparés de sa disparition.

Et voici que je suis tombe au moment où je réfléchissais à toutes ces choses sur ces mots de saint Irénée de Lyon :

« Par les mains du Père, c'est-à-dire par le Fils et l'Esprit, c'est l'homme et non une partie de l’homme qui devient l'image et la ressemblance de Dieu. Or l'âme et l'Esprit peuvent être une partie de l'homme, mais nullement l'homme.

L'homme parfait, c'est le mélange et l'union de l'âme qui a reçu l'Esprit du Père et qui a été mélangée à la chair modelée selon l'image de Dieu .»

Je relis : Par les mains du Père, c’est-à-dire par le Fils et l’Esprit. N’est-ce pas beau, les deux mains de Dieu sont l’une, le Fils, et l’autre, le Saint Esprit. Autrement dit : par Dieu, c’est l’homme tout entier qui devient l’image et la ressemblance de Dieu. Pas l’esprit et l’âme seulement, mais le corps l’esprit et l’âme. Il n’y a pas d’homme sans corps ni esprit ni âme. L’homme n’existe que lorsque ces trois éléments sont réunis ensemble. Irénée de Lyon était né et a vécu à Smyrne, aujourd’hui Izmir, en Turquie, avant d’être envoyé à Lyon, la capitale des Gaules, dont il devint par la suite l’évêque. On dit que son maître Polycarpe avait été disciple direct de Jean, le plus proche apôtre de Jésus. Or au temps d’Irénée s’étaient manifestés des chrétiens qui prétendaient que le monde n’était pas créé par Dieu, mais par un principe opposé à lui, que la matière était mauvaise et le corps objet de mépris; seule comptait l’âme. Irénée a compris combien ces vues trahissaient la Bonne Nouvelle du Christ et contredisaient le récit biblique de la création. D’où le texte que je vous ai lu; il affirme au contraire que la création est bonne, que la matière a été voulue par Dieu et que le corps est appelé à participer à la gloire de Dieu. Non pas le corps dans sa matérialité terrestre, mais, comme dit saint Paul, le corps transfiguré dans la gloire de Dieu. Non pas ce qui reste de l’homme à sa mort, la dépouille mortelle, mais le corps spirituel.

 

 

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