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Pentecôte (A) 1999

 

Peu importe la manière dont les Actes des Apôtres racontent l’événement de la Pentecôte, il faut tenir à ceci : l’Esprit qui traverse la création entière s’est manifesté en Jésus qui s’attribue ce que disait le prophète Isaïe : l’Esprit du Seigneur est sur moi. En lui se dévoile le sens dernier des choses ; il nous a appris à nous faire confiance les uns aux autres, à nous aimer et vivre ensemble. Pour quiconque croit cela, s’ouvre une vie nouvelle, une nouvelle forme de vie commune qui nous appelons Église. En elle la vie jaillit de la mort, s’y recueillent les fruits que Dieu lui-même a semés et portés à maturité. L’esprit de Pentecôte, c’est l’invitation à la confiance, croire que la vie l’emporte sur la mort, l’amour sur la haine, l’amitié, sur les divisions, la lumière sur les ténèbres. Malgré les apparences contraires.

L’apparence, c’est la guerre, les misères de mille sortes qui accablent notre pauvre humanité… Et pourtant, regardez les oiseaux en ce printemps, ils ont reconstruit leurs nids ; les chiens que leurs maîtres promènent, avec quelle assurance et fierté ils évoluent, s’arrêtant à chaque pas pour renifler des odeurs et des signes qu’ils sont seuls à percevoir, ils respirent la joie de vivre. Avec quelle liberté l’écureuil grimpe sur le tronc du sapin de mon jardin. Avec quelle maîtrise et souveraineté les hirondelles évoluent dans le ciel et les papillons aux ailes perlées de couleur s’accrochent aux fleurs. Ces fleurs, nos merveilleuses compagnes des prés et des bonrds de chemin, elles nous saluent avec attendrissement.

Tout cela ne nous appelle-t-il pas à vivre ?

Si quelqu’un avait vécu il y a quelques trois milliards d’années et contemplé notre planète terre avec les formes de vie primitives, au sein d’une atmosphère totalement irrespirable : cet observateur aurait-il pu imaginer tout ce qui s’est développé dans les millions d’années qui suivirent ?

N’y a-t-il pas assez de raisons d’avoir confiance même dans les hommes ? Regardez les guerres de ce siècle : qui aurait pu deviner que la paix surgirait des décombres des villes d’Allemagne : Dresde, Leipzig, Hambourg réduites en cendres lors de la Deuxième guerre mondiale ?

Pourquoi la paix ne viendrait-elle pas de la même manière au Kosovo même si nous ne voyons pas bien aujourd’hui comment cela se fera !

N’en est-il pas ainsi dans les drames de famille, des drames qui paraissent insurmontables ? Laissez passer deux, trois ans : les choses s’arrangent, parfois avec perte et fracas, mais des horizons nouveaux s’ouvrent, imprévus, inattendus.

Je ne connais pas de paroles plus fortes qui plaident pour la confiance en la vie et la puissance de la beauté, que celles d’une femme juive qui disait des jours qu’elle a passés dans un camp de concentration en Allemagne : ¨ Ce qui m’a permis de vivre derrière les fils de fer barbelés était la vue des oiseaux : entre la vie et moi, entre la liberté et l’enfermement il y avait cette clôture de la mort ; les oiseaux la franchissaient allègrement. Ils étaient libres, envieusement libres : pas de lois pour eux, pas de mort par électrocution, pas de veilleurs qui puissent les retenir. Qu’aurais-je donné pour être un oiseau !¨

Le mystère de la Pentecôte est précisément cela : que nous avons un esprit qui nous rend libres comme l’oiseau. Le scandale de l’univers n’est pas la souffrance, disait Bernanos, c’est la liberté. Il y a, j’en suis sûr, parmi les Kosovars chassés de leur terre sur les chemins de l’errance, quelques uns dont nous ne saurons jamais les noms, des hommes libres qui meurent sans amis et sans prêtres, les yeux encore pleins de la douce maison familière, hommes libres qui, aux derniers pas qu’ils font, sentent refroidir sur leurs épaules la sueur d’une nuit d’agonie; ils se demandent amèrement s’ils ne meurent pas en vain, quand le soupir qui s’échappe de leurs poitrines n’est entendu de personne, mais ce faible souffle est celui de l’Esprit. Ils marchent, ces hommes, sans le savoir, à l’avant-garde de l’humanité. C’est comme si Dieu les jetait en avant pour lui ouvrir un chemin sur terre.

Parfois je me demande si je ne devrais pas prendre le risque d’aller là-bas, d’arrêter les canons et crier à ceux qui jettent des innocents sur les routes, qui tuent ceux qu’ils considèrent comme des ennemis pour la seule raison qu’ils ne sont pas de la même race, leur crier qu’ils arrêtent les massacres, que nous sommes tous frères, que le Christ, selon le mot de Saint Paul, entre les peuples et les races a levé les barrières qu’il n’y a plus depuis longtemps d’étrangers.

Mais je sais aussi qu’il y a en ce moment, dans le monde, au fond de quelque église perdue, ou même dans une maison quelconque ou encore au tournant d’un chemin désert, tel pauvre homme qui joint les mains et du fond de sa misère, sans bien savoir ce qu’il dit, ou sans rien dire, remercie le bon Dieu de l’avoir fait libre, de l’avoir crée capable d’aimer.

Il y a quelque part ailleurs, je ne sais où, une maman qui cache pour la dernière fois son visage au creux d’une petite poitrine qui ne battra plus, une mère près de son enfant mort qui offre à Dieu le gémissement d’une résignation exténuée, comme si la voix qui a jeté les étoiles dans l’espace ainsi qu’une main jette le grain, la voix qui fait trembler les mondes, venait de lui murmurer doucement à l’oreille : ¨ Pardonne-moi. Un jour, tu sauras, tu comprendras… Mais maintenant ce que j’attends de toi, c’est ton pardon, pardonne-moi ¨.

Ceux-là, cette femme harassée, ce pauvre homme, se trouvent au cœur du mystère, au cœur de la création nouvelle et dans le secret même de Dieu, ils sont frères et sœurs des milliers de Serbes exilés et emprisonnés par la folie d’un homme parce que quelque part ils ont engagé leur âme et qu’ils sont devenus, comme aimait dire le Père de Foucauld, des frères universels.

 

 

 

 

Pentecôte A 2011

 

1. J’aime la fête de la Pentecôte depuis toujours, la fête de l’Esprit Saint, la fête de l’Église naissante où l’on voit Pierre pour la première fois prendre la parole et au nom des douze s’adresser à la foule des pèlerins venus ce jour-là au temple de Jérusalem , dans la joie, pour remercier le Seigneur de la moisson et de toutes richesses de la terre qu’il leur donne chaque jour pour nourriture. Alors les apôtres sortent du silence où ils s’étaient enfermés depuis la passion et la mort de leur maître et ami. Il leur a fallu du temps, cinquante jours , le temps nécessaire pour prendre la mesure des événements, découvrir que le Christ en qu ils avaient mis toute leur confiance n’était pas anéanti dans la mort, qu’il continuait d’être vivant, autrement qu’il ne l’avait été sur terre, de s’entendre dire : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » et que c’était à eux maintenant de prendre le relais. Cette nouveauté surgit comme un orage, sans qu’ils s’y attendent, subitement, comme un violent coup de vent venu du ciel. Ainsi se manifeste l’Esprit Saint, comme le big bang à l’origine de l’univers, comme le cri primordial que les mamans connaissent bien de l’enfant qui vient au monde, comme l’entrée dans la vie nouvelle après les affres de l’agonie. Et comment pourrait-il en être autrement, l’Église n’est-elle pas le nouvel univers chargé de répandre le feu que le Christ était venu allumer sur la terre ?

2. Mais il est difficile de parler de l’Esprit Saint. Dieu le Père, je comprends, on sait ce qu’est un père, beaucoup ici sont pères et nous sommes tous fils d’un père. Le fils, je comprends aussi, le Christ a vécu comme un fils, né de Marie, ayant grandi à Nazareth, il s’est fait semblable à nous en tout, dit saint Paul, à l’exception du péché. Mais l’Esprit, comment nous le représenter comme une personne, lui le souffle de Dieu. « Recevez le souffle », dit le Christ aux disciples le soir de Pâques et il souffla sur eux. Aujourd’hui il se présente comme le feu, des langues de feu qui se posent sur les apôtres - alors ils furent remplis de l’Esprit Saint. Ailleurs il est question de vent. Comment voir en tout cela, dans le souffle, dans le vent, dans le feu, une personne, la troisième personne de la Trinité ?

3. Je peine, j’ai du mal, je ne comprends pas bien. Alors méditant ces jours-ci un texte du bréviaire, mes yeux se sont ouverts et j’ai vu ce que je n’avais jamais vu jusque là. Écoutez plutôt :

«Je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée.»

Le sens de ces paroles apparaît plus clairement dans le discours du Seigneur rapporté par l'Évangile. Par sa bénédiction, il a donné toute puissance à ses disciples, puis, en priant son Père, il accorde les autres biens à ceux qui en sont dignes. Et il ajoute le principal de tous biens : que les disciples ne soient plus divisés par la diversité de leurs jugements sur le bien, mais qu'ils soient tous un par leur union au seul et unique bien. Ainsi, par l'unité du Saint-Esprit, comme dit l'Apôtre, étant attachés par le lien de la paix, ils deviennent tous un seul corps et un seul esprit, par l’unique espérance à laquelle ils ont été appelés. Jean rapporte dans son évangile les paroles mêmes de Jésus : Que tous, dit Jésus, soient un, comme toi, mon Père, tu es en moi, et moi en toi; qu'eux-mêmes soient un en nous. Or, le lien de cette unité, c'est la gloire. Que le Saint-Esprit soit appelé gloire, aucun de ceux qui examinent la question ne saurait y contredire, s'il considère ces paroles du Seigneur: La gloire que tu m'as donnée, je la leur ai donnée. Effectivement, il leur a donné cette gloire quand il leur a dit : Recevez le Saint-Esprit.

Vous entendez : l’Esprit Saint est la gloire de Dieu.

C’est maintenant seulement dans le grand âge que je découvre cela, que le Saint esprit est la gloire Dieu qui nous est communiquée au moment où le christ quitte la terre.

Cette gloire, qu'il possédait de tout temps, avant que le monde fût, le Christ l'a pourtant reçue lorsqu'il a revêtu la nature humaine. Et lorsque cette nature eut été glorifiée par l'Esprit, tout ce qui lui est apparenté a reçu communication de la gloire de l'Esprit, en commençant par les disciples. C'est pour cela que Jésus dit: La gloire que tu m'as donnée, je la leur ai donnée; qu'ils soient un comme nous sommes un; moi en eux et toi en moi, pour qu'ils soient parfaitement un. (Jean 17, 5.22)

Celui qui, de petit enfant, est parvenu en grandissant à la stature d'homme parfait, qui a rejoint la mesure de l'âge spirituel; celui qui est devenu capable de recevoir la gloire de l'Esprit par sa maîtrise de soi et sa pureté : il est la colombe parfaite qui regarda l’Époux lorsqu’il dit dans le Cantique des cantiques : Unique est ma colombe, unique ma parfaite. (Homélie de Grégoire de Nysse sur le Cantique des cantiques.

 

 

La Trinité A 2002 2005. Première communion

 

Je voudrais relire avec vous, les enfants, le début de l’évangile : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a donné son fils unique. »

Il faudrait recevoir ces mots dans une oreille toute neuve, car ils contiennent un trésor énorme, mais ils sont incompréhensibles et même blasphématoires pour nos frères juifs ou musulmans pour qui Dieu vit dans une souveraineté absolument solitaire. C’est dire quel chemin spirituel énorme les premiers chrétiens ont dû faire pour pouvoir affirmer avec force, après le départ de Jésus, que « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique ». Cela veut dire que quelques hommes ont découvert le mystère de cet homme, Jésus de Nazareth, qui les a appelés un jour, avec qui ils ont vécu de longs mois, pas très longtemps, trois ans à peine, avant qu’il ne soit mis à mort, puis qu’il sorte vivant de la tombe, alors qu’ils le croyaient mort définitivement.

Qu’est-ce qu’ils ont découvert, ces hommes, ses disciples ?

Ils ont découvert que Jésus était un homme comme eux, comme tous les autres homme, comme nous, pas un héros, mais quelque un de tellement habité par Dieu qu’en le rencontrant, en l’écoutant, on rencontrait Dieu, qu’en obéissant à sa parole, on obéissait à Dieu lui-même. Ce contact était tellement renversant, tellement inouï, tellement au-dessus de ce qu’il est possible de penser, que saint Jean n’arrête pas de nous dire dans l’évangile que la plupart de ceux qui cherchaient à le suivre ont fini par le lâcher, y compris les disciples eux-mêmes. Est-il possible qu’un homme soit Dieu ?

Eh bien oui, chers amis, c’est possible, et c’est cela qui est propre aux chrétiens, en quoi nos frères juifs et musulmans ne nous suivent pas. Ils pensent que Dieu est seul dans son absolue transcendance, dans sa haute souveraineté. Nous, les chrétiens, découvrons vraiment Dieu à travers cet homme Jésus, à travers sa façon de vivre, de parler et d’agir, jusqu’au moment où il donna sa vie et mourut sur la croix en disant : tut est accompli.

Oui, cet homme, Jésus, cet ami qui a partagé sa vie d’abord avec les siens à Nazareth, puis avec ses disciples, qui a parcouru avec eux les chemins de Palestine, est vraiment Dieu, Fils unique de Dieu

Et nous découvrons que nous sommes ses frères,

Que la vie divine coule en nous, comme en lui,

que le souffle de Dieu nous tient en vie - rappelez-vous la première page de la Bible où l’on apprend comment Dieu souffla sur la statuette de terre glaise qu’il avait modelé avec ses mains, comment la statuette s’anima et devient le premier humain, Adam, qui veut dire celui qui est tiré de la terre.

Voilà qui nous sommes : des fils et des filles de Dieu.

Telle est notre richesse et notre dignité et notre titre de gloire, ce qui fait notre grandeur. Pas l’argent, ni rien de ce que nos pouvons posséder ni la légion d’honneur, ni d’être connu comme une star et de paraître dans les journaux.

Je ne connais pas de paroles plus fortes qui plaident pour la confiance en la vie et la puissance de la beauté, que celles d'une femme juive qui disait des jours qu'elle a passés dans un camp de

concentration en Allemagne : " Ce qui m'a permis de vivre derrière les fils de fer barbelés était la vue des oiseaux : entre la vie et moi, entre la liberté et l'enfermement il y avait cette clôture de la mort ; les oiseaux la franchissaient allègrement. Ils étaient libres, envieusement libres : pas de lois pour eux, pas de mort par électrocution, pas de veilleurs qui puissent les retenir. Qu'aurais-je donné pour être un oiseau !"

Le mystère de la Pentecôte est précisément cela : que nous avons un esprit qui nous rend libres comme l'oiseau. La colombe précisément qui reposait lors du baptême sur la tête du Christ ou les langues de feu qui ont chargé les cœurs de apôtres d’une énergie nouvelle. Le scandale de l'univers n'est pas la souffrance, disait Bernanos, c'est la liberté. Il y a, j'en suis sûr, parmi les Libyens, les Tunisiens ou les Syriens chassés de leur terre sur les chemins de l'errance, quelques uns dont nous ne saurons jamais les noms, des hommes libres qui meurent sans amis et sans prêtres, les yeux encore pleins de la douce maison familière, hommes libres qui, aux derniers pas qu'ils font, sentent refroidir sur leurs épaules la sueur d'une nuit d'agonie; ils se demandent amèrement s'ils ne meurent pas en vain, quand le soupir qui s'échappe de leurs poitrines n'est entendu de personne, mais ce faible souffle est celui de l'Esprit. Ils marchent, ces hommes, sans le savoir, à l'avant-garde de l'humanité. C'est comme si Dieu les jetait en avant pour lui ouvrir un chemin sur terre.

Et cet Esprit qui nous rend libres est Celui que nous avons fêté dimanche dernier, la tierce personne, qui fait le lien entre le Père et le Fils. Nous voici en pleine Trinité. Ce grand mystère nous apprend ce que dit le pape Grégoire le Grand : pour pouvoir être charité, l’amour doit tendre vers un autre. Tel est Dieu, le Dieu unique, mais non point solitaire. Le Père n’existe que dans la relation au Fils et à l’Esprit. Et comment aurait-il pu nous faire autrement qu’il n’est lui-même et ne sommes-nous pas créés à son image et ressemblance?

 

 

La Trinité (A) 1993 revu en 2008

 

Qu’est-ce que l’homme ? On a proposé beaucoup de définitions. Celle qui consiste à dire qu'il est un animal capable de penser a longtemps prévalu; elle serait comme un résumé de tout ce qui s’est dit à son propos. Mais les hommes de pensée, les intelligents peuvent être très inhumains - on a les exemples récents des tralers, ces gens chargés dans les banques des placements d’argent. Il en est de très intelligents qui ont fait fortune; ils ont pourtant largement contribué à provoquer les dérèglements financiers qui secouent notre monde aujourd’hui et à mettre à mal l’épargne des petites gens. Les scandales financiers ! Comme quoi l’intelligence n’est pas le tout, peut-être pas l’essentiel. D’autres disent, même s'ils sont le petit nombre, que la plus haute fonction de l’homme est sa capacité de prier. En priant, nous nous approchons peut-être au plus près de ce que nous sommes, des êtres capables de Dieu. Nous sommes ainsi faits que nous ne pouvons réellement nous connaître qu’en connaissant quelque chose de Dieu. Mais comment se représenter ce qui est au-delà de toute représentation et de toutes les limites de notre existence terrestre, nous qui sommes liés et comme enchaînés à la finitude, nous qui sommes nés de la poussière et condamnés à y retourner et comment est-il possible que nous portions dans notre cœur des étincelles et des éclairs de l’infini, de l’éternel, du divin ? Comment pourrions nous connaître la nature et la matière, comment nous rendre compte de l’immensité des espaces, comment explorer la naissance des galaxies si notre esprit restait enchaîné à la nature, comment pourrions-nous pénétrer au cœur de la matière si par notre esprit nous ne dépassions pas infiniment l’univers qui s’offre à nous et n’allions pas par notre recherche à la rencontre de Celui par qui existe tout ce qui est ? Ce que l’homme imagine et construit, ses plus belles œuvres, que sont-elles face au moindre vivant de la nature ? Les êtres les plus simples, les bactéries ou les virus dépassent infiniment en complexité ce que nos machines les plus élaborées seront jamais capables de réaliser. Plus nous apprenons à connaître de la nature, plus nous sommes surpris des richesses infinies qu’elle contient et plus nous sommes amenés à manifester de la gratitude, de l’étonnement ou de l’effroi.

Et pourtant le Dieu de la création reste tant méconnu, Lui sans qui rien ne serait de ce qui est l’objet de toutes les plaintes et protestations, on s’en prend à Lui, beaucoup le renient alors même qu’il nous permet d’exister. Comme si sa toute-puissance nous écrasait et nous réduisait à moins que rien Les anciens de l’Asie savaient cela mieux que nous, les Occidentaux. ’’Le ciel est peu favorable, dit Lao Tseu, il regarde vers les terriens, sans pitié, comme vers une botte de paille.’’ La marche du cosmos est grandiose, le mouvement des nébuleuses, merveilleux, mais les étoiles ne répondent pas à nos questions d’homme, ni les plis des montagnes, ni le déploiement da vie à travers les millions d’années. Une telle image du divin dans la création augmente plus qu’elle n’apaise l’angoisse de notre cœur.

 

1. Le Dieu d'amour et Père. Il faut un autre chemin pour découvrir ou redécouvrir le Dieu créateur et pour nous retrouver, nous les hommes, en ce monde. Ce chemin commence pour nous avec Jésus-Christ qui nous dit : « Toi qui as peur, dans la solitude et le vide de l’espace, qui te sens menacé dans l’infini du temps, livré sans merci au néant, qui reconnais quelque chose d’infiniment précieux en toi, dans les traits de ton visage, en ton âme. » Dans son dialogue avec toi, je sens que Dieu s’exprime d’une façon unique et je commence à pressentir qu’il voudrait dire quelque chose qui ne s’exprime qu’en toi seul. Dieu t’aime infiniment pour t’avoir appelé à l’existence. Ce que les yeux voient peut tromper, tu n’es pas l’œuvre d’une loterie ou le fruit du hasard, tu as été voulu, toi, tel que tu es, unique et sans pareil, comme un acte d’amour, de toute éternité. Et je crois que cet amour de toujours ne t’oubliera jamais; il t’a posé dans l’existence hors de lui, mais de telle façon que tu ne puisses exister qu’en lui. Il en est ainsi maintenant et toujours. Hors du temps, car ce qui se dit ici est hors du temps, dans l’éternité. Toujours tu seras toi, qui as été appelé dès avant le temps. Le prophète Jérémie le savait. L'apôtre Paul aussi.

 

2. Dieu, frère en Jésus-Christ. Il est une manière de vivre ensemble que nous apprenons dans le Christ, qui n’a jamais été avant lui. Nous pouvons réfléchir sur les liens qui unissent les hommes, sur l’amour, mais ce que le Christ nous a appris à ce propos est indépassable en vérité et en humanité. : vivre le plus simplement possible comme des frères et des sœurs, avec bonté, délicatesse et amour, de façon tout à fait désintéressée. Nous avons besoin de quelqu’un de distinct de nos frères qui sont à mes côtés pour nous apprendre à nommer Père le Dieu créateur. Cela qui a commencé avec le Christ doit se poursuivre jusqu’à la fin du monde. Nous devons nous aimer de telle façon que nous puissions voir Dieu en l’autre et nous assurer, contre la peur, de la dignité et beauté infinies, de la grandeur indestructible de chaque vie humaine. Il y a tant à faire là où sévit la peur que des hommes peuvent susciter, tant à mettre en œuvre contre la dureté de cœur. Mais dans l’amour cela peut s’apaiser et mûrir en une confiance forte et en une vie qui ne finit pas.

 

3. Dieu-Esprit. S’il en est ainsi et que nous retrouvons dans le Christ la force de notre âme, de notre sensibilité, de notre amour, alors la nature ne nous paraît plus froide ni cynique; alors nous nous trouvons sur le troisième chemin qui mène à Dieu ; il n'est autre que le langage délicat, doux, à peine perceptible de notre cœur ou celui de l'Esprit. L’Esprit qui nous habitée et qui nous devient d’un coup familier. Car en faisant confiance à l’autre qui nous aime, nous arrivons à nous faire confiance à nous-mêmes. Tant de mouvements spontanés, tant de chaleur se trouvent dans notre cœur que nous excluons sans cesse par peur, à cause du tumulte intérieur. Mais rien n’est en nous, jusque dans les profondeurs de notre nature, qui ne soit imprégné d’esprit et de sagesse. Apprendre à réentendre ces mouvements et à s’accorder avec soi veut dire entendre l’Esprit de Dieu que je vois à l’œuvre partout autour de nous. Cette puissance intérieure nous lie à l’univers de façon invisible et délicate. Tout semble nous dire que même le plus petit atome possède une intériorité qui attend de se manifester à la claire lumière de la conscience et veut être adoré pour toujours.

Ce sont les trois chemins qui nous conduisent à Dieu. Un théologien allemand raconte comment un prêtre qu’il estime beaucoup résuma à sa façon la Trinité dans une image qui lui venait d’une fille russe. Au milieu du plus grand désordre du vingtième siècle, durant la deuxième guerre mondiale il vécut un certain temps avec une famille russe du Caucase. Soir après soir il s'entretint avec la fille de la maison où il logeait sur beaucoup de questions qui les préoccupaient tous deux. - Qu’en est-il, lui demanda le prêtre, alors qu’ils marchaient le long du Kouban, de ce que disent les Soviets ? Je vois sur le mur de votre maison une icône avec la lumière éternelle. Les Soviets disent qu’il n’y a pas de Dieu. La fille fit non de la tête et dit : Dieu existe. - Et d’où le sais-tu ? Elle montra de ses doigts les étoiles et le fleuve puis posa la main sur son cœur et dit : Maman le disait aussi. Jamais, raconte le prêtre, je n’ai entendu un meilleur résumé de ce que je pouvais dire de Dieu plus tard dans ma vie.

Il y a le langage de la beauté et de la nature, il y a la confiance et le savoir de ceux que nous aimons le plus, et il y a le langage de notre propre cœur. Tous les trois disent de façon différente le même et unique Dieu qui veut que nous soyons des hommes à part entière unis dans l’amour par-delà toutes les barrières de race, de peuple ou de langue.

(homélie inspirée de Drewermann)

 

 

 

La Trinité A 2011

 

La Trinité, c'est de Jésus qu'ils en tiennent la révélation et, certainement, ils y entrent avec toute la ferveur de leur foi, toute la lumière qu'ils ont reçue à la Pentecôte, toute leur ardeur à en témoigner jusqu'au martyre. Il restera néanmoins de toutes ces hésitations de la pensée à cerner le mystère de Jésus une espèce d'équivoque qui planera jusqu'à aujourd'hui sur l'expression du mystère. On peut dire que beaucoup de chrétiens sont matériellement hérétiques, car ils ne conçoivent pas le mystère de Jésus dans sa véritable lumière ou, du moins, l'expriment-ils en des formules qui sont pleines d'équivoques.

Il faut d'ailleurs dire que le Seigneur Lui-même, du moment qu'il parlait à des hommes dont II devait se faire entendre, sinon comprendre, ne pouvait pas brusquer la révélation de la Trinité, et II laissera toujours dans une espèce d'ambiguïté cette notion de Fils de Dieu qui, dans le Nouveau Testament, doit se percevoir à travers plusieurs étapes.

Si vous ouvrez l'Évangile de saint Jean, vous voyez immédiatement dans le premier chapitre que Nathanaël salue Jésus comme le Messie et le Fils de Dieu. Si l'on compare cette pédagogie avec la pédagogie des synoptiques (c'est-à-dire Marc, Luc et Matthieu), si l'on remarque l'importance que les synoptiques donnent à la Confession de Césarée, si la Confession de Césarée apparaît comme quelque chose d'unique aux yeux des Apôtres, comme une révélation sensationnelle qui appellera, de la part de Jésus, l'investiture de Pierre: «Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise», il est de toute évidence que Nathanaël n'a pas pu, dès le premier moment, reconnaître en Jésus le Messie et le Fils de Dieu au sens de la Confession de Césarée.

Il est bien évident que la formulation commune de la divinité de Jésus-Christ donne lieu à des malentendus presque insurmontables. Comment imaginer que Dieu se soit promené sur la terre, que Dieu se soit vraiment déguisé en ouvrier à Nazareth et que, en le regardant et en le montrant du doigt, on eût pu dire de cet homme: «C'est le créateur du monde»? Il y a là quelque chose de tellement énorme, qui passe tellement le sens commun, que la plupart des historiens refusent absolument de se laisser convaincre que l'on peut, par la seule voie de l'histoire, aboutir à admettre cette énormité que Dieu s'est promené sur la terre et qu'on eût pu le montrer du doigt sous une forme humaine comme le créateur du monde.

……….

Nous avons le même problème à franchir : comment admettre qu’un homme qui paraissait tout à fait semblable aux autres, soit Dieu alors qu'à Nazareth II n'a jamais fait sensation au point que, lorsqu'il se manifeste pour la première fois dans la synagogue, les gens s'ébaudissent, ne comprennent pas, se scandalisent, en remarquant qu'il est simplement le fils du charpentier?

Il est clair que le problème se poserait tout autrement si d'abord on avait eu soin de définir le Dieu dont on parle. Il est de toute évidence que si Dieu répond au premier moteur d'Aristote ou à la sphère de Parménide, l'Incarnation est absolument incompréhensible.

Pour entrer dans le mystère de Jésus, il faut se rappeler d'abord que Dieu est au-dedans de nous. Nous le tenons de Jésus dans le dialogue avec la Samaritaine. Dieu n'habite pas derrière les étoiles. Pour la cosmologie d'aujourd'hui, il n'y a ni haut ni bas, et il est absolument incompréhensible qu'on loge Dieu dans un ciel situé au sommet de l'univers.

Saint Augustin nous l'a appris: «Beauté toujours ancienne et toujours nouvelle, trop tard je t'ai aimée ! Et pourtant tu étais au-dedans de moi, mais c'est moi qui étais dehors. Je me ruais vers ces beautés que tu as faites et qui, sans toi, ne seraient pas. Tu étais toujours avec moi. C'est moi qui n'étais pas avec toi.»

«L'Incarnation n'introduit aucun changement dans l'immutabilité de Dieu. L'Incarnation consiste en ceci que Dieu s'est uni à la créature d'une manière nouvelle, ou plutôt, dit-il en se corrigeant fort heureusement, l'Incarnation consiste en ceci que Dieu a uni la créature d'une manière nouvelle à soi. Donc, tout le changement se situe du côté de la créature...» Le changement existe donc du côté de l'humanité de notre Seigneur et aucunement du côté de la Divinité.

Il faut donc retenir comme point de départ absolu que l'Incarnation ne change rien en Dieu, ni dans le Père, ni dans le Fils, ni dans le Saint-Esprit. L'éternelle Trinité est éternellement tout ce qu'elle est et la divinité de Jésus n'est pas autre chose que l'éternelle Divinité elle-même. Il n'y en a pas d'autre, et cette éternelle Divinité est toujours déjà là. Elle est toujours au-dedans de nous-mêmes comme elle est

Ce qui fait donc la différence entre le Christ et nous, si l'on ne peut pas dire de nous en nous montrant du doigt: «C'est Dieu», bien que nous soyons théophores, que nous portions Dieu aussi réellement que l'humanité de Jésus-Christ, ce qui fait qu'au contraire on peut dire de Lui en le montrant du doigt: «C'est Dieu», c'est qu'en Lui l'obstacle a été supprimé, cet obstacle que nous sommes à l'emprise de Dieu sur nous et qui est notre moi propriétaire.

Qu'est-ce qui constitue entre Dieu et nous cette distance infranchissable? Qu'est-ce qui s'oppose à l'accomplissement parfait du Règne de Dieu dans notre vie? C'est que, précisément, nous sommes vissés à notre moi propriétaire, rivés à notre biologie primitive, et que nous ne voulons pas en démordre. Nous prenons pour notre moi authentique ce moi préfabriqué qui nous emprisonne et nous asphyxie; et c'est pourquoi, bien que Dieu soit en nous, nous ne sommes pas en Lui, bien que Dieu ne cesse de nous attirer et de nous attendre, nous Lui demeurons si souvent étrangers que, même convertis, nous retombons sans cesse dans ce moi biologique dès que nous cessons de vivre le dialogue nuptial qui nous met en

Toute la nouveauté de Jésus-Christ, c'est que l’humanité qui éclôt dans le sein de Marie est une humanité entièrement désappropriée d'elle-même, c'est-à-dire qu'il manque à l'humanité du Christ — et ce manque est une immense richesse! — cette fermeture sur soi qui constitue notre moi biologique. L'humanité de notre Seigneur, au lieu d'être fermée sur soi pour constituer un des individus de la race humaine, est ouverte infiniment, en sorte qu'elle répond immédiatement à l'aimantation, à

l'attraction de Dieu qui s'exerce aussi sur nous, mais sans effet tant que nous ne sommes pas là. Comme le dit saint Jean dans l'admirable Prologue de son Évangile : «La lumière luit dans les ténèbres ; les ténèbres ne la saisissent pas... Elle est dans le monde, le monde a été fait par elle, le monde ne la connaît pas. Elle vient chez les siens et les siens ne la reçoivent pas.» Cela veut dire que l'humanité de

notre Seigneur est constituée dans un état de pauvreté absolue.

Donc toute la nouveauté de l'Incarnation, c'est que l'humanité de Jésus est dépouillée de sa propre subsistance, de ce moi humain, de ce moi nature qui nous ferme sur nous-mêmes et fait obstacle à l'offrande de nous-mêmes comme à la pénétration de Dieu dans notre âme, dans notre intelligence et dans toutes nos facultés spirituelles et, à plus forte raison, dans toutes les fibres de notre chair.

La différence entre nous et Jésus c'est que, pour nous, la relation avec la Divinité, la personnalisation par la Divinité à l'occasion d'une rencontre où, dans l'émerveillement, nous prenons conscience d'être suspendus à la Présence divine, n'est jamais totale et ne se produit qu'à de rares intermittences. Il reste néanmoins que c'est là notre vocation à tous, comme à toute créature intelligente, d'avoir finalement son moi en Dieu.

Saint Thomas Test demande pourquoi il ne pourraitf y f avoir plusieurs Christ, pourquoi même tous les hommes ne pourraient être Christ. Tout en admettant que ce n'est pas \ métaphysiquement impossible, il dit non pour la raison que la mission du Christ, en tant que telle, ne peut être qu'une mission universelle. Si tout le monde était Christ, tous ces Christ n'auraient rien à se communiquer, rien à se donner. Or, le sens de la mission de Jésus, éclos dans le sein de Marie dans cet état de dépouillement, est précisément d'avoir à assumer toute l'humanité, d'avoir à prendre la responsabilité intégrale du commencement de l'Histoire jusqu'à la fin, pour faire contrepoids, par sa pauvreté, c'est-à-dire par la surabondance de sa charité, à tous nos refus d'amour.

D'une certaine manière, tous les prophètes, tous les sages, tous les génies, tous les héros constituent une sorte d'incarnation de Dieu, c'est-à-dire que Dieu, d'une certaine façon, se rend présent à travers eux. Mais cette révélation est toujours imparfaite dans la mesure où l'homme le demeure, dans la mesure où il garde les traces de sa biologie primitive. (ce texte est une reprise de diverses méditations de Maurice Zundel)

 

 

 

La fête-Dieu (A) 1984

 

 

La fête. Dieu ! Les plus anciens, vous avez encore à l’esprit les reposoirs et les processions d’autrefois (et les messes dans le cadre merveilleux du parc Bircker). Aujourd’hui notre fête est plus humble. J’aimerais qu’elle soit vraie et profonde, à l’image même de notre Seigneur qui n’a jamais recherché les honneurs. Me permettez-vous de raconter ce qu’il m’est arrivé de vivre mercredi, à l’hôpital.

Ce jour-là en début d’après-midi j’ai donné le sacrement des malades à une dame très âgée, Marie. De là je me suis rendu à un pavillon voisin. Le personnel était en train de prendre le café ; ils m’invitent à leur table. Dans une ambiance sympathique, la discussion se prolonge. Puis chacun, l’heure venue, reprend ses occupations. Restait une infirmière; elle avait envie de m’interroger sur le rôle du prêtre. N’est-il pas vrai dit-elle que le rôle du prêtre est déterminant pour le nombre de pratiquants ? Vous pensez, dis-je, que plus le prêtre est bon, plus il y a de pratiquants ? Il m’était facile de montrer qu’il n’en était rien, qu’il suffisait de regarder en gros les pourcentages de pratiquants. En ville, quelle que soit la valeur des prêtres, il y a environ 10 à 15% de pratiquants beacoup moins en 2011 !); à la campagne il en reste un peu plus. Faisons un rapide compte entre nous. Il y a 1100 habitants au village. Combien sont ici ? Peut-être le quart. Exceptionnellement le tiers. La pratique religieuse obéit à des vagues de fond qu’un individu à lui tout seul ne maîtrise pas. On a vu les églises se vider dans les vingt dernières années et pourtant il existait certainement de bons prêtres en cet espace de temps. C’est dire qu’il y a d’autres raisons qui expliquent le peu de pratiquants.

L’infirmière semblait convaincue par mes paroles. ¨Simplement, ajouta-t-elle, je n’avais jamais regardé les choses sous cet angle¨. Mais tandis que je parlais je commençais moi-même à douter de ce que je disais. En est-il bien ainsi ? On peut citer des exemples contraires. Je pensais au Curé d’Ars. L’infirmière ne connaissait pas le saint Curé d’Ars ! Jamais entendu parler de lui ? repris-je. Jamais, répondit-elle. Je lui explique que ce prêtre, Jean-Marc Vianney, était dans les années 1820-1859 curé du côté de Lyon, à Ars, un petit village de trois cents habitants. Un curé apparemment sans grande envergure au milieu de gens qui avaient perdu l’habitude d’aller à la messe. Or, à force de prier, de jeûner, de patienter et aussi suite à un effort constant pour visiter et rencontrer les paroissiens chez eux, il a réussi à leur faire retrouver le chemin de l’église. Plus que cela, des foules de plus en plus nombreuses envahirent le village et l’église, venant de la proche région et des provinces les plus reculés de la France.

Ce prêtre a dû vivre au contact des gens, remarqua l’infirmière. Certainement, répondis-je, mais le simple contact aurait été insuffisant; il vivait de Dieu, c’est cela qui devait fasciner les gens. Un peu comme d’autres ont été fascinés par le Père de Foucauld ou aujourd’hui par Mère Teresa. Et je me disais : la maigre pratique religieuse aujourd’hui n’est pas une fatalité.

S’il y avait plus d’authentiques témoins de Dieu, de nouveaux Curés d’Ars, il y aurait aussi plus de gens dans les églises. La sainteté doit être contagieuse, comme certaines maladies.

Je pensais aussi à Bernadette de Lourdes. Qui était cette jeune fille sans apparence qui eut la visite de la Sainte Vierge en 1858, l’année qui précédait la mort du Curé d’Ars ? Elle vivait misérablement avec sa famille dans ce qu’on appelait le cachot, une pièce unique qui avait servi de prison à Lourdes. Une famille sans argent qui ne pouvait pas même payer le loyer. Bernadette à 14 ans n’en paraissait que 10. Malingre et asthmatique, elle ne savait pas lire ni écrire. Et pourtant c’est elle, cette petite fille de rien du tout que Dieu avait choisie pour devenir l'interlocutrice de la Vierge Marie, qui entraîna à la grotte de Massabielle tout le bourg et qui fit de la petite ville de Lourdes, inconnue et perdue aux pieds des Pyrénées, l’un des hauts lieux des hauts lieux de la chrétienté.

Voilà deux figures, le Curé d’Ars et Bernadette de Lourdes, qui semblent ne tenir que du ciel, au milieu du siècle dernier, un siècle sans grande lumière, un siècle rivé au sol, marqué par l’athéisme et que commençait à ébranler le choc de l’industrie naissante. Deux figures apparemment aussi banales parmi les hommes que le sont le pain et le vin parmi l’abondance des nourritures terrestres. Elles nous disent ces deux figures que Dieu est capable de faire des merveilles, de soulever des montagnes, de faire éclater la lumière là où personne ne l’attendait, de faire d’un homme et d’une fille les signes de l’invisible, de transformer un peu de pain et de vin pour en faire les supports de sa propre présence. O Seigneur, comme tout cela est merveilleux !

L’homme en ce cas, remarqua l’infirmière, n’est qu’un instrument au service de Dieu.

Elle ne paraissait pas si bien dire. Et je pris conscience à l’instant même qu’il en était de même pour moi. Je me revis une heure plus tôt au chevet d’une vieille femme mourante. En entrant dans sa chambre, l’infirmier qui m’accompagnait, appela ¨Marie¨. Il se pencha vers elle, l’appela plus fort ¨Marie¨; rien à faire, elle restait immobile, couchée de côté. N’eût été le léger mouvement de la bouche à peine perceptible qui rythmait sa faible respiration, on l’aurait prise pour une morte. Plus rien n'apparaissait de ce qui se passe dans le monde des vivants. Alors j’ai dit : ¨ Laisse la dormir¨. Nous avons prié, l’infirmière et moi, puis j’ai pris la fiole d’huile, j’ai humecté le pouce et tout en traçant sur son front et sur ses mains le signe de la Croix avec l’huile, j’ai dit : ¨ Que par sa grande bonté et par sa miséricorde le Seigneur te pardonne tes péchés et te fasse connaître la joie du paradis¨. J’ai senti à ce moment, comme je ne l’ai peut-être jamais senti auparavant, l’énormité de mes paroles. Qui suis-je, moi, pauvre homme pour prononcer de telles paroles, pour dire ¨tes péchés sont pardonné¨ ? J’eus l’impression presque physique qu’un autre habite en moi pour rendre effectives des paroles qui me dépassent infiniment. J’ai compris alors comme jamais que la grandeur du prêtre ne vient pas de lui mais de celui qui l’habite et qui parle à travers sa bouche. Oui, l’infirmière avait bien dit, nous sommes les instruments entre les mains du Seigneur.

De même que je prononçais les paroles de pardon au chevet de Marie, de même tout à l’heure, à l’autel, je dirai sur le pain et le vin : ¨ ceci est mon corps… ceci est mon sang¨, et ces paroles me dépasseront tout autant, infiniment, que celles de l‘absolution. Je ne serai que l’instrument au service du Seigneur qui vient à notre rencontre.

Voilà le mystère que nous fêtons aujourd’hui. Le mystère de Dieu qui se fait si humble, si petit, pour venir au devant de nous sous les apparences les plus banales du pain et du vin.

Ah si nous savions voir !

 

 

Fête-Dieu A 2009-2011

 

 

La présence réelle dans l’eucharistie

(voir Dieu nous est proche de Ratzinger ou le pape Benoît XVI)

Il s’agit de réapprendre sans cesse à dire notre foi. Quand le Christ proclame qu’il est le pain de vie descendu du ciel et que quiconque en mangera vivra à jamais (Jean 6, 48-59), comment le comprenons-nous ? Et plus fort encore au verset suivant : le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. Mangerions-nous en communiant la chair du Christ ? ? Les juifs qui entendaient ces propos se mirent à discuter fort entre eux, ils disaient : comment peut-il nous donner sa chair à manger ? Et Jésus d’enfoncer le clou : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous.»

Je dirai aujourd’hui des choses élémentaires. Celle-ci pour commencer : nous ne mâchons pas la chair physique du Christ, pour la simple raison que ce n’est pas le corps matière qui est dans l’hostie. Tout de même nous ne sommes pas des cannibales ou des anthropophages. Pour répondre à cette manière fausse de voir le repas du Seigneur, certains prennent une position opposée qui est aussi fausse que la première, celle qu’ils combattent; ils disent : puisque le Christ ne peut pas être présent matériellement, dans sa chair ou corps physique, le pain de Dieu que nous mangeons à la messe ne peut être qu’un symbole du Christ, qu’il ne serait présent que dans notre foi; rien ne se passerait dans le réel du pain, l’hostie serait au Christ, ce que le drapeau est à la nation, un signe.

Qu’en est-il en réalité ?

Le Christ est bien présent dans l’eucharistie. Réellement présent. Mais qu’est-ce qu’il faut entendre par réel, par présence réelle ?

On peut dire, et l’Église le dit, et pas seulement l’Église, beaucoup de penseurs aussi, des philosophes et des hommes de science, surtout les physiciens qui passent leur vie à scruter la matière découvrent que le réel ne désigne pas seulement ce qui est mesurable et quantifiable. La matière qui se laisse saisir n’est en réalité que la face visible du mystère caché de l’être. De Beauregard, un physicien français a cette belle expression, il dit que le réel est voilé et qu’en dernière analyse il échappera toujours à nos prises.

Regardez l’homme, vous, moi; il y a ce qui se voit avec les yeux du corps : que vous êtes homme ou femme, que vous avez telle hauteur, telle grandeur, telle couleur de peau ou de cheveux. Ce sont les apparences. Et il y a le fond de chacun, ce qui fait sa vie propre, qu’il est lui et pas un autre, sa richesse, ce qu’il est au fond de lui. Les mystiques reconnaissent avec saint Augustin que Dieu est plus intérieur à moi que je ne le suis moi-même. Quand j’accompagne un enterrement jusqu’au cimetière et que le cercueil se trouve posé sur le trou béant de la terre, j’ai l’habitude de dire : ce qui va être mis en terre, vous le savez bien, c’est la dépouille mortelle, l’enveloppe charnelle, ou pour employer le mot du Petit Prince, son écorce, ou encore le vieux corps, mais pas lui, Jacques, Paul ou Jeanne. Sera mis en terre ou brûlé ce qui reste de lui, la matière, la corporéité, quand lui a pris son envol. Lui ou elle, pas son âme comme on dit la plupart du temps, mais ce qui constitue son être véritable, le réel de la personne, son âme, son esprit et son corps, pas le corps matériel, mais le corps transfiguré dans la lumière divine, ce que Paul, l’apôtre Paul, appelle le corps spirituel.

Alors, quand le pain - les hosties - s’ouvre à Dieu, comme le corps de Marie s’est ouvert à Dieu à l’Annonciation. Il s’ouvre plus précisément au corps du Christ, tel qu’il fut transformé dans la résurrection, car le Christ n’existe plus autrement qu ressuscité - il est ressuscité une fois pour toutes; le pain est pareillement au cours de l’eucharistie élevé dans un ordre supérieur; il est élevé au rang de Dieu et devient véritablement pain de Dieu. Quand nous absorbons un aliment ou buvons une boisson, la matière pénètre en nous et devient tout en restant ce qu’elle était, partie intégrante de notre corps; elle connaît un changement important, elle est humanisée. Comme le pain de la messe est divinisé au cours de la consécration.

Il en va ainsi de toutes choses. Voyez la pietà de Michel-Ange, c’est toujours du marbre, mais le bloc de marbre taillé par la main de l’homme devient une œuvre d’art; la matière brute a été comme élevée au rang d’un chef d’œuvre et exprime une réalité nouvelle, autre, comme si un souffle nouveau l’animait de l’intérieur.

Ces réflexions entraînent une conséquence de taille : là où le Christ s’est rendu présent, il n’est pas possible que rien n’ait changé. Là où il a posé sa main quelque chose de nouveau advient. Appliquons ce la à nous. Être chrétiens c’est s’ouvrir au Christ, c’est se laisser transformer par lui. Voyez où cela entraîne, à quelle conversion nous sommes appelés.

Saint Paul que nos fêterons bientôt, nous savons par le récit des Actes des Apôtres comment sa vie a totalement été bouleversée lors de sa rencontre avec le Christ sur le chemin de Damas. Être chrétien n’est pas un ornement, mais une transformation radicale en Christ. Et à travers nous c’est toute la création qui se trouve comme ensemencée pour de nouvelles récoltes, illuminée par nous d’une lumière divine. Comme si la terre nouvelle et le ciel nouveau dont parle l’Apocalypse descendait et s’établissaient chez nous. Amen.

 

                                   

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