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12ème dimanche ordinaire (A) 19 juin 2005

 

 

¨ Les cieux chantent la gloire de Dieu¨ XX 181.

Majesté et beauté de la nature invitent à chanter le Créateur et à lui rendre grâce, lui qui nous a tout donné. Il est notre bonheur lui seul (ps 16, 2).

Par contraste on pourrait faire dire au prophète : Dieu, tu es mon malheur – tu me désespères et me tues.

XX est le XX de la plainte, de l’angoisse, du désespoir, de la solitude. Les puissants s’en prennent à sa vie, le menacent, ses proches même l’abandonnent.

Seul Dieu reste près de lui, mais il ne l’éprouve pas comme un ami, une aide, une main secourable ; Dieu semble l’écraser plutôt, de l’aimer à son triste sort. Quand il pense à lui, c’est pour pleurer et gémir. Et tout cela, parce qu’il s’est appuyé sur lui dès son jeune âge, qu’il n’a pas voulu être du nombre des prophètes officiels – de ceux qui applaudissent la politique, qui recherchent les honneurs et la gloire.

 

Il aurait pu faire carrière, réussir auprès du roi. Mais ce n’est pas à cela que Dieu l’a destiné ; il voulait faire de lui son manager auprès du roi, auprès des prêtres et du peuple :

Alors il se rebiffe : ¨ Ah, Seigneur, mon Dieu, vraiment je ne sais pas parler, car je suis un enfant¨.

Mais Dieu le reprend :¨Ne dit pas : je suis trop jeune, car tu iras là où je t’envoie ; et tout ce que je t’ordonnerai, tu le feras¨.

Avec quelle haute conscience de soi Jér a t-il dû recevoir ces mots du Seigneur : ¨Voici que j’ai placé mes paroles en ta bouche¨

Le voici en charge, établi sur les nations et les royaumes pour ¨ arracher et renverser, pour exterminer et démolir, pour bâtir et planter¨ (1 , 9).

 

Alors le prophète se lève autour de l’an 600 avant Jésus-Christ un peu avant et un peu après – 7ème siècles avant Jésus-Christ – à l’époque où la puissance de Babylone se fait menaçante. Jér avertit son roi de Jérusalem – Joachim – de ne pas bâtir sa maison sur l’injustice, de ne pas maltraiter ses citoyens, de verser le salaire juste aux travailleurs, de ne pas répandre le sang innocent, de ne pas écouter les paroles mensongères des faux prophètes.

Mais Jér se fait mal voir ; on le prend pour un prophète de malheur, un diseur de mensonge – on brûle ses paroles écrites – on l’arrête, on le frappe, la police le met au carcan.

A peine remis en liberté, il recommence à s’en prendre au dernier roi de Juda avant l’exil, Séolécias, mis en place par le tout puissant XXX, roi de Babylone.

Les princes et puissants le vouent à la mort : il doit être exécuté disent-ils, il décourage les derniers combattants.

On le jette dans une citerne, il en est libéré ; il s’enfuit en Egypte – et malgré les mille traces il reste fidèle au Seigneur et prêche la confiance dans la pire détresse.

Non sans se plaindre. Ce sont les fameuses confessions de Jér ¨Malheur a moi, au jour qui m’a vu naître et à ma mère qui m’a mis au monde !¨ 15 , 10

C’est là dans la misère qu’il fait l’expérience de Dieu, comme Jog, son frère. Jamais il ne désespère totalement : Guéris-moi, Seigneur, et je serai guéri ; sauve-moi, et je serai sauvé¨ 17, 14 – Et finalement tu m’as séduit et je me suis laissé séduire…

 

Il est l’image XXX du XX persécuté, abandonné, condamné mais totalement remis entre les mains du Père.

Pourquoi est-ce que je parle ainsi ? Il y a le texte et il y a la visite au musée de Saint Hubert…C’est cet homme que Albert Weisgerber n’a cessé de peindre dans les 2-3 années qui ont précédé sa mort.

Quand on entre dans la grande salle, on ne peut pas ne pas être saisi par la force de plusieurs des peintures.

Le prophète est à terre, comme les combattants de Verdun et de la Somme, et plus loin, ce qu’on découvrire trente ans plus tard dans les camps de la mort.

Le thème n’est plus la ruine de Jésus, mais l’exil des Juifs après la chute de la ville, leur marche vers la mort sur une terre qui n’est plus la leur comme si Albert Weisgerber avait vu d’avance les horreurs du 20ème siècle.

12ème dimanche ordinaire 2002 (A)

 

¨Ne craignez pas les hommes ; tout ce qui est voilé, sera dévoilé… ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent pas tuer l’âme…Votre Père du ciel veille sur vous¨

Si Mathieu parle ainsi c’est que les chrétiens à qu’il s’adresse quelque 40 ou 50 ans après la mort du Christ éprouvent des résistances, qu’ils subissent des persécutions et des XX. Il veut les réconforter, leur permettre de relire leur vie à la lumière du message de fins et de comprendre pourquoi il en est ainsi : quelles que soient leurs difficultés, ils restent sous la protection du Père, ce Père est avec eux, rien n’arrive qui soit inutile : ¨Même vos cheveux sont comptés. Soyez donc sans crainte.¨

 

Ces paroles touchent de nombreuses communautés chrétienne qui à travers le monde connaissent la persécution religieuse ou politique, la discrimination sociale ou juridique – ceux de Palestine, par exemple, à qui j’ai eu la chance de rendre visite en avril dernier : ils ne sont pas juifs comme la plupart des Israéliens, ni arabes comme la plupart de leurs frères de sang. Les chrétiens du Soudan n’ont pas la vie facile comme aussi dans bien d’autres pays d’Afrique noire où les musulmans sont largement majoritaires. Pareil au Sri Lanka, en Indonésie, dans certains états de l’Inde, au Vietnam, en Corée du Nord, en Chine, au Pakistan… On pourrait allonger la liste de ces communautés de frères chrétiens que nous qui vivons dans un relatif confort risquons d’oublier.

Est-ce à dire que nous ne serions pas concernés par les paroles de l’évangile ? Loin de là ; même si nous ne sommes pas persécutés, les exigences de la mission nous incombent tout autant. Parce que suivre le Christ et l’Evangile est toujours une expérience cruciale.

D’abord parce qu’elle est de l’ordre le choix décisif qui engage nos existences. Mais aussi, et peut-être surtout, parce que le chemin du disciple passe toujours par la croix. Probablement par la croix du martyre violente et brutale, mais bien la plongée dans le mystère XX où chacun doit faire face à ce qui nous enferme en nous-même – le repli sur soi et l’égoïsme – pour nous ouvrir aux autres dans une attitude de justesse et de fraternité – ce qui ne pas de soi.

 

Le contexte dans lequel a écrit Mathieu est très bien différent. Les chrétiens étaient alors confrontés à la persécution. Il s’agissait alors de les réconforter, d’appeler au courage : ¨ ne craignez pas, XX ) confiance dans le Dieu¨ . Chez nous, aujourd’hui, c’est sans doute moins le refus explicite et agressif que l’indifférence polie et l’effacement qui brouillent l’annonce évangélique. Il y a quelques années, il suffisait de transmettre ce qui nous avait été donné et ça fonctionnait : les enfants devenaient chrétiens comme l’étaient les parents. Aujourd’hui il n’en va plus ainsi : on ne peut plus que proposer ce que nous aurons nous-même d’abord expérimenté, ce que nous aurons médité, contemplé et par quoi nous aurons d’abord été transformés : cela nous pourrons le proposer comme une bonne nouvelle.

 

Il ne suffit plus pour les parents de dire aux enfants : va à la messe, va au catéchisme. Il s’agit pour les parents d’être des exemples pour les enfants. Alors voyant leurs parents, leur manière d’être et de prier, leur manière d’être présent dans la cité, le quartier, la communauté chrétienne, les enfants auront quelque chance de pouvoir suivre l’exemple des adultes.

Récemment un jeune de lycée s’est fait racketter par une bande. Son père a cherché a les rencontrer, les jeunes de la bande. Résultat : il s’est fait tabasser et a passé une semaine à l’hôpital.

Le fait a été rapporté et discuté en aumônerie dont fait partie le jeune en question qui a été racketté. ¨Même si on est chrétien, disent les jeunes, on n’a pas envie de leur trouver des excuses¨.

A la réunion suivante, le jeune victime de l’agression prend la parole : ¨J’ai réfléchi : ces agresseurs, ils sont de mon âge, ils sont trop jeunes pour aller en prison. Ils sont de la cité d’à côté. Ils n’ont pas eu beaucoup d’affection de leurs parents, ils ont été en échec scolaire et on été renvoyés du collège. Ils se sentent rejetés de partout. Avant je ne connaissais par leurs problèmes¨ Cette attitude n’été un témoignage pour tout le groupe qui se préparait à la confirmation. Je ne dit pas qu’il faut penser de la même façon mais n’est-ce pas ainsi qu’on peut entendre la parole de Jésus : ¨Celui qui se prononcera pour moi devant les hommes¨ ?

 

¨Qui veut garder sa vie pour soi la perdra¨

Pour l’homme vivre, c’est avant tout éviter la mort contre laquelle nous nous heurtons qui est ressentie comme l’échec suprême comme si elle était le dernier départ. Voyez la somme d’énergie qu’on met à lutter contre la mort ou la maladie, ce qui revient au même. La somme d’énergie et d’argent. Si on mettait autant d’énergie à entrer dans ce que le XX nous invite à prendre pour l’essentiel : l’échanger d’amour avec le Père, car c’est là, dans cet échange, que se constitue une nouvelle forme d’existence, une sur-vie, infiniment plus réelle que ce que le monde nous propose – sur-vie au sens de plus de vie.

 

Je reste accroché aux mort du XX :¨Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi¨ et veux comprendre.

Dans un premier temps je me dis, il y a là une prétention du XX qui va au-delà du permis. Les liens de famille seraient-ils annulés au profit de nos rapports à Dieu se peut-il que Dieu s’oppose aux liens du mariage ? Dieu n’est tout de même pas contre le mariage ?

Alors comment comprendre ?

 

Jésus ne fait concurrence à personne, il vise la constitution d’une famille nouvelle composée de ceux qui font le choix de le suivre et dont le principe d’unité est l’obéissance un peu : Quiconque fait la volonté du Père qui est aux Cieux, c’est lui mon frère, ma sœur, ma mère¨. Autrement dit il y a des famille terrestres dont les signes sont les maisons ou les appartements d’un quartier, d’un village, d’une ville et il y a pour tous une maison unique, l’Eglise, la nouvelle famille des enfants de Dieu de ceux qui cherchent à faire la Volonté du Père. Faire la volonté du Père est comme une gloire au cœur de nos relations les plus précieuses, pour voir naître des liens d’une autre parenté. Et cela nous confère notre dignité : Jésus au fondement de tout, découvrir que la vie nous vient de Dieu qu’elle est un don, qu’il nous appelle, là est la vérité de notre vie.

 

¨Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suis pas n’est digne de moi¨ Paroles dures.

On reproche parfois aux chrétiens de vouloir entretenir le sens de la douleur, de la culpabilité, de la souffrance, comme s’il fallait souffrir pour mériter le ciel.

Pourtant il ne s’agit pas de perdre sa vie, mais de la garder pour le XX , d’être un vivant avec lui.

Non pas le suivre comme on traduit, mais marcher avec lui, l’accompagner. Non pas suivre comme ferait un esclave, non pas se laisser anéantir ou mourir – il ne s’agit pas de s’anéantir, mais décider de venir comme on est, d’assumer sa vie, de dire ¨Je¨ et d’¨être avec¨ Jésus, d’inventer sa vie avec lui. Alors prendre sa croix sera aller jusqu’au bout des situations où l’on est engagé, aimer la vie, sa vie dans la vérité.

Consentir sans crispation, s’abandonner à Dieu, aux événements qui vont imposer un renoncement matériel, affectif ou social que l’on n’a pas cherché, qui est obstacle, qui nous blesse… Jamais se résigner. Se résigner n’est pas bon.

 

 

 

13ème dimanche ordinaire 2002 (A)

 

¨Qui veut garder sa vie pour soi la perdra¨

Pour l’homme vivre, c’est avant tout éviter la mort contre laquelle nous nous heurtons qui est ressentie comme l’échec suprême comme si elle était le dernier départ. Voyez la somme d’énergie qu’on met à lutter contre la mort ou la maladie, ce qui revient au même. La somme d’énergie et d’argent. Si on mettait autant d’énergie à entrer dans ce que le XX nous invite à prendre pour l’essentiel : l’échanger d’amour avec le Père, car c’est là, dans cet échange, que se constitue une nouvelle forme d’existence, une sur-vie, infiniment plus réelle que ce que le monde nous propose – sur-vie au sens de plus de vie.

 

Je reste accroché aux mort du XX :¨Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi¨ et veux comprendre.

Dans un premier temps je me dis, il y a là une prétention du XX qui va au-delà du permis. Les liens de famille seraient-ils annulés au profit de nos rapports à Dieu se peut-il que Dieu s’oppose aux liens du mariage ? Dieu n’est tout de même pas contre le mariage ?

Alors comment comprendre ?

 

Jésus ne fait concurrence à personne, il vise la constitution d’une famille nouvelle composée de ceux qui font le choix de le suivre et dont le principe d’unité est l’obéissance un peu : Quiconque fait la volonté du Père qui est aux Cieux, c’est lui mon frère, ma sœur, ma mère¨. Autrement dit il y a des famille terrestres dont les signes sont les maisons ou les appartements d’un quartier, d’un village, d’une ville et il y a pour tous une maison unique, l’Eglise, la nouvelle famille des enfants de Dieu de ceux qui cherchent à faire la Volonté du Père. Faire la volonté du Père est comme une gloire au cœur de nos relations les plus précieuses, pour voir naître des liens d’une autre parenté. Et cela nous confère notre dignité : Jésus au fondement de tout, découvrir que la vie nous vient de Dieu qu’elle est un don, qu’il nous appelle, là est la vérité de notre vie.

 

¨Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suis pas n’est digne de moi¨ Paroles dures.

On reproche parfois aux chrétiens de vouloir entretenir le sens de la douleur, de la culpabilité, de la souffrance, comme s’il fallait souffrir pour mériter le ciel.

Pourtant il ne s’agit pas de perdre sa vie, mais de la garder pour le XX , d’être un vivant avec lui.

Non pas le suivre comme on traduit, mais marcher avec lui, l’accompagner. Non pas suivre comme ferait un esclave, non pas se laisser anéantir ou mourir – il ne s’agit pas de s’anéantir, mais décider de venir comme on est, d’assumer sa vie, de dire ¨Je¨ et d’¨être avec¨ Jésus, d’inventer sa vie avec lui. Alors prendre sa croix sera aller jusqu’au bout des situations où l’on est engagé, aimer la vie, sa vie dans la vérité.

Consentir sans crispation, s’abandonner à Dieu, aux événements qui vont imposer un renoncement matériel, affectif ou social que l’on n’a pas cherché, qui est obstacle, qui nous blesse… Jamais se résigner. Se résigner n’est pas bon.

 

 

 

 

14ème dimanche ordinaire (A) 3 juillet 2005

 

 

Je ne sais si vous avez remarqué que la première lecture des dimanches commence souvent avec ces mots : le Seigneur dit ou Dieu dit. Et le lecteur conclut chaque fois après les deux premières lectures : parole du Seigneur. A quoi vous répondez : nous rendons grâce à Dieu. Et quand l’Evangile est terminé le prêtre dit : acclamons la parole de Dieu et vous répondez louange à toi Seigneur Jésus. Dieu nous parle. Et pourtant nous restons sceptiques et avons du mal à croire que Dieu nous parle vraiment. Combien de fois ai-je déjà entendu depuis les 40 ans que je suis prêtre des doutes à ce sujet. A propos des morts on entend dire : que nous sommes en communication avec lui ? personne jamais n’est revenu sur terre, mais si Dieu nous parle et en particulier Jésus, n’est-ce pas nous dire ce qu’il a vu ! Qu’en est-il en réalité : Dieu nous parle-t-il ?

Et si Dieu nous parle, comment cela se passe-t-il ? Il semble que cela soit devenu pratiquement incompréhensible pour nos contemporains, difficile à concevoir, peut-être même sans intérêt. On pourrait dire qu’avant de poser les questions de savoir ce que l’on veut dire exactement par ces mots : Dieu nous parle, on pourrait poser cette autre : y a-t-il quelque chose comme ¨Dieu¨, sommes nous nécessairement en rapport avec lui, y a-t-il nécessairement une expérience religieuse originelle en l’homme, qu’elle soit réfléchie ou non ? – Mais n’allons pas trop loin. Au cours de notre éducation religieuse, nous avons tous à un moment donné entendu dire que Dieu parle à un homme : Moïse, par exemple, sur le mont Sinaï, ou durant la longue marche à travers le désert, Dieu lui a parlé de multiples fois, ou les prophètes Ysaïe, Jérémie, XX, pour ne cités que quelques exemples Dieu leur a parlé et eux sont alors allés au-devant du peuple pour lui répéter ce que Dieu leur avait dit.

C’est ici que commence la difficulté. Il existe une façon traditionnelle de se représenter ce dialogue avec Dieu à laquelle il nous faut un peu réfléchir pour nous demander à quoi cela ressemble. C’est comme s’il existait un monde profane qui trouverait sans que Dieu intervienne.

Et à un moment précis de son histoire, le Dieu vivant choisirait telle personne qu’on appelle prophète et leur ferait part d’un message. Ces prophètes découvrent que ces messages leur viennent de Dieu, ils en font part à d’autres, ils la transmettent et les rendent crédibles parce que nous appelons des ¨miracles¨. Moïse a fait des choses extraordinaire, les autres prophètes aussi – c’est pourquoi le peuple les a tenus comme des messagers de Dieu. Un peu comme ça se passe aujourd’hui avec Mère Teresa – elle a fait de grandes choses, tout particulièrement dans les mouroirs de XXX – comme l’Abbé Pierre avec les exclus de la Société, Jean-Paul II aussi qui continuait de sillonner le monde et d’apporter sa parole réconfortante alors qu’il n’en pouvait plus…leur vie dans chaque cas fait comme si leur parole venait de Dieu

 

Il y faut bien sûr la grâce, pour voir les choses ainsi, la grâce de la foi. Et alors je découvre ceci qu’est beau, Dieu ne parle pas seulement à travers Moïse ou les prophètes ; pas seulement à travers Jean-Paul II, Mère Teresa ou l’Abbé Pierre… Dieu se communique de façon habituelle à tout homme, dans la profondeur l’existence spirituel humaine. Et cela ne se passe pas seulement de temps en temps – chez des personnes qui seraient des privilégiés – ceux qu’on appelait autrefois les prophètes – c’est quelque chose qui est donné a priori à tout homme toujours et partout.

Oui Dieu parle toujours et partout, que ce soit reçu en toute liberté ou que ce soit refusé. Je pourrai dire que Dieu est le dynamisme le plus intérieur du monde et de l’esprit de l’homme. Même là où l’homme ne réfléchi pas du tout, même là où il ne peut absolument pas le dire, Dieu se communique gracieusement. Là nous touchons à quelque chose de fondamental, à la manière de Dieu de se communiquer gracieusement.

Dieu se communique lui-même gracieusement.

Pouvez-vous imaginer que tout homme – qu’il y réfléchisse ou qu’il ne puisse absolument pas se le dire – possède au plus profond de lui un dynamisme ultime de son existence spirituel ?

Pouvez-vous imaginer que l’homme, lorsqu’il agit, lorsqu’il aime, lorsqu’il se pense responsable, lorsqu’il cherche, lorsqu’il interroge, lorsqu’il met en œuvre sa liberté de façon responsable, on trouve finalement ajusté à ce mystère indicible, insaisissable que nous appelons ¨Dieu¨ ?

Et pourquoi cette recherche inlassable en moi ?

Sinon parce que Dieu me précède et que ma vie n’est rien d’autre qu’une éternelle divine. Il n’est pas seulement celui qui, en tant que lointain éternel, met et maintient le monde en mouvement, mais aussi celui qui est proche de moi, que je n’ai pas à aller chercher ailleurs, au-delà des mers ou par dessus les cieux ; il est caché au creux même de ma vie, au tréfonds de moi, dans le secret de mon âme. Et je peux l’écouter, si je veux, et il me parle.

 

S’il en est ainsi et comment en serait-il autrement ? Dieu se communique à chaque instant au cœur de ma vie et au cœur de chaque homme.

 

 

 

15e dimanche ordinaire 1996 (A)

 

 

Une fois de plus il s’agit du passage de Jésus, de sa rencontre dans la foi. Autrement dit Jésus passe dans nos vies chaque jour, chaque heure. Il passe aux moments de bonheur comme dans la peine. Mais le reconnaissons-nous ? Et si tel était le but de notre rassemblement, la messe du dimanche : chercher les signes de son passage ?

Le Seigneur vient à notre rencontre chaque jour, il nous appelle.

Mieux, il nous habite.

Encore faut-il en prendre conscience.

Eh bien, nous sommes ici réunis pour cela, pour en prendre conscience.

L’homme, vous, moi, nous sommes bien plus que ce qui en paraît au premier abord : des êtres finis, livrés à l’ennui, lourds de lassitude. Il y a cela, la pesanteur, la pesanteur de la vie, mais il y a aussi, en même temps la grâce, comme un appel de l’infini, une invitation au grand large.

Il suffit en ce temps d’été d’un petit rayon de soleil pour que toute la terre soit transformée.

Il suffit de regarder un arbre pour être ébloui, d’écouter chanter un oiseau ou de marcher sur le bord de la Sarre… et quoi de plus merveilleux que l’amitié ?

Quand on entend dire que les faits prouveraient que l’homme s’en tire très bien, même sous cette présentation à l’infinité, que la terre lui suffit. Alors on fait référence à des hommes qui n’ont pas encore pris la mesure de la prison que représente leur finitude.

Personne ne saurait se contenter seulement de ce qui vient de la terre. Car il y a en nous des germes d’éternité.

Ceux précisément que sème Dieu.

Nous voici au cœur de l’Évangile d’aujourd’hui – de la parabole ou histoire du semeur. Jésus avait l’habitude de parler aux paraboles.

Dieu est le semeur – il s’agit d’une image évidemment qui veut dire que Dieu sème.

Que sème-t-il ? – Sa parole. Il la sème partout. Autrement dit : Dieu parle et il parle abondamment, mais discrètement.

Comment Dieu parle-t-il ?

Il parle à travers la création. Saint Paul le dit si bien : ce qu’il y a d’invisible se laisse voir à travers ce qui est visible. Un lever de soleil, la terre qui lentement passe des ténèbres au jour, les formes qui sortent de l’ombre, le murmure d’un ruisseau, un reflet d’arbre dans l’eau…Tant de beautés terrestres qui parlent de l’unique beauté invisible.

Dieu parle surtout à travers Jésus – c’est lui Jésus la Parole de Dieu.

L’accueillir lui, tel qu’il se montre à qui médite l’Écriture, c’est accueillir la Parole de Dieu.

Mais le résultat de la Parole de Dieu dépend du terrain où elle tombe – c’est ce qu’explique Jésus : elle peut tomber sur le chemin - résultat : zéro.

Elle peut tomber sur le sol pierreux – résultat : zéro.

Elle peut tomber dans les ronces – résultat : zéro.

Elle peut enfin tomber dans la bonne terre : là elle porte du fruit en abondance.

Mais Dieu parle aussi - et de la façon la plus habituelle - à travers autrui : mes proches, mes voisins, ceux que je rencontre dans la vie quotidienne, on l’oublie : l’autre est le sacrement de Jésus. Comme Jésus renvoie au Père : "Qui me voit, voit le Père’’. L’autre renvoie à Jésus Christ : ¨Ce que vous faites au plus petit, c’est à moi que vous le faites¨ Saint Vincent de Paul (1581-1660) disait à ses premières filles : ¨Ce n’est point quitter Dieu que de quitter Dieu pour Dieu.

L’erreur des Musulmans et des Juifs, c’est justement de loger Dieu dans un ciel, un ciel tellement lointain, qu’il n’a plus aucun rapport avec nous. Non, Dieu ne trône pas au-dessus des nuages et des étoiles. Il est au-dedans de nous Saint Augustin a bien compris cela : plus intérieur à moi que je le suis moi-même.

Le miracle de Jésus ce n’est pas qu’en lui Dieu se rend présent à l’homme – Dieu depuis toujours est là présent aux hommes, mais l’homme est absent de Dieu. En Jésus l’homme est devenu infiniment présent à Dieu :

Évidement il y a des hommes qui respirent Dieu plus que d’autres. Notre vrai moi est en Dieu. ¨Je suis un autre¨ : oui, l’autre en moi c’est Dieu… Mais je suis si peu transparent… Heureusement il y a les saints…Les moines de Tibhirine, Bernadette de Lourdes…

 

 

16e dimanche ordinaire A 1992

 

                                                                Crime et Châtiment.

 

Chers amis,

On nous a appris depuis le plus jeune âge que Jésus Christ est venu nous sauver, qu’il est le Sauveur. Que veulent dire ces mots : salut, sauver, sauveur. Peut-être seriez-vous comme moi dans l’embarras pour le dire de façon précise, si l’on vous demandait des explications. Je vais essayer de vous livrer quelques XXX, non pas définitives, mais des amorces, comme un commencement de réflexion qu’il nous faudra poursuivre.

Sauver quelqu’un, c’est le tirer d’un mauvais pas, d’une noyade par exemple. ¨Il m’a sauvé la vie¨, dit-on encore du médecin qui grâce à son intervention empêche la mort. On peut encore sauver quelqu’un du désespoir. On peut, lors d’un incendie, sauver des meubles. Ou lors d’un accident s’en tirer sain et sauf. Un entrepreneur peut encore sauver son entreprise, tout cela on le comprend facilement. Mais de quel mauvais pas Jésus Christ nous tire-t-il ?

S’il est notre sauveur, c’est donc que sans lui nous serions perdus. Mais perdus comment, en quoi ? Et comment nous tire-t-il de la perdition ?

Les jours-derniers un roman russe du siècle dernier, Crime et Châtiment de XXX – dimanche dernier je vous ai parlé de l’idiot, roman du même écrivain, Crime et Châtiment m’a aidé à mieux comprendre ce que veut dire : Dieu nous sauve, et j’aimerais vous dire ce que j’ai compris.

De quoi s’agit-il dans ce roman ?

Au début de juillet des années 1860, alors qu’il fait une chaleur suffocante sur Saint Peters bourg, XXX un étudiant qui vit dans la misère d’une minuscule mansarde, en proie au délire et mû par de mystérieuse mobiles, assassine de sang froid une vieille ouvrière.

Par ce geste il pensait mettre la main sur l’argent de la vieille et aussi subvenir sans problème à la suite de ses études. Ce ne serait que justice, pense-t-il. En effet les millions de XXX – une énorme fortune à l’époque – dorment chez cette vieille ouvrière méchante, avare et fantasque, sans servir à rien, tandis qu’ils lui serviraient à lui. Tuer cette vieille et prendre son argent pour le consacrer ensuite au service de l’humanité entière, ne serait-ce pas un acte bon qui effacerait aussitôt ce qui ne serait qu’un petit meurtre ?

Effectivement, XXX passe à l’acte. Il réussit à s’introduire dans l’appartement de la vieille, à coup de hache il lui XXX le crâne et réussit à s’enfuir ni vu ni connu. Le crime apparemment est parfait, sauf qu’au lieu de s’emparer de l’argent, il n’emporte que quelques objets sans valeur, des vétilles qui ne lui seront d’aucune utilité – l’argent était pourtant là à portée de main et que le crime au lieu de le libérer – la chère liberté qu’il croyait conquérir, fait de lui un piteux esclave. Il se traîne sur le chemin du retour comme un damné de la terre. Il ne raisonnait plus et ne pouvait d’ailleurs plus raisonner sur rien ; de tout son être il sentit soudain qu’il n’avait plus ni liberté de jugement, ni volonté, que tout venait ainsi de s’écrouler. Il sombre dans un état de fièvre et de demi-conscience, proche de la folie, un état qui inquiète des proches et les familiers. Le voici en enfer, au lieu du ciel espéré.

Qui va le tirer de là. Qui va le sauver ?

Sonia, une fille de 16 ans, l’aînée d’une famille qui se traîne dans une misère encore plus grande que celle de XXX. Pour aider les siens, Sonia se livre à la prostitution, pas de bon cœur. Elle reste pure au milieu de la débauche

¨Le vice n’avait même pas effleuré son cœur¨ , remarque XXX.

Et quand il lui demande lui qui a rejeté Dieu, si elle prie souvent Dieu, elle répond : que serais-je sans Dieu¨ . C’est à elle que XXX ouvre son cœur :

¨Ce n’est pas pour aider ma mère que j’ai tué lui explique-t-il, ce n’est pas non plus pour devenir le bienfaiteur de l’humanité, après avoir obtenu les moyens et le pouvoir, que j’ai tué.

J’ai simplement tué, tué pour moi, pour moi seul(…). Il fallait que je sache au plus vite si j’était une vermine comme tout le monde ou un homme, un vrai homme. Suis-je une tremblante créature ou ai-je le droit de tuer ?

La tentation à laquelle XXX a succombé n’est autre que celle d’Adam et d’Eve, mangeant le fruit défendu pour devenir comme Dieu, ou celle des habitants de Babel cherchant à élever une tour aussi haute qu’elle leur permît de conquérir par eux-même le ciel.

XXX au fond ne voulait rien moins qu’être Dieu lui-même ; fixer lui-même les limites du bien et du mal. Mais on ne franchit pas impunément les bornes de la condition humaine. Au lieu d’en sortir vainqueur, il XXX le plus misérable des prisonniers, prisonnier de lui-même.

Jour et nuit le forfait, dont il aurait voulu être fier, le poursuit dans sa conscience, ne lui laissant plus un instant de répit Il a tué la vieille, mais plus encore il s’est tué lui-même

¨Là, dit-il encore à Sonia, je me suis exterminé pour l’éternité…C’est le diable qui a tué la vieille, ce n’est pas moi¨.

Mais l’enfer où il s’est précipité n’est pas encore irrémédiable Sonia peu à peu va l’avertir.

¨Va, tout de suite, à l’instant, au carrefour, prosterne-toi, embrasse d’abord la terre que tu as souillée ; incline-toi, alors, devant le monde entier, dans les quatre directions et dis à tous, à haute voix : j’ai tué. Alors Dieu t’enverra à nouveau le salut¨

 

Son orgueil ne sera pas brisé d’un coup, il lui faudra le temps et le courage pour baisser l’échine, mais la voie que Sonia lui a révélé se réalisera point par point. Il prend d’abord la Croix que Sonia lui a promise lors de la première entrevue et qu’elle met à son cou, puis il s’agenouille au milieu de la place Sennoï qu’il a tant de fois traversée et embrasse la terre sale avec bonheur et délice, avant de se livrer à la police et d’avouer :

¨C’est moi XXX qui ai tué à coups de hache, pour la voler, la vieille veuve de fonctionnaire¨

Le reste, c’est-à-dire l’essentiel, le retournement définitif, la résurrection à la vie nouvelle s’opérera au bagne, en Sibérie où Sonia l’accompagne librement, comme Marie autrefois avait accompagné librement son fils Jésus au Calvaire. Il ne sut pas comment cela se passa, raconte XXX, mais il ressentit soudain soulevé par une force inconnue et jeté aux pieds de Sonia. Il pleurait et étreignait ses genoux. Au premier moment, elle s’effraya terriblement et son visage devenait mortellement pâle. Elle bondit et toute tremblante, elle se mit à le regarder. Mais immédiatement, à l’instant même, elle comprit tout. Un bonheur infinie brilla dans ses yeux…Les deux visages couverts de pleurs s’auréolaient déjà du renouveau futur, de la résurrection totale à une vie nouvelle. L’amour les avait ressuscités ; le cœur de l’un contenait des sources intarissables de vie pour l’autre.

Et je me disait en refermant le livre : le salut, c’est bien cela, se sentir renaître au cœur de la détresse – et il n’y a pas de détresse trop profonde où Dieu ne puisse avouer sa place, ni le crime, ni la débauche, ni les mille et une lâcheté de ma vie ordinaire.

O Seigneur, puis-je seulement découvrir à travers un visage ainsi que tu m’aimes, car l’amour seul est capable de nous mettre debout sur les chemins nouveaux. Amen

 

 

17e dimanche ordinaire (A)

 

Le Royaume de Dieu. Depuis plusieurs dimanches. Jésus nous parle du Royaume de Dieu – disons du ciel – pour nous dire quoi ? Eh bien, d’abord que le ciel ce n’est pas seulement ni surtout pour après la vie - et là il nous faut faire un effort, car que nous le voulions ou non, nous reléguons d'ordianire le ciel parmi les réalités dernières, espérant au fond de nous que nous aurons à faire avec lui le plus tard possible . Or le Christ nous dit que le ciel ce n’est pas pour demain, ni après-demain, mais pour maintenant.

Souvenez-vous de la parabole du semeur : le ciel est là, il dépend seulement de la qualité de notre cœur pour que le blé du Royaume puisse y germer, y lever et y mûrir pour la moisson. Vous le savez bien, le ciel c’est être avec Dieu, être uni à Dieu. N’est-ce pas pour cela d’abord que vous êtes venus ce matin à l’église ?

¨C’est une belle chose que cette union de Dieu avec sa petite créature !" disait le Curé d’Ars. Il ne cessait de s’en étonner ¨Oh ! la belle vie ! s’exclamait-il, la belle union de l’âme avec Notre Seigneur. L’éternité ne sera pas assez longue pour comprendre ce bonheur. Et vraiment le Seigneur vient à nous, il vient à notre rencontre, à chaque heure du jour, mais tout particulièrement quand les chrétiens se réunissent pour fêter sa résurrection. ¨Il est là, disait encore le Curé d’Ars, avec son bon cœur qui attend que nous allions lui dire nos besoins et les recevoir… Voyez comme il est bon ! il s’accommode à notre faiblesse… S’il se fût présenté plein de gloire devant nous, nous n’aurions pas osé l’approcher" (Nodet, page 112 et 80-81).

Ne vous arrive-t-il pas à vous aussi à certaines heures de pressentir cela que les Saints ont vécu, à savoir que le Seigneur est proche, tout proche de nous, qu’il est au-dedans de nous. Alors un bonheur nous habite qu’on a du mal à dire. Il faudrait relire les pages où les Saints ont essayé d’exprimer cela.

Le curé d’Ars, vous l’avez entendu tout à l’heure. Pourvu qu’il fût à l’église, au pied de l’autel, devant le Saint Sacrement et il était heureux, si heureux, si comblé qu’il ne voyait pas le temps passer. Mais pas seulement à l’église. Un de ses paroissien dont on a conservé le témoignage dit : ¨Je crois bien que notre curé était toujours uni à Dieu¨

Pourquoi évoquer le Curé d’Ars ? Quelqu’un m’a reproché un jour de trop parler des Saints ! Ce serait utopique de vouloir les suivre aujourd’hui, ils ont vécu dans le passé, dans d’autres circonstances…Il a en partie raison, celui qui m’a reproché cela, car en vérité il ne s’agit pas de les imiter, pas plus qu’il ne s’agit d’imiter Jésus-Christ, d’une certaine façon, au pied de la lettre. Il s’agit au contraire de nous laisser prendre par le même feu. ¨Ce qui nous manque le plus cruellement, ce sont des témoins vivants de la foi. Seule la foi vécue est éloquente¨, dit l’actuel évêque de Münster en Westphalie, au nord de la Ruhr, Walter Kasper.

Les saints sont comme des phares.

Vous connaissez aussi le Père de Foucauld et comment il y a cent ans – en 1886 exactement – la grâce le toucha alors qu'il était un jeune officier, fier, sans Dieu. Revenant dix ans plus tard sur cet épisode, il écrit : ‘’En me faisant entrer dans son confessionnal un des derniers jours d’octobre (entre le 27 et 30, d'après ses biographes), Vous m’avez donné tous les biens, mon Dieu¨ et il ajoute ceci : ¨ S’il y a de la joie dans le Ciel à la vue d’un pêcheur se convertissant, il y en a eu quand je suis entré dans ce confessionnal !… Quel jour béni, quel jour de bénédiction. Et depuis ce jour toute ma vie n’a été qu’un enchaînement de bénédictions !’’

Et la petite Thérèse de Lisieux se donna elle aussi au Seigneur la même année que le Père de Foucauld, elle n’avait que quatorze ans en 1886. Voici comment elle s’exprime un peu plus tard : ¨Je sentais en mon cœur des élans inconnus jusqu‘alors… Un soir, ne sachant comment dire à Jésus que je l’aimais et combien je désirais qu’il soit partout aimé et glorifié, je pensais avec bonheur qu’il ne pouvait jamais recevoir de l’enfer un seul acte d’amour; alors je dis au Bon Dieu que pour lui faire plaisir je consentirais bien à m’y voir plongée, afin qu’il soit aimé éternellement dans ce lieu de blasphème.¨ Et elle ajouta ceci qui est si beau : ¨ Quand on aime, on éprouve le désir de dire mille folies.¨

Et qui mieux que Saint Augustin a vécu la passionnante aventure spirituelle qu’est la quête de Dieu. A travers les biens de la terre d’abord, d’illusion en illusion, de peine en peine, il cherche le bonheur. Ce n’est que bien tard à trente-deux ans – en l’an 386, toujours 86, comme la petite Thérèse, comme le Père de Foucauld, mais des siècles plutôt, il y a seize siècles, qu’il rencontra Dieu de façon définitive dans un jardin à Milan. ¨Malheureux homme que j’étais¨ jusque là, dira-t-il. Mais maintenant : ¨ O douceur de bonheur et de sécurité, mon Dieu, tu me rassembles de la dispersion où sans fruit je me suis éparpillé, quand je me détournais de toi, l’Unique, pour me perdre dans les choses (Les Confessions II 1,1). Il avait découvert le trésor dont parle l’Écriture, il ne le lâchera plus.

Puissions-nous le découvrir pareillement. Amen.

 

 

 

17e dimanche ordinaire C 2011

 

Patrick vit proche des clochards de Paris, ces fous d’exclusion et de pauvreté, qu’il côtoie pendant une quinzaine d’années dans des centres d’hébergement, de soins hospitaliers, dans la rue, sous les ponts. Vivent-ils, se demande-t-il ? Y a-t-il seulement pour eux une vie avant la mort ? La plupart des hommes qui réfléchissent - et nous en sommes - se demandent au contraire s’il y a une vie après la mort ? Lui, Patrick, se demandait ce jour-là s’il y a une vie avant la mort. La question lui monta brutalement à la gorge un jour quand il allait quitter le cimetière des indigents de Nanterre et où, à défaut d’avoir trouvé la tombe qu’il cherchait, il aperçoit celle d’un enfant mort-né et qu’il lut l’inscription sur une simple croix de bois : Horn mort-né, et une date : un jour de la semaine d’avant. Pas une fleur sur cette pauvre tombe. Pas un signe. Rien . Oublié déjà, Horn. Mort en naissant. Sans histoire. Né pour rien, de personne, pour personne, passé inaperçu. Horn mort avant d’avoir pu vivre, comme tous les naufragés de la société. C’est une écrivain d’aujourd’hui, Sylvie Germain, qui rapporte ce fait. Vous comprenez la question de Patrick : y a-t-il une avant la mort. Et Patrick qui a vécu cette histoire de s’insurger contre Dieu : non, il n’est pas possible que Dieu soit. S’il était, il ne permettrait pas cela.

Tel est bien le cri du psalmiste : pourquoi, mon Dieu, permets-tu qu’il y ait tant de détresse sur terre ? Luther dit que ce cri vient de  l’âme : lorsqu’elle ressent qu’aucune créature n’écoute sa détresse il lui semble que Dieu et l’humanité entière s’en prennent à elle.

Et nous, vivons-nous ?

L’absence de vie ne frappe pas seulement le petit Horn et ceux qu’on appelle les exclus de la vie. Sylvie Germain rapporte dans le même récit l’histoire de Frithjof mort à trente deux ans à Zurich. Il avait laissé un écrit qu’on a trouvé après sa mort où il explique qu’il a vécu dans un enfer douillet, très calme et lisse, l’enfer d’une bourgeoisie qui empêche de vivre, parce elle s’ingénie à esquiver toute question, à nier les drames, la souffrance, les désirs, la vie même, à éluder le présent, à tuer le temps de bout en bout, en attendant une mort discrète et bienséante. L’enfer d’une exclusion de luxe, aux antipodes des miséreux, mais tout aussi funeste. Je ne faisais que ce que mes parents m’avaient inculqué, s’exclure de tout et s’en glorifier, écrit Frithjof. Et il ajoute : ce n’est pas dans un monde malheureux que j’ai grandi, mais dans un monde menteur.

Ce que je viens de dire touche quelque chose d’essentiel et la vraie question n’est pas : y a-t-il une vie après la mort ? Mais : y a-t-il une vie avant la mort ? C’est aussi la question que se pose Maurice Zundel. Plusieurs fois revient à la question. Ainsi dans un sermon de 1959 :

« Les plus grands écrivains sont ceux qui peuvent dire, avec des mots très simples des choses éternelles. Un de ces très grands mots, c'est celui de Flaubert disant: «Pourquoi vouloir être quelque chose quand on peut être quelqu'un!» Ce mot lui avait été suggéré par la demande de Baudelaire qui le suppliait d'appuyer sa candidature à l'Académie Française. Et Flaubert, scandalisé de ce qu'un poète attendit une autre récom­pense que celle que peut donner la Beauté à laquelle il doit être consacré, écrivait ce mot dans son journal: «Pourquoi vouloir être quelque chose quand on peut être quelqu'un?» 

Le passage de quelque chose à quelqu'un, c'est justement tout le problème de l'homme. On parle beaucoup de l'évolution, on s'interroge sur l'origine de l'homme: d'où vient-il? d'où vient la vie? est-ce qu'elle vient d'un orage électrique, dans un nuage de gaz? est-ce qu'elle vient des végétaux, des minéraux ou des animaux? d'où vient la vie? C'est infiniment intéressant: mais, finalement, le vrai problème n'est-il pas : « Qu'est-ce que nous allons faire, nous, de la vie ? » Car, justement, notre situation dans le monde n'a d'intérêt que parce qu'il y a en nous une possibilité de choisir! Mais cette possibilité de choisir, nous savons bien, par expérience, qu'elle tourne souvent en catastrophe. Il s'en faut que l'homme soit tou­jours, soit fréquemment, quelqu'un! La plupart du temps, il est quelque chose, il reste un morceau d'univers » (Dans Ton visage ma lumière.  p.57).

 

Augustin, le grand saint Augustin se posait la même question au 4e siècle : « C’était ma vie que j’ai essayé d’écrire, ais était-ce bien ma vie», se demande-t-il dans Les Confessions, son auto-biographie. Un peu pus loin dans le même livre il constate qu’il a mal vécu sa vie, que sa vraie vie était infiniment autre qu’il ne pensait. Il croyait vivre; en réalité il était mort. Alors vint le moment où il découvrit qu’un Autre vivait en lui qu’il avait fui jusque là et qui étiat plus intérieur à lui qu’il ne l’était lui-même. « J’entrai en moi, ce jour-là, écrit-il, et je vis avec l’œil de mon âme au-dessus de mon intelligence, la lumière immuable. Elle était au-dessus parce que c’est elle qui m’a fait, et moi au-dessous, parce que j’ai été fait par elle.

Maurice Clavel a fait la même expérience en 1965. « Oui, dit-il, ce qui m’échappait, c’était cela, que Dieu nous aime. Rien que cela! Et comment pourrait-il en être autrement ? Il est amour, dit saint Jean, dans sa première lettre.

Combien de fois depuis cinquante ans m’est revenue l’image d’Edith Stein qui, après avoir cherché durant toute sa jeunesse le vrai sens de la vie, put à trente et un ans s’exclamer : Ça y est, j’ai trouvé! Elle venait d’achever ce matin-là au mois d’août 1921 de lire l’Autobiographie de Thérèse d’Avila. Ce qu’elle pensait être jusque là sa vie n’était en réalité que son ombre! Le soleil de Dieu venait de s’allumer dans son cœur. 

 

 

 

 

18e dimanche ordinaire (A) 5.8.84

                                La multiplication des pains - le repas – Béthanie avec le Père de Foucauld.

 

Chers amis,

Je vous ai souvent déjà dit que Jésus aimait rencontrer les gens, chez eux, à la maison, et manger avec eux. Non pas seulement manger pour manger, mais pour faire du repas un des moments simples et vrais où l’échange est possible, où l’on peut se parler sans crispation. Bien sûr ça ne se passe pas tous les jours, mais exceptionnellement, un dimanche ou un jour de fête. Souvenez-vous du repas des noces de Cana : ¨Le troisième jour il y eut des noces à Cana de Galilée. La mère de Jésus y était. Jésus aussi fut invité à ces noces, ainsi que ses disciples. Or il n’y avait plus de vin.¨ Souvenez-vous du repas chez Matthieu le douanier mal-aimé, comme étaient mal aimés tous les collecteurs d’impôt au service l’occupant étranger, qu’il vient d’appeler : ¨Alors qu'il était à table dans la maison, voici que beaucoup de publicains et de pécheurs prennent place avec lui et ses disciples¨ (Mt 9). Ainsi chez Zachée. Zachée était lui aussi collecteur d’impôts, peut-être un peu voleur sur les bords. Il était grimpé sur un arbre pour voir Jésus : ¨Jésus leva les yeux et lui dit : Zachée, descends vite, car il me faut aujourd’hui demeurer chez toi… et Zachée le reçut avec joie¨ (Luc 19). Jésus aimait aussi se retrouver avec Lazare et ses sœurs Marthe et Marie, à Béthanie. C’était des moments de repos, de paix, de ressourcement intérieure. Et il y a le dernier repas de Pâques, le jeudi-saint, la veille de sa mort. «L’heure venue, il se mit à table avec ses apôtres et leur dit :¨ J’ai désiré avec ardeur manger cette Pâques avec vous avant de souffrir¨ » (Lc. 22). A cette occasion se manifeste merveilleusement ce qu’on pourrait appeler l’humanité de Jésus. Il avait besoin de calme au milieu des tempêtes, car le plus souvent il connaît l’hostilité de la foule, le refus de lui faire confiance, surtout de la part des chefs, et même de sa propre famille et de ses compatriotes de Nazareth dont il est dit dans l’Évangile qu’ils se choquaient sur son compte¨ (Mc. 6). Et comment aurait-il pu en être autrement, il avait des paroles dures à l’égard des pharisiens qui prétendaient être justes aux yeux des hommes et méprisaient les autres : ¨Malheur à vous, pharisiens hypocrites qui fermez aux hommes le Royaume de Dieu¨. Il avait des paroles dures à l’égard des riches qui fermaient leur cœur à tous ceux qui n’étaient pas de leur bord : ¨ Malheur à vous les riches ! Car vous avez votre récompense. Malheur à vous qui êtes repus maintenant¨(Lc. 6), - et l’on sait jusqu’où le conduira cette hostilité; mais les doux, les humbles de cœur, les pécheurs qui se repentent, ah ! qu’il est bon de les rencontrer; avec eux il est en fête, ils l’accueillent, lui, le Fils de Dieu, à leur table ; je m’imagine comme cela était merveilleux, Dieu lui même mangeant et buvant avec eux, quelle intimité entre Dieu et les hommes dans ces heures de répit, de calme et de paix.

S’il en est un qui a bien senti cette humanité de Jésus c’est le Père de Foucauld, je crois vous en avoir déjà parlé. Avant d’être Père de Foucauld, c’était un jeune homme qui s’était laissé brûler par la vie : il était riche, il est devenu officier de cavalerie; ayant perdu la foi en Dieu il cherchait le plaisir comme il le pouvait, avec passion, avec frénésie, dans ce que André Gide appelait autrefois les nourritures terrestres. Mais au fond de lui restait une inquiétude – et il redécouvrit Dieu lentement, surtout au cours de l’année qu’il passa à explorer le Maroc – la prière des Arabes surtout le frappa et les questions qu’il avait éliminées sur le sens de la vie reprirent vie en lui. En 1886, l’année où la petite Thérèse de Lisieux, alors âgée de quatorze ans, connut la grande grâce de sa vie, l’année où Paul Claudel, jeune homme de dix-huit ans, se convertit durant les vêpres à Notre-Dame de Paris - on fêtera le centenaire dans deux ans – cette année là Charles de Foucauld lui aussi fut touché par la grâce, il va devenir le Père de Foucauld et il passera le plus clair du restant de sa vie avec les populations nomades du Sahara, tantôt à Beni-Abbès dans l'Ouest algérien, tantôt dans le Hoggar, à Tamanrasset, avec les Touaregs, cherchant à être parmi eux le témoin de l’amour de Dieu. La conversion, il avait alors vingt-huit ans, fut pour lui une rupture radicale, totale et définitive avec le passé : ¨ Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, dira-t-il plus tard, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre que pour Lui¨. Et que fera-t-il pour ne vivre que pour Dieu ?’’ Il imitera le Christ. Non pas le Christ dans sa vie publique : il ne se croit pas capable d’être un apôtre; mais dans sa vie cachée. Désormais et jusqu’à sa mort, il n’aura d’autre objectif que la vie de la Sainte-Famille à Nazareth. Des heures durant chaque jour il médite les textes des évangiles, il contemple le Christ dans la Sainte-Eucharistie. Voici ce qu’il écrit le 2 avril 1905 à Béthanie – la patrie de Madeleine la pécheresse qui a tant aimé Jésus :

‘’Mon Seigneur et mon Dieu, mon Bien-aimé Jésus, vous êtes dans la paix, le calme, l’amour, il semblerait que tout vous aime au ciel et sur la terre, tant vous êtes entouré de tendresse, d’admiration passionnée, d’attentions délicates ; tout ce que la terre a produit d’amour depuis sa création, tout ce qu’elle produira jusqu’à la fin est au-dessous de l’amour qui brûle ici autour de vous en votre seule mère, et ensuite dans le cœur uni au sien de Madeleine, dans les cœurs de Pierre et Jean. Que cela est doux, que cela est doux de vous sentir dans cette douce retraite, dans de doux recueillement, dans ce doux asile de Béthanie !Vous allez bientôt nous mettre à table ; pas avant huit heures et demie pourtant, car le samedi soir, on prend tard le dernier repas : il faut le temps d’allumer le feu et de préparer !’’ (dans les Nouveaux écrits spirituels, p. 142-3)

Et le Père de Foucauld continue – je ne peux pas tout lire – de s’extasier de cette intimité que le Christ a voulu vivre avec les hommes. Mais cela n’est pas seulement du passé – Jésus a également voulu partager son pain avec les hommes et tel est le sens de l’Évangile d’aujourd’hui – la multiplication des pains. Comprenons que ce pain matériel est une image, un symbole de cet autre pain de l’eucharistie que le Christ a voulu laisser à ses amis jusqu’à la fin des temps pour que chaque génération puisse connaître la même intimité avec le Seigneur. O si nous comprenions, ne fût-ce qu’un tout petit peu, que ce qui nous est donné de vivre en ce moment c’est la même intimité avec le Seigneur, que la messe est plus qu’une simple obligation qu’il nous faut tenir chaque dimanche, plus que le lieu où chacun vient pour soi recueillir des consolations personnelles – elle est le repas avec le Seigneur, même si disposés tels que nous le sommes, vous là-bas tout au fond et la table ici, nous le faisons mal.

Seigneur, fais que nous nous sentirons bien avec toi, dans ton intimité, dans ta paix.

 

 

 

 

 

19e dimanche ordinaire A 20011

 

Je voudrais m’arrêter ave vous sur un point qui me préoccupe depuis longtemps et vous certainement aussi, celui de l’absence apparente de Dieu. C’est Lui pourtant, Dieu, qui nous rassemble ce matin, nous accompagne sur le chemin de la vie, nous tient dans l’existence et sans lui rien n’existerait de ce qui est; il tient l’univers tout entier au creux de sa main, et pourtant personne jamais ne l’a vu, à l’exception de son fils, Jésus-Christ; en qui seul il s’est laissé voir. Souvenez-vous du bref dialogue que rapporte l’évangile de saint Jean :

 

«Philippe lui dit: Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit. Jésus lui dit: Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne m'as pas connu, Philippe! Celui qui m'a vu a vu le Père; comment dis-tu: Montre-nous le Père? Ne crois-tu pas que je suis dans le Père, et que le Père est en moi? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même; et le Père qui demeure en moi, c'est lui qui fait les oeuvres. Croyez-moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi; croyez du moins à cause de ces oeuvres. En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les oeuvres que je fais, et il en fera de plus grandes, parce que je m'en vais au Père.» (Jean 14, 8-12) 

 

Mais Jésus depuis sa mort s’absente lui aussi, ne se montrant que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. Marguerite-Marie, par exemple l’a vu, dans son couvent de visitandines à Paray le monial ou Catherine de Sienne ou encore parmi d’autres, une fille de Coesfeld, en Rhénanie du Nord : « Pourquoi faut-il que je voie tout cela, se demande-t-elle, moi, misérable pécheresse, qui ne puis le raconter et n'en comprends presque rien? Alors mon guide me dit: " Tu diras ce que tu pourras. Tu ne peux pas calculer le nombre de gens qui liront cela un jour, et dont les âmes seront consolées, ranimées et portées au bien. Ce que tu pourras raconter sera mis en œuvre d'une façon suffisante et pourra faire beaucoup de bien dont tu n'as pas l'idée." » Mais il est vraisemblable qu’aucun de nous ne l’a jamais vu ni ne le verra avant de le rencontrer face à face quand viendra le temps du grand passage sur l’autre rive. Cette absence de Dieu, son silence, font que beaucoup doutent de Lui. Comment se fait-il qu’il ne se manifeste jamais, se demandent beaucoup, qu’il laisse le monde aller son train sans intervenir, qu’il n’empêche pas les guerres, les tremblements de terre, toutes les formes de violence et d’injustice et toutes les misères qui nous accablent. Pour y voir un peu plus clair, je vous invite à regarder l’Évangile, de ce jour qui fait suite à celui de dimanche dernier:

Jésus jusque là parcourait la Galilée et se trouvait plus précisément dans sa patrie. Ayant appris la mort violente de Jean-Baptiste, il se retira en barque dans un lieu désert, à l’écart (la mort de Jean-Baptiste touche Jésus à une telle profondeur qu’à partir de là sa trajectoire s’infléchit et qu’il prend conscience que sa vie s’achèverait comme celle de Jean-Baptiste), mais la foule à sa recherche le trouve; il multiplie le pain, pour ne pas abandonner les gens le ventre creux, comme Dieu l’avait fait autrefois, au temps de Moïse, dans la longue traversée du désert. (Jésus, le niveau Moïse). Mails il ne reste pas avec eux, de peur

qu’ils ne se méprennent sur sa personne et ne l’acclament comme roi, celui qui les nourrit miraculeusement, qui guérit les malades, un messie temporel, venu parmi eux pour régler leurs problèmes de gestion terrestre. Alors il les renvoie, prend congé d’eux, puis gravit la montagne à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là seul. Puis, vers la fin de la nuit il marche tranquillement sur les eaux et rejoint les disciples en plein lac sur la barque harcelée par un vent contraire. Et c’est la scène merveilleuse que raconte l’évangile du jour où ils le reconnaissent pour ce qu’il est : « Vraiment tu es Fils de Dieu. » De là ils entrent à Gennésaret, avant qu’il ne se rende dans la région de Tyr et de Sidon. Toujours en route, jusqu’à ce qu’il entreprenne le voyage de Jérusalem, pressentant que son heure avait sonné, qu’il allait être livré aux mains de ceux qui cherchaient à l’exécuter, qu’il fut arrêté, finalement condamné à mort. Mais il ne se laisse pas enfermer, toujours il est ailleurs, jamais là où on l’attend. Mort on le croyait au tombeau. En réalité, il est vivant, ressuscité, se montrant aux disciples quand il veut et comme il veut. Toujours inattendu. Et Dieu se tait : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Comme Job abandonné des siens et de Dieu.

Ses ennemis ont facile de se moquer de Lui : « Descends de la croix, si tu es le Fils de Dieu! »

Certains lui crachent au visage, d’autres le giflent.

Il est dépouillé de ses vêtements.

Il ne lui reste plus rien. Pauvre comme Job.

Ses amis aussi ne comprennent rien. Ils disparaissent de la scène comme par enchantement.
Job, dans l’égarement de son malheur se tourne vers les quatre points de l’horizon pour crier sa douleur. Mais rien n’y fait, pas un signe de consolation, pas le moindre écho. Il a beau frapper la terre, sonder le ciel, rien. Il n’est pas de lieu où Dieu ne soit absent.

 

Je peux aller à l’orient, il n’y est pas,.

à l’occident, je ne l’y verrai pas !

J’ai cherché au nord sans le trouver,

retournant au midi je ne l’ai pas vu (Job 23, 8-9).

 

Alors que faire ? Chercher des consolations qui n’en sont pas. N’est-ce pas l’heure d’affronter le lancinant silence de Dieu, d’apprendre à l’écouter. Ce qui veut dire s’engager sur l’étroit sentier du renoncement à toute certitude, fût-ce même de l’existence de Dieu, et se tenir silencieusement devant le tabernacle vide du Jeudi saint, quand le prêtre a en a retiré les hosties ,et même si l’on n’y comprend rien veiller avec le Christ au mont des Oliviers - mont singulier où ne s’opère aucune épiphanie, nulle révélation ni transfiguration, mais où se condense l’absolu du silence. N’est-ce pas alors que nous avons quelque chance de rencontrer Dieu, car c’est en se retirant, comme dit si bien Simone Weil, qu’il a laissé libre place d’exister à tout ce qui n’est pas Lui, l’univers et ce qu’il contient. Ce n’est pas dans le vacarme que le prophète Élie a trouvé Dieu, ni dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre ni dans le feu, mais , dit le texte, mais dans le murmure d’une brise légère ou, si l’on traduit le texte mot à mot dans « le soupir d’un fin silence». Ce serait merveilleux si cette heure que nous passons ensemble dans cette église devenait le lieu où nous percevions quelque chose de ce soupir de Dieu. (la fin du texte reprend parfois mot à mot le très beau livre de Sylvie Germain Les échos du silence, éd. Albin Michel p. 33-57)

 

 

 

 

 

 

 

19e dimanche ordinaire (A) le 11 août 2002

 

Vendredi dernier, le 9 août, l’Église fêtait Edith Stein, en religion Thérèse Bénédicte de la Croix. Vous vous rappelez, certains du moins qui se trouvaient ici ce jour-là, le dimanche d’octobre 1998 où elle fut déclarée sainte par Jean-Paul II et présentée avec quelques autres figures comme patronne de l’Europe. J’ai voulu qu’elle ait aujourd’hui une place d’honneur parmi nous. Voici sa statue que j’ai demandé à un sculpteur de Molsheim d’exécuter. Où trouvera-t-elle sa place parmi nous ? Je ne le sais pas encore. Peut-être quelqu’un d’entre vous aura-t-il une idée à ce propos ? Le groupe de fraternité carmélitaine qui se retrouve à Metz compte deux membres de notre communauté – s’appelle Fraternité Thérèse Bénédicte de la Croix.

La voici devant vous dans son habit de Carmélite. Et c’est l’occasion de nous interroger sur le Carmel. Qu’est ce qu’évoque pour vous ce mot Carmel ? Un ordre religieux strict, sévère, de contemplatifs pour les Carmes et de contemplatives pour les filles. On connaît Thérèse de Lisieux et encore, au moins de nom, la grande mystique espagnole du seizième siècle, Thérèse d’Avila, que l’on considère souvent comme la fondatrice – ce qu’elle n’est pas – de l’ordre. En réalité le guide et père spirituel en est Elie, le prophète Elie, quand sur le mont Carmel – le nom de l’ordre vient de cette Montagne où le grand prophète défendit l’honneur du seul et vrai Dieu, le Seigneur d’Israël, face aux quatre cent faux prophètes qui entraînaient le peuple au service des idoles. C’est devant le roi lui-même qu’il a risqué le mot qui lui valut la persécution : ¨Par le Seigneur vivant, le Dieu d’Israël, devant la face de qui je me tiens, il n’y aura cette année ni rosée ni pluie sauf à mon commandement¨ (1R 17,1).

Le Seigneur Dieu devant la face de qui je me tiens. Se tenir devant la face du Seigneur, telle est aussi la vocation de l’ordre du Carmel, à la suite du prophète. Il se tenait devant la face du Seigneur, car il considérait cette attitude plus importante que tous les biens de la terre. Se tenir devant la face du Seigneur, n’est-ce pas pour cela aussi que nous sommes réunis : nous tenir devant la face de Dieu. Cela était devenu le seul, l’unique désir d’Edith Stein à partir du moment où elle a rencontré le Seigneur. Désir qu’elle n’a pu réaliser qu’à quarante-deux ans en 1933 – pas pour longtemps. Pour neuf ans seulement, avant qu’elle fut arrachée de son couvent par les forces du mal qui couraient alors à travers l’Europe et qui mirent le feu au monde. Elle fut alors conduite au Golgotha comme tant des siens, parce qu’elle était fille d’Israël.

Et c’est le deuxième point que je voudrais vous livrer. Vous voyez l’étoile, l’étoile de David que le sculpteur a voulu fixer aux pieds de la Sainte pour nous dire que la Carmélite est bien juive comme l’était Marie, comme l’était le Christ, comme l’était Saint Paul. C’est tout le sens du petit extrait de la lettre aux Romains : ‘’J’ai dans le cœur une grande tristesse, une douleur incessante. Pour les Juifs, mes frères de race, je souhaiterais même être maudit, séparé du Christ : ils sont en effet les fils d’Israël, ayant pour eux l’adoption, la gloire, les alliances, les promesses de Dieu… et malgré tout cela ils n’ont pas reçu Celui dont la Bonne Nouvelle aurait dû les combler de joie.¨ ‘’Il est venu chez les siens, comme dit Saint Jean, et les siens ne l’ont pas reconnu.¨

Paul ne comprend pas le refus des siens. Dieu aurait-il rejeté son peuple ? Non, ce n’est pas possible, il ne peut pas se contredire, c’est là un grand mystère auquel Edith Stein a été confrontée comme Saint Paul, dans sa propre chair.

Mais si elle était juive de naissance et si elle a été élevée par sa mère dans la tradition de son peuple, elle était surtout allemande, formée à l’université, intégrée au pays, à la nation. Elle avait surtout perdu la foi, elle était devenu athée dès quatorze ans. Or paradoxalement c’est en devenant croyante dans la tradition catholique qu’elle retrouve aussi ses racines juives en lisant et en méditant l’Ancien Testament et surtout dans le malheur qui s’établit sur son peuple avec l’avènement de Hitler et les persécutions du troisième Reich. A une amie de Cologne qui pensait qu’au Carmel elle serait à l’abri des persécutions, elle répondit : ¨On viendra sûrement me tirer d’ici.¨

Ici on touche à la question incontournable du pourquoi mon livre page 49…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

20e dimanche ordinaire A 2011

Le silence de Dieu

L’absence de Dieu. Ah, si Dieu se montrait, s’il parlait! Mais il est muet.

J’ai beau l’interroger pas de réponse. Le chercher, pas de signe. Comme si après avoir créé le monde il s’était retiré de sa création. Ce monde est à vous, semble-t-il nous dire, je ne demande en retour qu’un peu d’amour. Comme le roi Lear, le fameux roi, de Shakespeare.

Au moment où, fatigué de régner, il divise son royaume en trois parts, qu'il destine à chacune de ses trois filles : Goneril, Régane, et Cordélia. Mais avant de procéder au partage, il leur demande de lui faire,

Publiquement une déclaration de leur amour filial, En échange de quoi, elles se verront attribuer une part plus ou moins opulente. Les deux aînées prennent la parole ; je t’aime, je t’aime, disent leurs lèvres, de leurs lèvres seulement ; aussitôt elles reçoivent leurs parts. Le Roi demande à la cadette ce qu'elle peut dire de son amour pour obtenir un tiers du royaume peut-être plus intéressant encore que celui de ses soeurs.

Cordélia qui ne sait pas jouer la comédie répond « rien ».

Le rien de Cordélia sonne comme une insulte, en réalité, c'est un cadeau. Car si le roi possède tout, il lui manque une chose essentielle : l'épreuve du manque. La connaissance non pas de ce qu'il représente et de ce qu'il possède, mais de ce qu'il est.

Sans la couronne, ses terres et ses cent chevaliers, le Roi est nu. Pour accéder à la connaissance, si

la raison manque, rien ne vaut l'expérience. La voix de la raison est bannie. II n'y a plus d'autre choix que celui de l'expérience. Celle du dénuement, du besoin, de la dépossession.

Le roi dépose la couronne et personne ne le reconnaît plus.

Il vit comme un pauvre hère. Enfin ses yeux s'ouvrent, il découvre le royaume de la liberté.

Il comprend que Cordélia était seule à l'aimer en vérité, mais il est trop tard, ses filles sont

toutes trois mortes.

Trop tard vraiment? Non, car au royaume de la liberté il n'est plus de temps. Ou plutôt le temps s'ouvre sur l'éternité.

Cordélia la petite - une enfant, vraiment. Comme sainte Thérèse de Lisieux s'exclamant, après avoir sondé sa lumineuse pauvreté : « Eh bien ! moi je suis l'Enfant [...] Ce ne sont pas les richesses et la Gloire (même la Gloire du Ciel) que réclame le cœur du petit enfant [...] Ce qu'il demande c'est l'Amour [...] Mais comment témoignera-t-il son Amour, puisque VAmour se prouve par des œuvres ? Eh bien, le petit enfant jettera des fleurs, il embaumera de ses parfums le trône royal, il chantera de sa voix argentine le cantique de l'Amour1... »

C'est bien ainsi que se comporte Cordélia, elle qui ne sait qu'aimer, aimer si intensément et simplement qu'elle ne peut exprimer son amour qu'en répandant un délicat silence autour du trône royal. «Je ne dirai rien, mon seigneur. » Tel est le candide aveu d'amour de Cordélia à son père - un aveu déroutant, une preuve par le vide, par voie négative, par l'ab¬surde. « Rien ? » s'écrie Lear stupéfait. Lear qui, en cet instant, n'est plus qu'un vieillard capricieux et borné. Mais Cordélia sait bien que son père ne se réduit pas à un vieil homme avide de flatteries, l'amour qu'elle lui voue est nourri par une tout autre connaissance qu'elle a de lui, et elle ne veut ni ne peut l'engluer dans des paroles emphatiques, impudiques. Elle ne veut ni ne peut vicier son amour en le jetant, en public de surcroît, dans la balance de l'intérêt, le monnayer contre des terres, des richesses. Elle sait, elle, que son vrai père n'est pas dans le « séisme » de sa colère, ni dans le « feu » de ses menaces, ni dans le « vent » de ses caprices. Mais qu'il est du côté du silence, du soupir, du sourire - et des larmes aussi, versées parfois en secret. Elle est semblable à Thérèse de Lisieux écrivant : «Je compris que

L'AMOUR RENFERMAIT TOUTES LES VOCATIONS, QUE L'AMOUR ÉTAIT TOUT, QU'IL EMBRASSAIT TOUS LES TEMPS ET TOUS LES LIEUX [...] EN UN MOT, QU'IL EST ÉTERNEL! [...] MA VOCATION, C'EST L'AMOUR1 !... » Un amour sans compromis, sans garantie, sans même l’attente d’une récompense.

Tel est le paradoxe : Dieu se retire de sa créa¬tion pour permettre aux hommes de forger et de laisser s'épanouir pleinement leur liberté, mais, par cet admirable don même, il met les hommes en tragique péril, car ils sont foule ceux qui four¬voient leur liberté en se laissant griser par la « va¬cance » de la terre, par ce bel usufruit dont ils veulent jouir à outrance ; et les justes soumis à l'épreuve du mutisme de Dieu aux heures de détresse, soumis aux ténèbres, placent encore et toujours leur espérance en ce Dieu très ' absent. Mais peut-être qu'ainsi, ces justes éprou¬vés et demeurés fidèles, frôlent-ils alors dans leur errance, dans l'abandon et l'affliction où ils sont plongés, ce Dieu lui aussi en exil, abandonné de lui-même, en et par lui-même ? Dieu en sa nudité, en sa très folle vérité.

Et à nouveau l'expérience de Thérèse de Lisieux s'offre en exemple, elle qui endura sans faillir la nuit aride du néant après avoir « joui d'une foi si vive, si claire». Elle qui chemina dans la nuit froide et insonore des impies et des pécheurs. « Je ne pouvais croire qu'il y eût des impies n'ayant pas la foi. [...] Aux jours si joyeux du temps pascal, Jésus m'a fait sentir qu'il y a véritablement des âmes qui n'ont pas la foi, qui par l'abus des grâces perdent ce précieux trésor, source des seules joies pures et véritables. Il permit que mon âme fut envahie par les épaisses ténèbres et que la pensée du Ciel si douce pour moi ne soit plus qu'un sujet de combat et de tourments... » Et cette épreuve devait durer jusqu'à sa mort, mais la petite fille tint bon et s’abaissant jusqu’aux profondeurs de son néant, elle s’éleva si haut qu’elle put atteindre son but.

(Tiré de Sylvie Germain, Les échos du silence, éd. Albin Michel)

 

 

 

20e dimanche ordinaire 2002 (A)

 

L’évangile que nous venons d’entendre sonne étrangement à nos oreilles : comment expliquer que le Christ néglige dans un premier temps la femme dont il est question dans l‘Evangile, sous prétexte qu’elle est une étrangère, une non juive. N’est-il pas venu sauver tout homme, toute femme, quels que soit sa race, son origine, son pays ?

En fait, le Christ voit les choses autrement que nous ne le voyons avec les yeux d‘aujourd‘hui, il les voit selon la Bible, selon son histoire, l’histoire de son peuple. Or, de ce dernier point de vue sa mission s’adresse d’abord aux ¨fils d’Israël¨, ceux qui sont liés à Dieu par les diverses alliances et d’abord par celle qui fut conclue au pied du Sinaï, par Moïse, ceux à qui s’adressaient les prophètes et qui attendaient le messie, ceux en qui au cours des siècles s’était creusée l’attente du Seigneur, la soif du Dieu d’Israël, et qui,dans cette perspective, s’ouvriraient au Seigneur quand les temps seraient venus. Israël deviendrait alors, avec la venue du messie, un signe du vrai Dieu pour l’univers entier. Voyez, le Christ comme tout bon juif avait une conception plus globale, plus historique du messie et de son rôle : ce n’est pas à tel individu ou à tel autre, à Pierre, Paul ou Jacques qu’il incombait d’accueillir l’envoyé de Dieu, puis de l’annoncer aux autres, mais à tout le peuple.

En réalité il en est toujours ainsi et l’évangile de ce jour peut nous aider à retrouver quelque chose de ce que je cherche à vous communiquer : ce n’est pas à moi d’annoncer le Christ aujourd’hui à la communauté du Sacré-Cœur et plus largement au monde entier, c’est l’affaire de l’Église, c’est l’Église qui est signe de la présence de Dieu au milieu des hommes et l’Église ce n’est pas moi, c’est aussi vous, l’Église, c’est d’abord le peuple réuni autour de l’évêque, le nôtre, Pierre Raffine le successeur des apôtres, dont je suis le représentant ici et comme le garant au milieu de vous – et l’évêque n’est pas seul, il n’existe qu’avec les autres apôtres, les autres évêques réunis autour de celui qui est chargé de réaliser l’unité et de constituer le corps dont la tête est le Christ, l’évêque de Rome, Jean-Paul II et c’est à cette Église dans sa totalité dispersée sur les divers continents, vaste comme le monde, qu’est confiée la mission d’être le signe visible sur terre de Celui invisible qui nous appelle à devenir une humanité fraternelle où règne la justice, la joie, la paix…

 

Deux remarques cependant à ce que je viens de dire :

1. Cela ne veut pas dire que chacun de nous n’a pas d’importance en tant qu’individu. Au contraire, l’ensemble, l’Église, n’existe pas sans les pierres posées une à une pour en constituer les murs. Il n’y aurait pas d’édifice sans les pierres vivantes que nous sommes tous, vous, moi, chaque chrétien. Le Christ compte sur moi, sur toi, nous avons tous notre place particulière, unique, indispensable, les petits et les grands, dans l‘édification de l‘Eglise… Sans l’engagement de chacun il n’y aurait pas de corps, mais je n’existe jamais que comme appelé par quelqu’un qui me précède comme le murmure d’une source qui vient d’ailleurs et qui est la présence en chacun de Celui par qui tout nous est à chaque instant donné, par qui tout est grâce. Et c’est ce qui donne du prix à la vie.

2. Seconde remarque

Elle me vient de la Cananéenne, une fille qui n’est pas d’Israël. Le Christ ne la prend pas en considération, au départ. Ce n’est qu’ensuite, sur l’insistance des apôtres qu’il l’écoute. Et miracle ! le Christ découvre en elle une foi grande, une foi nouvelle et inattendue, une foi faite de confiance absolue et d’humilité, ce qu’il ne trouve presque pas en Israël, chez ceux chez qui il devrait la trouver en premier.

Ainsi en est-il de l’Église d’aujourd’hui. A ceux qui savent voir, il est donné de découvrir chaque jour avec étonnement des descendants spirituels de cette femme pour nous dire que la foi anime bien souvent des cœurs que l’on pourrait croire au premier abord fermés à tout absolu.

Un exemple que rapporte un frère prêtre dans La Croix du 18 août 2002 :

Je repense à cet homme athée et très méfiant dans le dialogue avec les chrétiens. Nous avons un peu sympathisé durant les rémissions de son cancer. Après sa mort, son épouse m’a invité à manger : ¨J’ai quelque chose à vous donner.¨ C’était une reproduction de La Mise au tombeau de l’église de Moissac. ¨Mon mari avait été très frappé par cette sculpture, ajouta-t-elle. Il a fait encadrer le poster et l’a mis dans notre chambre, en face du lit. Vous êtes prêtre, mon mari serait content qu’elle vous revienne.¨ Ainsi cet homme, qui est décédé à la maison, a vu, dans son dernier regard, le visage de son épouse et la figure du Christ mis au tombeau…

Peut-être Jésus lui a-t-il dit en ce dernier instant, comme à la femme de l’Évangile : ¨Ta foi est grande¨ ? Non pas une foi en Dieu qui s’exprime dans un Credo – je respecte trop cet homme pour en faire un chrétien qui s’ignore -, mais cette foi dans le mystère de la vie humaine. Une vie appelée à s’accomplir dans le don de soi et dans la confiance à une parole qui vient en nous d’au-delà de nous.

Si Jésus, tout Fils de Dieu qu’il est, s’est laissé transformer par la rencontre avec cette femme, comment nous-mêmes ne pourrions-nous pas écouter avec émerveillement et infini respect les confidences de beaucoup de ces hommes et de ces femmes qui ne fréquentent pas nos églises ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

21e dimanche ordinaire 2002 (A)

 

¨Quelle profondeur et richesse, quelle sagesse et science en Dieu. Ses décisions sont insondables, ses chemins impénétrables ! Qui a connu la pensée du Seigneur ? En s’exprimant ainsi dans la lettre aux Romains (11, 33 à 36), Paul pense à l’histoire de son peuple. Israël avait tout ce qu’il lui fallait pour recevoir et accueillir le Christ : l’adoption filiale - Dieu avait en effet adopté Israël comme son peuple bien-aimé, Il l’avait accompagné tout au long de l’histoire, dans la grande épopée de la sortie d’Égypte, puis dans la longue marche au désert du Sinaï. A travers des hommes et des femmes qui avaient fait une profonde expérience spirituelle, éprouvé souvent dans leur chair combien Dieu était proche. Des hommes et des femmes qui avaient entendu l’appel de Dieu et répondu ¨présent¨. Je pense à Elie, le grand prophète : ¨Par le Seigneur, le Dieu d’Israël, devant la face de qui je me tiens, il n’y aura plus ni rosée ni pluie avant que je n’en donne l’ordre, avait-il proclamé face au roi, en sachantqu’il aurait à subir ses foudres. A Isaïe qui vit l’année de la mort du roi Ozias, en 740 avant Jésus-Christ, le Seigneur assis sur un trône grandiose, tandis qu’il officiait à l’intérieur du temple, comme prêtre, et qu’il fut établi comme veilleur auprès de son peuple, chargé de discerner les signes de la présence de l’Éternel.

Et tant d’autres.

En particulier des femmes, telle Esther qui sauva son peuple à un moment crucial de son histoire, quand, établi en Perse, il était menacé d’extermination. C’est là qu’elle intervient et retourne la situation. De même Judith sauva le peuple.

Or malgré tous ces signes, Israël s’obstine dans le refus du Christ comme l’Envoyé du Seigneur, malgré la foi de Pierre et des apôtres, comme on le voit dans la scène que l’évangile de Matthieu situe à Césarée de Philippe. A la question de Jésus : ¨Pour vous, que dites-vous ? Qui suis-je ? Simon-Pierre répondit : Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant.¨

C’est la grande question de Paul : pourquoi les Juifs, ses frères de race, n’ont-il pas reçu le Messie, alors qu’ils avaient tout pour eux : la loi, les prophètes et les hauts faits que Dieu a accomplis au long de l’histoire ? Paul ne comprend pas. On sait qu’il aurait volontiers livré sa vie et accepté d’être maudit pour que son peuple fût sauvé… Dieu se serait-il trompé ? Ce n’est pas possible ! Alors lui vient une lumière : Israël se serait obstiné pour que les apôtres comprennent que leur mission ne s‘arrêtait pas aux limites de leur pays, qu’il leur fallait porter la Bonne Nouvelle chez les païens, partout dans le monde ? Pourquoi pas ? Son peuple un jour comprendra, alors ce sera la joie, la plénitude de la joie, profonde, mystérieuse, lumineuse. Paul s’incline devant tant de sagesse et de grâce. Pourquoi ne chercherions-nous pas à retrouver pareillement dans le monde d’aujourd’hui les signes de la présence du Seigneur ?

Pour y parvenir y faut d’abord éclairer l’actualité, l’éclairer doucement, tendrement, avec une mèche et un peu d’huile. Déposer une lampe sur la table avec toutes les nouvelles et dépêches du jour, puis découvrir qu’il y a au cœur des nouvelles la présence cachée du Seigneur. Comme le grand violoncelliste russe Rostropovitch improvisant une mélodie divine le 11 novembre 1989 sous le Mur de Berlin qui volait en éclats : il s‘était laisser pousser par le souffle de l‘Esprit. Trois ans plus tard, face à la même image - ou presque - dans une cour de Sarajevo en pleine nuit : un vieillard improvisait au violoncelle sur un thème d’Albinoni : au-dessus de lui les balles traçantes déchiraient le ciel et des rafales crépitaient au loin. Parce que malgré tout l’absurde n’empêche pas la musique. Prier et ne pas s’arrêter de chanter, même quand les chars écrasent les maisons des innocents ou que les charges de dynamite emportent des gens qui n’y sont pour rien.

Il faut ensuite respirer. Respirer l’actualité. Qu’elle batte en moi au rythme du cœur. Comme font les chrétiens en dans ce qu’on appelle ¨la prière du cœur¨, telle que la pratique le pèlerin russe : respirer le nom de Dieu, le prononcer, le prononcer encore, le laisser se prononcer en soi. Prononcer lentement le nom de ceux et celles qui apparaissent dans les journaux, dans l’actualité télévisée, égrener le chapelet des visages, des événements du jour. Alors je ne prie plus, parce que ¨ je deviens prière¨. Alors il est donné à tout homme de devenir ¨prêtre du monde¨.

Il faut enfin ruminer. Ruminer l’actualité, qu’elle pénètre en moi, qu’elle travaille, qu’elle devienne mon corps, mon sang, mon langage, mon silence. ¨Fils d’Adam, ce qui est là, dit Dieu au prophète Ézéchiel, mange-le, rempli tes entrailles avec ce livre que je te donne¨ (Ez. 2, 1-3). Toi aussi aujourd’hui, avale ce qui t’arrive, le flux des nouvelles et d’actualité jusqu’à l’indigestion, avec le direct permanent. Jonas est resté trois jours dans le ventre de la baleine et Jésus trois jours au tombeau. Comment vais-je donner vie à ces nouvelles restées en moi, comment les ressusciter ?

 

 

 

22e dimanche ordinaire (A) 1er septembre 2002

 

Il est au moins un verset dans l’Évangile qui vient d’être lu qui pose question : ¨Si quelqu’un veut marcher derrière moi qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive. "Innombrables sont les commentaires qui invitent à suivre Jésus et à porter sa croix. Cela semble aller de soi de ¨ suivre le Christ et renoncer à soi-même¨, ça fait partie de la tradition chrétienne. Et pourtant n’accuse-t-on pas les chrétiens d’en rajouter à l’humilité, de cultiver la douleur, de secréter la culpabilité, bref de n’être pas joyeux, d’avoir l’air peu ressuscités ? et à force de suivre un autre de n’être plus eux-mêmes, d’être plutôt tristes.

Qu’en est-il en réalité ?

Il semble qu’il est impossible de proposer aujourd’hui comme un idéal de vie de suivre un autre, de renoncer à soi-même et de prendre la croix.

Alors que faire de ces textes qui sont pourtant là ?

Il est possible et certaines l’on fait de les ignorer, de les laisser de côté, d’en choisir d’autres de couleur différente, plus accordés avec l’air du temps. Par exemple celui des disciples d’Emmaüs en saint Luc, ils ne suivent pas le Christ, on voit au contraire Jésus faire route avec eux - ¨ faire route avec¨. Ensuite : qu’il prenne sa croix. Prendre sa croix. On entend habituellement par là : accepter de souffrir; il le faut, regarde le Christ comme il a souffert. Et souvent la croix est présentée comme un symbole de tristesse, de restriction, de refoulement, lié à sacrifice, immolation, expiation.

Là aussi il est important de retrouver le sens premier original où Croix veut dire se tenir debout, station droite, c’est la poutre verticale sur lequel on accroche le bois transversal des suppliciés, l’objet de torture sur lequel l’humain est rendu absolument passif. Or c’est cet objet, symbole de la grande défaite, de la plus mortelle passivité que le Christ m’invite à prendre à m’en emparer à la soulever. Prends le lieu où tu subis passivement la mort, prends ta mort dans tes mains. Sois le porteur souverain, triomphant de ton destin de créature mortelle, condamnée à mort.

Non point gémir sur mes misères, mais m’en emparer. Non point subir mon sort de créature, mais m’en saisir. Ce faisant, j’y échappe, j’en triomphe…

Non point vouloir mourir mais vivre par delà la mort

Alors pour résumer je traduis l’ensemble :

Si quelqu’un veut marcher derrière moi qu’il dise non à ce désir qu’il prenne la croix à bras le corps puis qu’il m’accompagne comme moi je l’accompagne, semble plus accordé à notre mentalité que ¨suivre¨. Ou ce commentaire de Nietzsche : ¨Je te plais, mes discours t’attirent, tu veux me suivre et marcher sur mes pas ? Suis-toi fidèlement toi-même, c’est ainsi que tu me suivras…¨

Voilà qui sonne encore mieux à nos oreilles : le Christ ne nous demanderait pas de suivre quelqu’un d’autre, fût ce lui-même, mais d’être fidèle chacun à sa propre voix intérieure.

On croit entendre Freud : deviens toi-même. Ou Socrate : connais-toi toi-même. Et si c’était cela qui est écrit en ce texte, et que nous aurions perdu les lunettes pour le lire et l’entendre correctement ?

Je vais m’y essayer…après quelques autres, avec Balmary, psychanalyste et bon connaisseur de la Bible.

Et d’abord il me faut reconnaître que marcher derrière moi n’est pas une bonne traduction. Le mot grec utilisé – les évangiles ont été écrits en grec – ne veut pas dire ¨suivre¨ , il est formé de la racine d’un mot qui simplifie : chemin, route, voyage, et lorsqu’on va sur le chemin avec un autre, on l’accompagne, on fait route avec lui. Et le verbe se traduit par accompagner. Vous voyez la différence, elle est de taille : ¨accompagner¨ ne convient qu'à quelqu’un qui est sujet et non pas esclave il évoque l’égalité en dignité, en liberté.

Ainsi au commencement la femme est tirée du côté de l’homme : un ¨à côté¨ qui pourra se transformer en ¨ avec¨ s’ils trouvent le juste chemin de la relation. Pareillement quand Dieu dit à Moïse et à son peuple : ¨Je serai avec toi¨, c’est à dire sur le chemin je t’accompagne, je chemine avec toi – n’est-ce pas beau de découvrir que le Seigneur chemine avec moi et qu’en ce cheminement chacun compte, lui, moi ?

Suivre quelqu’un c’est tout autre chose, c’est marcher derrière.

Ce n’est pas mon mouvement qui compte, mais celui du premier qui détermine le chemin : je m’en remets à l’autre, je ne suis plus moi, je renonce à moi.

Ne serait-ce pas à cela que précisément Jésus demande de renoncer ? Renoncer à suivre un autre, c’est à dire commence à devenir toi. Mais comme il est plus facile de suivre quelqu’un que d’être soi, on se laisse aller sur la pente de la facilité et on en arrive à nier sa propre autonomie.

Au fond, je retrouve l’intuition qu’exprime l’apôtre Paul et que nous avons entendue en première lecture : ¨Faites de votre vie une offrande sainte qui plaise à Dieu¨ (Rom. 12,1). Faire de sa vie une offrande, c’est tout de même un projet positif même si elle est difficile par moments, même s’il y a des passages pénibles, transformer la part négative en énergie positive.

Cela n’est possible que s’il y a une relation d’amour entre Dieu et moi, telle que le prophète Jérémie l’a éprouvée – il en témoigne dans la première lecture du jour.

 

 

 

22e dimanche du temps ordinaire 4 août 2008

 

(1R19, 11-13a ; Ps 84 ; Rm 9, 1-5 ; Mt 14,22-33(

Viens ! N'aie pas peur !

Le récit de la marche de Jésus sur les eaux, que Matthieu, Marc et Jean rattachent au miracle de la multiplication des pains, rapporte une expérience qui laissa une impression profonde sur les disciples de Jésus. Chacun de ces trois Évangélistes raconte les faits d'une façon quelque peu différente des deux autres; mais dans chaque cas l'histoire trouve son sommet dans la rencontre de Jésus avec ses disciples sur la mer, et dans les paroles sublimes et consolantes de Jésus: “Courage, c'est moi, n'ayez pas peur.”

La foule rassasiée et enthousiaste devant ce miracle de la multiplication des pains veut faire une ovation à Jésus, bien plus, le proclamer Roi. Jésus, pour éviter ce mouvement de foule se retire à l'insu de tous pour aller prier dans la montagne (Mt 14, 22-23)

La montagne dans la Bible est le lieu privilégié pour rencontrer Dieu (Première lecture).

Si Jésus, avait besoin de solitude pour entrer en communion avec son Père, combien plus nous avons besoin de nous préparer à la prière !… Le bruit nous entoure de toutes parts, les instruments de communication ne cessent de nous distraire… Fermons la télévision et la radio pour faire silence et entrons en union avec Dieu qui nous aime infiniment.

Pendant que Jésus priait dans la montagne, ses disciples étaient partis en barque vers l'autre rive du lac de Génésareth : « La barque était déjà à bonne distance de la terre, et elle était battue par les vagues, car le vent était contraire » (Mt 14, 24)

Que l'on regarde ce qui se passe dans tant de pays en guerre ou que l'on pense aux tensions politiques dans notre pays ou ailleurs, le monde où nous vivons apparaît souvent comme une barque battue par le vent sur une mer houleuse. Si Jésus se présentait, marchant calmement sur cette mer houleuse, nous penserions sans doute comme les Apôtres, qu'il s'agit d'un fantôme.

Et pourtant il vient sans cesse à nous, non pas dans les grandes manifestations bruyantes, mais dans la brise légère. Si nous avons le courage de lui lancer le même défi que Pierre lui lança : « Seigneur, si c'est bien toi, ordonne que j'aille vers toi » (Mt 14, 28) il nous dira certainement : « Viens ! N'aie pas peur ! »

Le « si » de Pierre, cette capacité de reconnaître et d'assumer son doute, est aussi courageux que son « ordonne », sa disposition à obéir à n'importe quel prix. Puissions-nous avoir le même courage de marcher sur cette mer houleuse sans crainte et d'arriver à la rencontre de Jésus. Tous ceux qui étaient dans la barque le reconnurent lorsque le vent fut tombé. Ainsi Élie avait reconnu Dieu dans la brise légère (1R 19, 12b-13). Le défi que Dieu nous lance aujourd'hui, comme il le fit à Pierre, c'est de le rencontrer au cœur même de nos tempêtes.

À tous, Jésus demande de marcher sur la mer, celle de nos doutes, de nos incertitudes ; Jésus nous demande de vaincre nos découragements, de renoncer à nos habitudes de péché, de retrouver le chemin de la prière, de briser notre suffisance et notre orgueil…

Ayons l'audace de dire à Jésus : « Si c'est bien toi, ordonne que j'aille à ta rencontre en marchant sur ce chaos qui est le mien ». Il nous dira sans doute : « Viens ! N'aie pas peur ! » Prions pour avoir alors le courage d'aller de l'avant le yeux fixés sur Jésus et non sur la tempête qui nous entoure. Mais même si la tempête nous ramène nos peurs, ce n'est pas grave, Jésus alors nous prendra par la main et nous fera monter dans la barque… sans oublier que cette barque est en route vers l'autre rive, vers le monde des nations , vers la mission universelle.

 

 

 

23e dimanche ordinaire 2008 (A)

 

On peut être frappé par les textes d’aujourd’hui : il n’est question que de la part sombre de l’homme. Peu importe l’ordre dans lequel on les prend. Reprenons, par exemple, le premier, celui du prophète Ezéchiel. Dieu met durement en garde le prophète devant le mal : « Si je dis au méchant : tu vas mourir, et que tu ne l’avertisses pas, si tu ne lui dis pas d’abandonner sa conduite mauvaise… je te demanderai compte de son sang ». La conduite mauvaise. Saint Paul met pareillement en garde les chrétiens de la communauté de Rome contre les désordres de la vie : tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de meurtre, pas de vol, tu ne convoiteras rien de ce qui ne t’appartient pas… Voyez l’insistance saint Paul dénonce la part négative de l’homme – en réalité il ne fait que rappeler ce que dit la loi de Moïse, les dix commandements. Le Christ dans l’Evangile ne dit rien d’autre, il dénonce les désordres de la vie : si ton frère a commis un péché, va lui parler seul à seul et montre-lui sa faute. S’il ne t’écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes ou même la communauté entière de l’Eglise : s’il n’écoute pas, considère-le comme un rebelle.

Pourquoi, peut-on se demander, tant d’insistance sur le péché de l’homme, sur sa conduite mauvaise et sur le redressement qu’exige les ordres du Seigneur, aussi bien dans le Nouveau que dans l’Ancien Testament ? Comme s’il n’y avait en nous que le mal et que tout n’était que penchant au mal. Effectivement nous sommes tous enclins au mal. Regardez le petit enfant, dès qu’il est en présence de jouets, il s’en accapare et ne partage qu’à contre cœur. Je ne connais pas de communauté sans heurts, sans jalousie, sans rivalité, sans problème. Personne n’est à l’abri de ces instincts. Je connais des religieuses, des moniales, de saintes filles, qui consacrent leur vie à l’avènement du Royaume de Dieu : elles n’échappent pas à la violence intérieure. Il suffit que je me regarde moi-même, je remarque chaque jour mille occasions où se livrent d’âpres batailles autour de la jalousie ou de l’orgueil.

Et les personnes âgées ! Il en est qui vieillissent bien, comme on dit, qui ne cherchent pas à imposer leur volonté propre ; elles restent ouvertes aux autres, intéressées par la vie, curieuses de ce qui se passe autour d’elles, mais combien d’autres vieillissent mal, n’ont plus d’autre intérêt que leur propre personne, se referment sur elles-mêmes, refusent le présent et s’enfoncent dans un passé – ah, le temps d’autrefois ! - , et souffrent de solitude - quelle solitude !

Pareillement chez les jeunes : j’ai vu des parents en détresse, la maman blessée moralement et même physiquement par les coups de son propre fils, en manque de drogue. Que d’inattentions dans les familles, de violences, de querelles, de drames !

Tu ne tueras pas !

Comme si un mal indéracinable nous taraudait de l’intérieur, qui fait que les rapports humains sont toujours difficiles et sujets au conflit, qu’il s’agisse relations de mariage, d’amitié, que ce soit dans les lieux de travail ou qu’il s’agisse de la cohésion nationale ou internationale – voyez les guerres, les conflits toujours actuels -, les rapports humains sont toujours menacés. Menacés par quoi ? René Girard, philosophe français actuel répond : par l’identité des désirs. Nous nous influençons les uns les autres et quand nous sommes ensemble nous avons tendance à désirer les mêmes choses, non pas surtout en raison de leur rareté, mais parce que chacun désire ce que désire autrui. Là est la source de tous les conflits. Comme si nous ne pouvions pas vivre sans nous heurter aux proches, aux voisins, sans désirer la même chose qu’eux. Ah, cette tendance en nous à être jaloux de ce que pourrait avoir mon frère et que je n’ai pas et qui mène aux luttes fratricides. Il y a en cela quelque chose de ce que l’Eglise appelle depuis toujours le péché originel.

Et pourtant plus profonde que la haine est l’amour, le désir de communion avec l’autre, de le regarder avec bienveillance, plus profond que la division, la déchirure, la désunion, il y a l’appel à la fraternité. L’humanité dans son ensemble est ma famille. Je suis frère universel, comme aimait à dire le Père de Foucauld. C’est à cela que l’Eglise veut nous éveiller. Mais ça ne va pas de soi , il nous faut, comme dit saint Paul dans 1 Cor., passer de l’homme psychique à l’homme spirituel.

Pourquoi sommes-nous ainsi faits ? Dieu n’aurait-il pas pu nous créer d’emblée bons ?

Je ne crois pas qu’il pouvait faire mieux qu’il n’a fait. Ce serait indigne de lui…

 

 

 

24e dimanche (A) 14 septembre 2008

 

Fête de la croix glorieuse

L’Eglise nous invite à regarder la croix. A la regarder longuement, en souvenir d’un événement déjà ancien, sa redécouverte à Jérusalem par sainte Hélène, la mère de l’empereur Constantin, et la dédicace de la basilique de la Résurrection, érigée sur le tombeau du Christ en l’an 335. Mais elle s’insère avant tout au cœur de notre foi chrétienne telle qu’elle s’exprime dans la Bible, à travers les trois lectures qui nous sont proposées aujourd’hui. La première, tirée du livre des Nombres rapporte un épisode pénible de la longue marche de libération d’Israël dans le désert du Sinaï. Le peuple s’impatiente, la route est trop longue, trop aride, ils finissent par regretter l’esclavage de l’Egypte à la situation précaire du désert où ils manquent de tout. Ils s’en prennent à Dieu et à Moïse. Alors le Seigneur leur envoie des serpents au venin mortel. Beaucoup meurent. Moïse intercède auprès du Seigneur qui lui prescrit d’élever un serpent d’airain au sommet d’un mât : tous ceux qui seront mordus, qu’ils le regardent, ce serpent, et ils vivront. C’est ce qui arrive : quand quelqu’un est mordu et qu’il regardait vers le serpent d’airain, il conservait la vie sauve. L’Eglise a depuis toujours vu dans ce serpent dressé entre le ciel et la terre une image annonciatrice du messie à venir.

Saint Paul dans une hymne admirable de la Lettre aux Philippiens, c’est notre deuxième lecture, chante la gloire du Christ après l’humiliation de la croix : lui qui était de condition divine n’a pas retenu jalousement le rang qui l’égalait à Dieu ; il s’est anéanti en prenant la condition d’esclave ; il s’est abaissé jusqu’à mourir sur un gibet infâme. Dieu meurt ainsi, prenant sur lui ce qu’il peut y avoir de plus ignoble dans la condition humaine.

Saint Jean enfin reconnaît Jésus dans le serpent d’airain élevé entre ciel et terre pour que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle.

En méditant ces paroles m’est revenu en mémoire une page de Jean Sulivan, prêtre, romancier et écrivain, mort il y a près de tente ans dans laquelle il raconte dans un style admirable des choses qui élèvent le cœur. Le livre évoque sa mère, sa vieille mère sur sa petite ferme de Bretagne. Lui, le fils prêtre vit à Paris, il vient voir sa mère maman les dimanches. Or, un de ces dimanches il lui apporte une croix de style moderne qu’un de ses amis lui avait donnée. Il remarque que la maman n’était pas très enthousiasmée. « C’est trop beau pour moi, dit-elle, que va-t-on penser ? » Mais le fond de sa pensée finit par venir : « Qu’a-t-il fait de Notre Seigneur, ton artiste ? – Il ne l’a pas trouvé sur la croix, répondit le fils. Avez-vous oublié qu’il fut décloué, mis en terre, ressuscité ? La croix est vide : ce sont des millions d’hommes chaque jour, maintenant, qui s’y trouvent cloués bon gré mal gré, tous ceux qui souffrent dans leur corps ou leur âme, tous les malheureux, les affamés, les sans abri, les sans travail. Lui seul s’est échappé en avant en avant de tous jusqu’à ce qu’il vienne nous prendre avec lui. »

Elle hocha la tête. Quelques mois passent. Un dimanche matin elle lui dit : « C’est curieux, je m’y fais à ta croix, comment dis-tu, au décrucifié. Je pense moins au Seigneur, plus aux hommes qui supportent et je prie. Crois-tu que ce soit mieux, toi qui sais tout ? »

La maman bretonne, la petite paysanne, avait compris l’essentiel au soir de sa vie. Il n’y a dans la mort du Christ aucune exigence de réparation, de justice de la part de son Père. Dieu n’avait pas besoin qu’on venge son honneur compromis par les péchés des hommes. Non il ne réclamait aucune victime qui fût digne de lui, la plus précieuse, celle qui lui était la plus chère, son propre fils. J’avais entendu des choses de cet ordre dans le catéchisme de mon enfance et j’ai mis des années à m’en libérer. Comment un père pourrait-il exiger la mort de son fils ? C’eût été indigne de lui. Rien dans les Evangiles n’ouvre de telles perspectives, rien ne permet d’attribuer à Dieu la moindre violence Bien au contraire, le Dieu de Jésus-Christ est étranger à toute forme de violence. « Vous avez appris qu’il a été dit : tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien, moi je vous dis : aimez et priez pour ceux qui vous persécutent. Ainsi vous deviendrez les fils de votre Père qui est dans les cieux ; Car il fait lever son soleil aussi bien sur les méchants que sur les bons, il fait ^pleuvoir sur ceux qui lui sont fidèles comme sur ceux qui ne le sont pas. ». Si le Christ présente son Père et le nôtre de cette manière, c’est pour que nous l’imitions à notre tour, que nous aussi, comme lui, nous renoncions à toute forme de violence. Car ce n’est pas en sacrifiant un animal, moins encore un fils d’homme que nous sauverions l’homme, mais en nous ouvrant à lui, en cherchant à créer une humanité nouvelle, un peuple de frères d’où seraient exclus la haine et l’égoïsme, où règneraient au contraire le pardon et l’amour. « Tu ne prends aucun plaisir au sacrifice, dit le psalmiste, mais d’un cœur brisé et broyé tu n’as point de mépris (psaume 50). Le Christ n’est pas un sacrifié : « Nul ne prend ma vie, dit-il, c’est moi qui la donne ». Comme le serviteur d’Isaïe, il est l’innocence même. En donnant sa vie, il nous prend dans ses bras et nous invite à faire de même.

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