Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
/ / /

11e dimanche ordinaire (C) 2007

Mercredi après-midi un homme, la cinquantaine m’a dit des mots d’une extrême tristesse. “Mieux vaut être enterré que d’être un mort-vivant !” Il m’a parlé longuement de son mal-être, il a commis des actes graves qui lui valent des années d’emprisonnement, il ne voit plus d’avenir, il se trouve comme un mur infranchissable. Alors, à quoi bon vivre ? Il se sent de trop, un mort-vivant, comme si plus rien ne le retenait sur terre. Je l’ai écouté longuement, sans proposer de chemin. C’aurait été trop tôt, pensai-je. “On se reverra, dis-je, la semaine prochaine je frapperai à votre cellule”.

J’ai beaucoup pensé à cet homme. Je suis convaincu que nous avons tous partie liée avec le mal, mais aussi que nul homme ne se réduit à ses actes, si horribles soient-ils, ni n’échappe au tragique conflit entre ce qu’il est et qu’il est appelé à devenir, qu’il est difficile de devenir un être libre, qui se crée du dedans, qui ne subisse plus sa vie de l’extérieur, des pulsions de la nature, qui arrive à maîtriser la biologie qu’il tient, que nous tenons tous, de la vie et donc que nous ne choisissons pas, comme nous ne choisissons pas notre hérédité, notre milieu, notre langue ou notre patrie.

On vit les uns à côté des autres, mais on est à une distance infinie les uns des autres. Chacun reste enfermé en soi, chacun cherche à se venger sur les autres de toutes les souffrances qu’il éprouve dans sa propre prison. Chacun tue ce qu’il croit aimer et c’est pourquoi la vie se consume sans rien produire, sans rien créer jusqu’au moment où la mort intervient. Alors on pleure, vainement d’ailleurs, une vie qu’on n’a pas su combler, une existence que l’on n’a pas contribué à faire mûrir, alors que c’est trop tard et qu’il aurait fallu s’y prendre avant.

Mais justement, dit mon ami Zundel - je l’appelle ami, bien que je ne l’ai jamais connu de son vivant, mais ses écrits, que je ne cesse de méditer depuis plus de vingt ans, m’ont rendu proche de lui, au point que je le considère comme un ami, au même titre que je considère Edith Stein ou Bernard de Claivaux comme de vrais amis, par-dessus le temps et les lieux -, Zundel dit que notre malheur est que nous ne savons pas vivre. L’art de vivre est la chose la plus difficile. Et il disait cela en 1961 au Caire, dans un sermon qu’il donnait dans l’église Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, s’étonnant comment une petite Française, morte il y avait alors 64 ans - il faudrait dire aujourd’hui : il y a 110 ans (c’était en 1897) - qui avait passé sa courte existence dans un Carmel ignoré du monde, en Normandie, comment cette petite Française exerce un attrait inépuisable sur des femmes de la rue, qui ne sont pas de sa religion, qui ne savent pas sa langue et qui viennent là mystérieusement attirées dans cette église, cette fille morte à 24 ans qui n’avait jamais rien fait, qui n’avait écrit que quelques poèmes sans grande valeur artistique outre son grand livre L’histoire d’une âme, qui avait lavé les carreaux du monastère et servi quelque temps à la sacristie, le peu que sa faible santé le lui avait permis ? Comment un tel miracle était-il possible ? Eh bien, elle avait une telle densité de présence au monde qu’elle était capable, et elle le demeure aujourd’hui, d’être entendue au plus secret de l’âme de ces musulmanes au cœur de l’Egypte. Comme aussi en Extrême-Orient, des Philippines au Japon, où non seulement les catholiques, mais aussi les foules bouddhistes allaient vénérer avec respect les reliques de la sainte de Lisieux, lors de l’entrée dans le troisième millénaire. Je pense encore à mon ami Robert N’Dour; il est vicaire dans la paroisse Sainte Thérèse de Lisieux, au cœur de Dakar, où rayonne pareillement le visage de lumière de la petite sainte ? Par quel miracle, Par quelle action ? Par la seule qui vaille et qui est le rayonnement d’une présence authentique.

On peut se poser la même question à propos de saint François, le pauvre d’Assise, qui a rassemblé autour de lui des frères en grand nombre et qui continue aujourd’hui, huit siècles plus tard, à séduire des hommes et des femmes de toutes races et de tous âges à travers tous les pays de la terre, pour la raison très simple - encore faut-il le faire ! - qu’il a su se cacher dans la présence infinie, qu’il a offert à Dieu la transparence absolue de son amour et que ce n’était pas lui que l’on voyait, mais Dieu, à travers lui.

Voyez David, dans la première lecture de ce dimanche : il a commis des atrocités, des crimes, il a fait tuer Ourias le Hittite pour lui voler sa femme. Comment a-t-il cependant pu devenir le roi selon le coeur de Dieu ? Tout roi qu’il était, il a reconnu ses fautes, il a pleuré sur sa misère et rectifié le tir.

Et saint Paul qui avait persécuté les chrétiens, qui les avait arrêtés et jetés en prison, qu’a-t-il fait pour devenir le grand apôtre que nous connaissons ? Il a seulement reconnu, quand l’heure fut venue, que le fils de Dieu l’aimait et qu’il s’était livré pour lui.

Voyez la pécheresse de l’Evangile, la sainte pécheresse, qui est-elle, qu’a-t-elle fait pour qu’on se souvienne d’elle aujourd’hui encore ? Elle n’a rien fait, elle a compris quelque chose du mystère de Jésus, alors elle s’est assise près de lui et lui a mouillé les pieds de ses larmes !

 

 

12ème dimanche ordinaire 2010

L’Évangile qui vient d’être proclamée me fait fait rêver une fois de plus au groupe étrange qui se déplaçait alors en Palestine : Jésus avec ses douze compagnons, les apôtres. Pendant un peu moins de trois ans, ce qui représente somme toute un temps très court, le Christ essaie d’introduire ces hommes qui venaient pour la plupart de milieux plutôt modestes, des pêcheurs de poissons, Matthieu se trouvait à son bureau de douane quand Jésus l’a interpellé, les autres on sait pas bien, peut-être des travailleurs de la terre ou des artisans, dans les secrets de Dieu, de les ouvrier au vrai contenu des Écritures qui appartenaient à leur peuple, Israël que Dieu avait choisi de longue date pur le préparer à recevoir le moment venu le fils même de Dieu, quand, pour prendre une expression de la Bible, les temps seraient accomplis Imaginez-vous cette petite troupe, une douzaine de personnes parfois entourés de quelques proches ou de personnes qui voulaient en savoir un peu plus, parcourant villes et villages sur les chemins de la Palestine, s’arrêtant ici et là, participant à la vie ordinaire du pays, fréquentant un peu au hasard les places publiques, cherchant à éveiller le sens de Dieu. Le Christ se sentait comme poussé par une nécessité intérieure d’accomplis la mission qui était la sienne et qui s’était précisée au cours de sa jeunesse, de faire mieux connaître aux hommes qui était Celui que nous découvrons à tâtons comme la source de toutes choses, Celui sans qui rein ne serait de qui est, que les uns appellent Shiva, d’autres Baal. Le Christ nous apprend qu’il n’est pas un Dieu lointain ni le Très-Haut, qu’il est au contraire Très-bas, proche de l’homme, un dieu intérieur, plus proche de nous que ne le sommes nous-mêmes, qu’il est Père, notre Père, qu’il sait mieux que nous-mêmes ce qui nous est nécessaire, que nous n’avons pas à nous inquiéter de rien, ni pour notre vie de ce que nous mangerons, ni pour notre corps de quoi nous le vêtirons. Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers et votre Père les nourrit. Ne valez-vous pas plus qu’eux ? Comme elle est belle cette page de Saint-Mathieu que le Poverello d’Assise a tant aimée et mise en œuvre ! Plusieurs de ceux qui ont approché du Christ ont perçu cet attrait intérieur qu’il pouvait exercer sur les cœurs droits et la compréhension à notre égard qui était la sienne. La Samaritaine, qui s’est vu libérée à son contact et qui a changé de vie : enfin elle avait trouvé ce qu’elle cherchait sans bien le savoir, le bonheur sans illusion et la joie parfaite; Zachée, le publicain qui ramassait les impôts pour le compte de l’occupant romain et qui pour cette collaboration était mal vu de ses compatriotes : il trouve au contact du Christ la liberté et le bonheur qui lui faisait défaut jusque là. Le soldat romain qui assistait à la mort du Christ sur le Mont Calvaire et qui à la vue de ce qui se passait sous ses yeux a cette parole étonnante pour un étranger qui n’était pas versé dans l’attente juive d’un Messie : « Vraiment cet homme est le Fils de Dieu »… Je voudrais vous livrer tris convictions que m’inspirent les passages de l’Écriture d’aujourd’hui :

1. D’abord le premier verset de l’Évangile : « Un jour Jésus priait à l’écart ». Jésus priait à l’écart. On voit souvent le Christ aller à l’écart, sur une montagne, dans des lieux déserts pour prier, comme nous ici, en ce lieu désert, l’église du village. Pour prier il se se retirer des foules, des lieux trop familiers pour aller à la rencontre de Dieu, comme Moïse sur le Mont Sinaï ou Élie sur l’Horeb, non pas que Dieu soit absent ailleurs, parmi les foules, pour nous il est important de faire le vide en nous pour nous nous ouvrir à Dieu, car ainsi nous le suggère l’attitude du Christ, la prière ezt un temps d’intimité avec le Père. Entrer en intimité avec lui, dans le dialogue, il nous parle et nous lui parlons, de notre vie, de ce qui compte pour nous et pour les hommes…

2. Le deuxième point qui m’interroge vient encore de l’Evangile et c’est la question centrale qu’il pose à ses amis, ses proches, les apôtres. Qui suis-je ? Qui suis-je pour les autres et pour vous. La question nos est aussi posée à nous : qui est-il, le Christ, pour moi ? Les réponses son multiples : pour les uns il est Moïse, pour d’autres Élie ou l’un des prophètes. Pierre a perçu plus profondément, ici, en saint Luc, qu’il est le Messie, l’envoyé de Dieu; ailleurs en Matthieu, le Fils du Dieu vivant.. Et pour moi ? J’aime comprendre les choses de cette manière, il est celui en qui Dieu s’est manifesté. Non, pas un homme qui ne serait plus homme, il est pleinement homme, l’homme tel que Dieu le rêvait au matin de la création, Homme-Dieu, ce que nous sommes tous d’une certaine façon, mais il fallait que quelque un nous dise, notre grandeur d’homme, notre infiniment au-dessus de ce qu’un homme aurait jamais osé le dire. Voilà ce que nous sommes appelés à devenir des Hommes-Dieu. Nous ne le sommes certes pas au même titre que Jésus. Lui est Dieu par nature. Nous, par adoption. Il l’est avant tous les siècles, depuis toute éternité; nous, par création, Dieu a voulu que nous le devenions….

3. Et mon troisième point rejoint le second. « Frères, en Jésus-Christ, vous êtes tous fils de Dieu par la foi. » Il faudrait ici relire tout l’extrait de la Lettre de Paul aux Galates que nous avons entendu tout à l’heure en première lecture. Nous sommes fils de Dieu, qu’est-ce à dire sinon que sommes Dieu. Les fils sont de même nature que le père et la mère. Nous sommes fils de la terre par notre origine terrestre mais aussi fils du ciel par notre origine divine et ce n’est pas moi qui le dit, la Genèse nous l’apprend et vous le savez : Dieu créa l’homme à son image et à sa ressemblance. En nos coule la même sève que dans le fils unique, nous sommes vraiment les frères de Jésus-Christ, tous unis à lui par le baptême, le souffle de Dieu nous anime, sans lui nous n’existerions pas, comme les sarments de la vigne, nous surgissons du tronc qu’est le Christ : je suis la vigne, vous, les sarments, dit le Christ dans l’une des paraboles des Évangiles…

 

 

12e dimanche ordinaire

Fête de saint Jean-Baptiste

Je vais évoquer deux aspects que je me suggère cette fête.

1. L’évangile raconte comment dès avant sa naissance Dieu était avec Jean-Baptiste, pour faire de lui le prophète du Très-Haut, le précurseur, celui qui marche devant le Seigneur pour préparer les cœurs des hommes à l’accueillir. Mais cela est vrai aussi du prophète Isaïe que le Seigneur a appelé, comme on le voit dans première lecture, alors qu’il était encore dans les entrailles de sa mère pour qu’il soit le serviteur du Seigneur, qu’il relève les tribus de Jacob et ramène les rescapés d’Israël. Et dans la deuxième lecture on voit comment Dieu a suscité David pour le faire roi, et roi selon le cœur de Dieu. Eux et bien d’autres, tout au long de l’histoire, Dieu les a choisis. Et il continue d’appeler aujourd’hui, donnant à chacun de manifester la puissance de l’Esprit en vue du bien de tous. A l’un, dit saint Paul, est donné un discours de sagesse, à tel autre un discours de science, à un tel la foi à un degré extraordinaire, le don de guérison, celui de prophétie ou celui des langues, la puissance d’opérer des miracles ou de discerner les esprits (1Co 12, 4-11); il appelle les uns à être apôtres, d’autres missionnaires, contemplatifs ou membres plus actifs au service de leurs frères. Chacun a son charisme particulier. Et vous, frères et soeurs, y avez-vous déjà réfléchi, quel est appel propre, votre richesse, ce que le Seigneur vous a donné et qu’il a donné à nul autre ?

2. Il a été dit à Jean-Baptiste que “Celui sur qui (il) verrait l’Esprit descendre, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint” - Et il a vu, ajoute le quatrième Evangile. Il a vu et il le désigne à deux de ses disciples comme “L’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde” (Jn 1, 33-3). Je voudrais m’arrêter un peu avec vous sur ce mot de Jean-Baptiste : Jésus est l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Que veut-il dire par là ?

Jésus qui n’a pas péché, qui “n’a pas connu le péché”, comme dit saint Paul (2 Co 5, 21), est ancré dans l’humanité pécheresse, car Dieu l’a envoyé “dans la chair semblable à celle du péché” ( Rom 8, 8). De là on a vite dit, et on n’a pas manqué de le dire, que Dieu a chargé son Fils des péchés des hommes, qu’il les porte sur lui, qu’il en fait la victime expiatoire, qu’il était tenu de payer la dette, qu’il a dû subir la peine des péchés, épuisant par ses souffrances les exigences de la justice divine. Là, nous sommes dans l’erreur, car Jésus n’a pas porté de péché ni sur la croix ni ailleurs, pour la raison toute simple que le péché n’est pas une chose que l’on peut porter, comme on porte des affaires dans un sac; ils n’existent pas comme tels, en eux-mêmes, sinon ils seraient créés par Dieu, sans qui rien n’existe de ce qui est. Mais il existe des pécheurs, des hommes pécheurs dont le Christ est solidaire.

Solidaire. C’est le mot essentiel en cet endroit de la réflexion. Dieu n’a pas substitué son Fils aux pécheurs, comme l’ont affirmé il n’y a pas longtemps encore de grands théologiens, mais il l’a engendré dans la solidarité avec les hommes pécheurs, pour qu’en tant que Fils il les amène à leur commun Père. N’est-ce pas merveilleux de découvrir que dans notre communion avec le Christ il nous est donné de partager son irréprochable sainteté ? “Pour nous il est mort et ressuscité”, dit saint Paul (2 Co 5, 15). Et comment aurait-il pu vivre, mourir et ressusciter sans nous puisqu’en devenant homme, chair de notre chair, il fait corps avec nous, lui qui est le premier-né de la création en qui tiennent toutes choses : “Il n’y a qu’un seul Père de qui viennent toutes choses et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui sont toutes choses, et pour qui nous sommes” (1Co 8, 6).

On peut encore dire de cette solidarité du Christ avec nous qu’elle est plus profonde que celle entre Adam et nous. Entre Adam et nous il y a une solidarité de fait : nous sommes faits de la même terre et nous vivons du même souffle divin, mais entre le Christ et nous il y a une solidarité d’origine de principe, de source. Il faut relire ici l’hymne de saint Paul dans la lettre aux Ephésiens :

Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ,

qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ.

C’et ainsi qu’il nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour( Ep 1, 3-4).

La grâce en nous est plus originelle que le péché originel : elle est d’avant la fondation du monde; le péché est de l’ordre de l’histoire. Etre créé dans le Christ est radical; le péché est sur-venu : il cherche à s’imposer et veut contrarier la solidarité avec le Fils.

Je dirai encore ceci de notre solidarité avec le Fils : qu’elle est dynamique, qu’elle attire vers le haut. En ce sens Jésus est pré-curseur, plus pré-curseur que le Jean le précurseur, il marche en avant, il prend la tête de l’immense colonne de tous les hommes, des milliards d’hommes, en inversant le mouvement vers le bas en un mouvement vers le haut, par un accueil du Père plus fort et plus vaste que tous nos refus opposés.

Et le chrétien suit. Nous suivons, plutôt nous essayons de suivre. Jamais l’Ecriture ne nous demande de nous substituer au monde pécheur, de payer une dette quelconque à la place des autres, car Jésus lui-même ne l’a pas fait. Paul non plus ne l’a pas fait en son apostolat, il ne paie pas pour les pécheurs, il communie au Seigneur. “Sa mort, dit-il, fait son œuvre en nous” (2 Co 4, 12). Il suffit d’ajouter à ce mot de saint Paul : sa mort et sa résurrection !

Il a été rejeté du monde, comme le Christ, comme Jean Baptiste, comme beaucoup de témoins du Christ, mais jamais in s’est senti rejeté par Dieu, abandonné par lui. Comme Jésus ne s’est jamais senti rejeté par dieu. Quand sur la croix, il dit : “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?”, il récite le psaume 22 où celui qui s’exprime sait que, malgré sa plainte, Dieu est roche de lui.

 

 

13e dimanche ordinaire (C) 2001-2007

 

Je retiens un mot de chaque lecture : d’abord Elie, le prophète Elie, jette son manteau sur les épaules d’Elisée, puis : “libre” ou liberté, le Christ nous rend libres et enfin : “viens” ou l’appel du Christ.

1. Dans la première lecture, il est question du manteau d’Elie. Elie passa près d’Elisée et jeta vers lui son manteau. Imaginez-vous la scène très simple. Elie le prophète tout à la fin de sa vie, une vie consacrée au Seigneur - il se tenait devant la face de Dieu et veillait jalousement à le servir dans la droiture et la justice. Le Seigneur lui demande de consacrer Elisée pour être son successeur. Il va à sa rencontre et le trouve en train de labourer son champ. C’est là dans le champ que se passe la scène et qu’il jette sur lui son manteau. Un peu plus tard, au moment où Elie quitte la terre, sur le char de feu, la Bible raconte qu’Elisée ramassa le manteau qui avait glissé de ses épaules, qu’il s’en revêtit et vint se tenir sur les rives du Jourdain : il frappa les eaux de la rivière et les eaux se divisèrent d’un côté et de l’autre si bien qu’Elie put traverser le lit du fleuve à pieds secs, comme Moïse avait fait avec les eaux de la Mer Rouge. Les penseurs des premiers siècles chrétiens ont vu dans ces passages de l’eau, aussi bien dans le cas de Moîse que dans celui d’Elisée une figure du baptême, le baptême n’est-il pas le signe que l’on passe d’une rive à l’autre, de cette terre vers le ciel, du pays des ténèbres au pays de la liberté.Les quelques gouttes d’eau que le prêtre verse sur la tête de l’enfant signifient en fait que l’enfant est plongé dans la mort avec le Christ et qu’il en ressort vivant comme le Christ est sorti vivant de la mort au matin de Pâques. Il y a ensuite entre autres signes, la remise du vêtement blanc. A cette occasion j’utilise un tissu avec lequel je revêts symboliquement les épaules de l’enfant et je dis la prière suivante : tu es devenu une création nouvelle, tu as revêtu le Christ, c’est pourquoi tu portes ce vêtement blanc. Tu as revêtu le Christ, un mot de saint Paul. Revêtir le Christ, c’est recevoir en partage la force de Dieu. Voilà l’un des attributs de la vie chrétienne. Vous voyez la relation avec le manteau d’Elie Je trouve cette image très belle et c’est l’occasion pour chacun de nous d’y penser, car nous avons tous été revêtus au baptême du manteau d’Elie.

2. Le deuxième mot de la deuxième lecture est : libre. Le Christ, dit saint Paul, nous a rendus libres ou encore : il nous a libérés ou il nous a appelés à la liberté. Liberté ne veut pas nécessairement dire anarchie ou chacun fait ce qu’il veut. Figurez-vous la circulation automobile sans un minimum de règles. Et personne ne se plaint que les règles de jeu à la belote, aux échecs, au football sont des atteintes à la liberté. Sans règles la société ne survivrait pas très longtemps, les plus forts seraient encore plus rapaces qu’ils le sont, les voleurs plus voleurs et les violents plus violents. En Haïti, on voit ce que devient la vie quand il n’y a pas de gouvernement : le règne du banditisme et de la terreur Et pourtant le Christ nous rend absolument libres ! On connaît le mot de saint Augustin : Aime et fais ce que tu veux. Et c’est vrai, il n’y a pas d’homme plus libre que le chrétien, le disciple du Christ. Le Maître nous a donné l’exemple. Qui fut libre comme le Christ ? Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, oui, mais il est resté lui-même dans toutes les situations, ne reculant devant personnes, pas même devant les rois. Nul ne prend la vie, c’est moi qui la donne... A quoi sert de gagner le monde si l’on y perd son âme ?

3. “Viens” sera le troisième mot que je vous propose de méditer. C’est Jésus qui appelle dans l’Evangile : “Viens, suis-moi”. Mais celui qu’il appelle ne répond pas, comme avaient répondu Pierre et André, Jacques et Jean, Matthieu et les autres apôtres avaient répondu; il a un devoir sacré à remplir : enterrer son père . La proposition de Jésus de laisser les morts enterrer les morts lui paraît insoutenable. Plus tard ses propres amis veilleront avec soin au corps de Jésus. Et les premiers chrétiens prendront de gros risques pour donner la sépulture aux leurs. Mais pour l’instant, il faut rompre avec le passé et se tourner résolument vers les réalités nouvelles qu’offre le Seigneur. Il y a des ruptures à opérer : qui n’est pour moi est contre moi. Le royaume des cieux n’admet pas de demi-mesure. Amen

 

 

14e dimanche ordinaire (C) 2001-2007

 

Je vous pose trois questions et, bien sûr, je me les pose aussi :

1. La première, je l’ai trouvée posée récemment en lisant dans un journal des extraits des Mémoires du large d’Eric Tabarly, mais il n’est pas le premier ni le dernier à se la poser : pourquoi le Dieu d’amour permet-il autant de misères et de tragédies sur terre ? Poser la question ainsi revient en fait à refuser Dieu, car s’il existant, il ne permettrait pas que soient toutes les misères qui se voient sur terre.

Essayons d’entendre ce qui nous est dit de Dieu dans les textes de l’Ecriture que nous venons d’entendre. Dans l’Evangile nous voyons Dieu en souci pour ce monde, par l’intermédiaire de Jésus-Christ qui envoie ses disciples en mission, le grand groupe des disciples, les soixante-douze, il les envoie deux par deux. Leur mission est très simple, elle consiste à appeler les hommes à la paix et la fraternité. La paix et la fraternité : deux choses essentielles. Et elle doit se dérouler, cette mission, sans l’appui de moyens humains : pas d’argent, pas de sac, pas de sandales, elle exige de ceux qui sont appelés une totale disponibilité, la pleine liberté intérieure. Ils doivent provoquer les hommes, les obliger à prendre parti.

Au fond, tout au long de l’histoire d’Israël ancien, Dieu ne cesse d’appeler. Voyez Abraham : “Quitte ton pays, va là où je te dirai d’aller.”. Voyez Isaïe, Jérémie et la longue liste des prophètes, jusqu’à Jean-Baptiste, Jésus appelle les apôtres : “Viens, suis-moi”, qui appellent à leur tour des volontaires pour prendre en charge les communautés qui s’organisent. Et aujourd’hui il continue d’appeler des gens ordinaires, comme vous et moi pour être les témoins de son amour. C’est nous qui avons pour mission de témoigner de l’amour de Dieu. De quoi aurions-nous l’air avec d’idée d’un Dieu qui produirait le blé sans moissonneurs, qui donnerait des soins aux malades sans passer par la prise en charge des uns par les autres, sans médecins, et qui transmettrait sa Parole, sans messagers ? Dieu serait-il une fée qui avec une baguette magique changerait le citrouille en carrosse ? Priez donc le maître de la moisson... Que cette prière ne soit pas cependant un alibi pour la paresse. C’est dans la prière que Martin Luther King a rêvé de fraternité entre noirs et blancs. C’est dans la prière que Mère Teresa a décidé de tout abandonner pour se consacrer aux plus délaissés. On peut dire avec Ignace de Loyola : “Prie comme si tout dépendait de Dieu, agis comme tout dépendait de toi”. Avec la Bible on pourrait dire : “Prie afin de découvrir sur quel chantier, pour quelle tâche, Dieu t’a choisi”.

2. La deuxième question ne concerne plus Dieu, mais l’homme : pourquoi l’homme permet-il autant de misères, de tragédies sur terre ? Pourquoi ? Un journaliste demandait un jour à Mère Teresa : qu’est-ce qui ne va pas dans le monde ? Elle répondit : vous et moi, monsieur.

Regardez Jésus. Il est l’amour fait homme, Dieu à visage humain. Comment réagit-il devant les tourments des hommes ? Il est saisi de compassion jusqu’aux entrailles, disent les évangiles. Il ne supporte pas que l’on abîme un homme. Alors il aime, il soigne, il guérit : les muets parlent, les aveugles voient, les paralysés marchent. Sa conduite est contagieuse. Des foules le suivent, se demandent s’il n’était pas le messie, celui à partir de qui le monde pourrait changer.

On va le faire taire, l’arrêter, le condamner, son temps est compté : que fait-il ? Il embauche, il appelle les soixante-douze. Au lieu de dire que Dieu est muet, pourquoi ne lui prêtes-tu pas ta voix ? Au lieu de dire qu’il est manchot, pourquoi ne lui prêtes-tu pas tes bras ?

Oui, les hommes ont besoin d’être secourus. Saint-Exupéry à la veille de sa dernière mission disait : “j’ai le sentiment que nous marchons vers les temps les plus noirs du monde... Il n’y a qu’un seul problème, un seul : rendre aux hommes une dimension spirituelle”. Stan Rougier aime dire qu’à vingt-deux ans il a entendu cet appel de Saint-Ex, et qu’il s’est alors lancé à la suite du Christ, et depuis il ne fait que prêcher cela, redonner aux hommes le goût de cet appel intérieur, les ouvrir à leur dimension spirituelle.

Il est vrai qu’il y a tant d’hommes autour de nous happés par le vide, le non-sens, comme Paul Claudel à dix-huit ans, ou le jeune Arthur Rimbaud, englués dans un monde sans âme. Alors on se lance dans la drogue, l’alcool, la violence ou le suicide... C’est vers eux que le Christ lance ses disciples. N’est-ce pas ce monde qui nous appelle aujourd’hui ?

3. Si les deux premières questions peuvent paraître quelque peu rudes, ce qui me reste à dire en troisième lieu est plein de joie : pendant l’exil, les Juifs avaient rêvé d’une restauration glorieuse. Or, le retour au pays s’est révélé décevant. L’enthousiasme, né de la libération, retombe vite. C’est alors qu’un disciple du prophète Isaïe se lève : un jour, proclame-t-il, Jérusalem rayonnera de la gloire divine et Dieu consolera son peuple, comme une mère console son enfant. N’est-ce pas beau de savoir que, quelle que soit la situation où je me trouve, le Seigneur est toujours à mes côtés, que rien n’est jamais absolument désespéré, sans lueur, sans possibilité nouvelle. Alors votre coeur se réjouira. Vous avez raison d’être venus ce matin au près du Seigneur, ne fût-ce que pour entendre ces paroles qui nous viennent de Dieu... Amen.

Christine raconte dans un livre sa rencontre avec K.; K. Lui parle de sa famille. Tous les soirs après le diner, ses… parents entourés de leurs sept enfants récitaient le chapelet et terminaient la prière ainsi : « Mon Dieu tu nous as donné de nombreux enfants, que ta volonté soit faite ! Prends l’une de nos filles comme religieuse et l’un de nos fils comme prêtre. »

A dix-huit ans la petite sœur entrait au couvent et prononçait ses premiers vœux. A quarante ans elle les rompait en disant : « J’ai enfin compris que sous prétexte d’obéir à Dieu je n’accomplissais que la volonté de mes parents. » Elle est restée bonne chrétienne.

Mon Dieu qu’il est difficile de savoir ce que tu veux !

Toi le Dieu caché, le Dieu silencieux, qui dessine sur le sable et qui attend, comment connaître ce que tu veux de moi, pour le monde, pour le couple, pour mes enfants ?

Je vais à l’église et j’entends … qu’il faut faire ta Volonté et que le Christ lui-même, en bon fils, n’a fait que révéler et accomplir ta Volonté. Mais dis-moi, Dieu volontaire, comment savoir ce qu’il faut faire, comment se sentir porté par ta Volonté. Quel est ton plan ?

Car, on le voit dans la Bible, aucun chemin n’est tracé, aucun plan réussi : juste des hommes et des femmes, comme nous aujourd’hui, que tu appelles, que tu désires, que tu attends

Mon Dieu, je suis paumée, je ne sais pas où aller et je ne sais pas quoi faire, je fais comme tout le monde et, par tous les moyens, j’essaie d’avoir l’air. J’ai pourtant peur que tu n’existes pas. J’ai peur que n’existes plus. En fait, j’ai surtout peur pour moi-même, j’ai peur de la mort… Mon Dieu, comme j’aimerais passer à côté de la maladie, du divorce, de l’oubli…

Où est le sens de ma vie, de notre vie ?

Il n’y a aucun chemin, mais il y a quelqu’un qui me dit : « Je suis le chemin et la vie. Suis-moi ». (Christine Cayol, Je suis catholique et j’ai mal, éd. du Seuil, p. 189 et suiv.)

 

 

15e dimanche ordinaire (C) 2001, 2007

 

On connaît bien l’évangile de ce jour où l’on voit Jésus répondre à la question d’un docteur de la loi. Pour avoir la vie éternelle il faut, dit-il, mettre en pratique le commandement tel qu’il est donné dans le Deutéronome : tu aimeras Dieu de tout ton coeur de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même.” Et Jésus illustre le commandement avec la parabole du bon Samaritaine. Je suis en train de lire de dernier livre de Monseigneur Rouet, l’évêque de Poitiers. On lui demande : quel doit être le mode de présence des évêques dans un pays comme la France ? Doivent-ils se consacrer essentiellement au “petit” reste des fidèles chrétiens en attendant des jours plus favorables pour dialoguer avec la culture contemporaine ? Ou au contraire être davantage présents au monde actuel et intervenir davantage dans les débats de société ?

La question m’intéresse, car en tant que prêtre je suis le collaborateur de l’évêque, je fais partie du presbyterium, le corps des prêtres, que l’évêque préside en tant que successeur des apôtres et apôtre lui-même, je lui donne un coup de main, là où il nomme, pour l’instant ici, à Sarreguemines, dans les paroisses que vous connaissez, mais aussi dans la maison de détention parmi le personnel pénitencier et les détenus et comme accompagnateur de divers groupes d’adultes ou de jeunes. Alors, vous comprenez, ce que pense mon évêque compte pour moi, et pas seulement le mien, les autres aussi. Non pas parce que je n’aurais pas de pensée personnelle et que je me réfugierais, pour me justifier derrière des paravents, mais parce que je sais que l’Eglise constitue un tout, St Paul nous le dit dans la deuxième lecture de ce jour. Le Christ, dit-il, est la tête du corps qu’est l’Eglise.; il me paraît tout à fait important de me laisser saisir par l’immense courant de vie qui laisse paraître, comme en un miroir, un peu de la gloire de Dieu. Ce courant de vie se manifeste pleinement dans la personne du Christ, l’image du Dieu invisible : il est la tête du corps entier, en qui, comme en une procession, toute l’humanité se trouve entraînée vers son but ultime.

Comment découvrir quelque chose de ce courant qui nous entraîne, sinon en réfléchissant moi-même avec vous, en Equipe d’Animation Pastorale, mais aussi dans le dialogue avec tous, ceux que je rencontre lors d’un baptême, d’un mariage, d’un enterrement, dans les événements ou les multiples contacts qu’offre la vie. Mais aussi en écoutant la voix des évêques.

Alors quel doit être le mode de présence au monde des évêques ? Doivent-ils donner la priorité à l’Eglise, la petite Eglise, d’où beaucoup d’hommes et de femmes sont absents ou au contraire être davantage à l’écoute du monde ?

Monseigneur Rouet hésite devant la question. Il n’a, dit-il, de leçon à donner à personne; il ne sait pas non plus s’il fait correctement son travail d’évêque. Puis il se lance : “Je suis évêque de Poitiers, mais je ne suis pas seulement l’évêque des croyants. Je suis aussi l’évêque de ceux qui ne croient à rien et l’évêque de ceux qui se fichent pas mal de l’Eglise. Je suis envoyé à tous. Quand le Christ parle de ceux que le Père lui a donnés, il parle de tous les hommes, sans exception.

Alors je me dis : il faut que moi aussi, petit prêtre, à la place où je suis, il faut que moi aussi je sois ouvert à tous, à vous bien sûr qui êtes là, mais aussi à tous qui ne sont pas là; il faut que je me sente envoyé à tous. J’essaie d’être ouvert au monde : à Haïti où j’ai eu la chance d’être missionnaire pendant un temps, il y a longtemps déjà, mais le pays est devenu au fil des années comme une seconde patrie, l’Afrique aussi, le Togo, la Côte d’Ivoire, l’Algérie, à travers des personnes précises qui me sont devenus proches, amis, prêtres ou laïcs. Et vous de même, vous êtes là pour l’Eglise, or l’Eglise n’a pas de frontières : au cours d la messe nous portons la terre entière dans notre prière.

Aujourd’hui, dit Rouet, l’évêque doit être un guetteur, un veilleur et même “attendre le Seigneur plus qu’un veilleur n’attend l’aurore” (ps. 129). Et l’évêque ajoute; “Je ne peux pas laisser des choses inhumaines se produire sous mes yeux”. Quelles sont-elles, ces choses inhumaines ? lui demande-t-on. Ces derniers temps, remarque-t-il, l’Eglise a fait des actes de repentir et c’est bien, même s’il est facile aujourd'hui de dire à quel point l’Inquisition était mauvaise - ou le massacre des Indiens par les conquistadors en Amérique. Mais la grande question de l’évêque de Poitiers est : que se passe-t-il d’intolérable que je ne vois pas ? Dans un siècle on dira peut-être que je n’ai pas vu aujourd’hui des choses inacceptables qui pourtant crevaient les yeux. Lesquelles ? lui a-t-on demandé. Réponse de l’évêque : je pense surtout aux situations sociales de précarité. La croissance a repris, on a un peu moins de chômeurs, mais on n’a rien appris, rien prévu à long terme, et si la croissance se remet à baisser, on va renvoyer les gens au chômage. On joue au yoyo avec les hommes. Cela est intolérable pour un évêque qualifié lors de l’ordination de Père des pauvres.

Autre question : avez-vous l’impression à Poitiers qu’on attend de l’évêque des paroles sur les sujets de société ? Réponse : oui, je suis frappé de voir que beaucoup de gens attendent cette parole, en particulier ceux sont brûlés par le souci de construire un monde réellement humain. Mais notre Eglise manque de feu et elle se préoccupe trop souvent de choses secondaires. Dans notre diocèse de Poitiers, le suicide est la deuxième raison de la mort des jeunes. Et il y a des enfants qui deux repas seulement les jours où ils vont à la cantine. Devant ces faits, il est impossible de dormir tranquille et de rester sans rien dire. Monseigneur Gutting, évêque auxiliaire de Spire, que les prêtres de notre secteur connaissent bien, dit de l’évêque de Poitiers qu’il est la “conscience critique” de l’épiscopat français, face à la tyrannie du règne de l’argent et du libéralisme, qu’il cherche à tenir les chrétiens sur le terrain des faits pour qu’on ne se perde pas dans les sphères éthérées d’une spiritualité qui n’a plus rien à faire avec le sérieux avec lequel Dieu, à travers son fils, considère nos questions d’homme.

16ème dimanche année C

Depuis longtemps je cherche à dire une chose qui m’échappe dès que j’essaie de la fixer, une chose toute simple, essentielle, qui est : qu’est-ce qui reste quand il ne reste plus rien de ce que j’espérais ou quand tout s’écroule de ce sur quoi j’avais fondé la vie ? Il reste ceci : qu’entre nous demeure ce qui nous fait humains, sans quoi nous ne serions plus hommes, nous tomberions dans l’abîme non pas du bestial, mais de l’inhumain, dans le monstrueux chaos de terreur et de violence où tout se défait.

Cette mutuelle et primitive reconnaissance de l’autre se vit dans l’ordinaire de la vie, dans ce qu’il y a de plus banal : c’est l’échange dans le travail partagé, dans les gestes simples de la tendresse, dans les conversations peut-être banales avec un voisin âgé où l’un et l’autre sont là, face à face, pour s’entendre, où chacun existe. Cet essentiel suffit parfois dans les situations extrêmes : quelqu’un va mourir du cancer ou de vieillesse, quelqu’un est réduit par l’âge ou un accident à l’hébétude, ou qu’il se trouve noué dans l’angoisse, ou qu’une mère regarde pour la première fois l’enfant qui vient de sortir d’elle. Alors il arrive qu’un presque rien de quelqu’un qu’on croyait noyé dans l’absence signe, d’un mouvement presque invisible, une présence réelle.

Une dame prend place à l’église à côté quelqu’un qui paraît d’un autre monde, égaré, perdu comme on peut l’être dans la démence ou l’Alzheimer. Or, il se tourne vers la dame qui lui dit bonjour, là se passe une scène étonnante : cet homme qui pouvait être taxé de dément répond : bonjour avec un petit clin d’œil complice, qui attestait bien sa présence, comme s’ils étaient de vieilles connaissances. Ce n’est pas grand chose et pourtant c’est énorme, entre cet homme et cette femme s’échangeait ce qui fonde l’humanité. Je me souviens d’un dément à l’hôpital psychiatrique, il venait communier ce jour-là à la messe. Dans un premier temps, il ne savait pas quoi faire de l’hostie que je lui présentais, j’ai pris un peu de temps, puis il a ouvert la main, lentement il a regardé, puis a dit ce mot : Jésus ! Et il a mangé le corps du Christ. J’en étais ému, parce que dans ce simple mot s’est exprimé quelque-chose d’inouï, il avait reconnu dans ce pain un morceau du ciel, la manifestation du Christ lui-même. Ainsi arrive-t-il qu’un presque rien, la lumière d’un visage, la musique d’une voix – un jeune du Sacré-Cœur de Sarreguemines chantait et dansait devant la tour de l’église quand les cloches sonnaient pour les offices - ou une main qui se tend en signe d’amitié, tout d’un coup disent tout, disent la Parole primordiale où se désignent l’origine et la source de toutes choses. Pour percevoir cette présence cette musique divine il faut, comme Marie de l’évangile, s’asseoir aux pieds du Seigneur et l’écouter. Non point que le rôle de Marthe soit moindre, il faut bien que quelqu’un accueille Jésus, le divin voyageur qui parcourt le pays et ne cesse de s’arrêter chez les gens, pour leur offrir des présents divins. Marthe précisément offre l’hospitalité… comme Abraham l’a fait pour les trois visiteurs qui s’arrêtent à sa tente sous le chêne de Mambré, à l’heure la plus chaude du jour. Comme il avait raison des les accueillir, car il se trouve que ces trois personnages que l’icône de Roublev donne de contempler ne sont rien moins que Dieu lui- même qui offre de venir à lui dans le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Et comme il sait les recevoir ! Il invite Sarah à préparer des galettes, tandis que lui-même court au troupeau et prend un veau gras et tendre qu’il fait préparer par un serviteur, du fromage blanc et du lait. Mais il ne suffit pas d’ouvrir la porte et de recevoir, et de faire un tas de choses, il faut encore savoir s’arrêter, prendre son temps et entrer en dialogue, s’asseoir et ne rien faire, seulement écouter. Peut-être l’hôte a-t-il des choses à dire que nous pourrions par inattention ne pas entendre. Alors Marthe et Marie ne sont pas deux personnages distincts, mais les deux pôles de notre âme cherchant chacune à tirer la couverture à soi dès qu’un visiteur s’annonce. Alors pourquoi Marthe qui s’active n’entrerait-elle pas dans le dialogue avec Marie que sait mieux que l’autre ce qui est d’abord indispensable : l’unique nécessaire, l’écoute de l’autre, avant d’entreprendre quoi que ce soit pour lui.

 

 

16ème dimanche ordinaire © 2010-07-

 

Il est intéressant de remarquer où nous mènent les lectures de ce dimanche. Avez-vous entendu ? La première qui raconte la rencontre de trois personnages mystérieux se passe sous le chêne de Mambré. Un chêne connu à l’époque, comme on dit par exemple, le chêne de Reyersviller ou le gros chêne du Bois de Bride près de Château-Voué… Ici et là se trouvent des arbres exceptionnels que beaucoup alentour. Ainsi le chêne de Mambré. Abraham reçoit à son ombrage trois personnages de passage, il les reçoit bien, selon les usages ancestraux : il leur présente l’eau pour qu’ils puissent laver leurs pieds, prépare un repas : galettes de pain, veau gras et tendre, du fromage. On aimerait être avec eux sous l’ombre du grand chêne. Avez-vous remarquez qu’ils sont trois, trois hommes et qu’Abraham s’adresse à eux comme s’il s’agissait d’un seul : « Seigneur, dit-il, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux… » Les trois personnes mystérieusement deviennent un. Les Pères de l’Eglise y ont reconnu comme une préfiguration de la Sainte Trinité. Et Roublev au XIVe siècle l’a si bien compris qu’il en a fait la fameuse icône de la trinité :18

« Les trois personnages entrent à l’intérieur d’un cercle dont le centre est la main du personnage du milieu. Le cercle a toujours été un symbole de sainteté et d’éternité. On ne sait pas où commence le cercle, ni où il finit ; ce qui fait la réalité propre d’un cercle, c’est justement qu’il ne commence pas et ne finit pas ; les points d’un cercle sont toujours en mouvement. L’éternité est une réalité sans commencement et sans fin. Et cette éternité, cette réalité, est très liée à la sainteté, qui est une plénitude absolue. Dieu est le Trois Fois Saint, et le Saints des Saints du Temple de l’Ancien Testament était le lieu où habitait le Trois Fois Saint. Le Trisagion est une vieille prière juive, récitée à toutes les liturgies et offices orthodoxes, qui exprime bien l’essence de la foi chrétienne : Saint Dieu, Saint Fort, Saint Immortel, aie pitié de nous. Une prière que Jésus a certainement récitée lui-même dans ses visites à la synagogue. Toujours dans la Divine Liturgie, après la Préface nous chantons : Saint, Saint, Saint, le Seigneur, Dieu de l’univers (Isaïe 6, 3). Cette sainteté est répétée trois fois pour montrer son absolu, son éternité, sa plénitude. Jésus nous invite à entrer dans cette plénitude divine de la sainteté de Dieu :Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait (Matthieu 5, 48).Le cercle insère les trois personnages de l’icône dans une seule et même réalité. Mais cette réalité unique est trine ; donc chacune des trois personnes est qualifiée de cette sainteté et lorsque nous disons Saint, Saint, Saint, nous pouvons nous référer à la grande sainteté de l’absolu, la sainteté de l’unité de Dieu, mais aussi Saint est le Père, Saint est le Fils, et Saint est l’Esprit. » (Internet sous Icône de la Trinité de Roublev)

Mais arrêtons là. La scène de l’Évangile se passe non plus sous un arbre, mais dans l’intimité d’une maison, celle de Marie et de Marthe, que l’on reconnaît habituellement comme celle des sœurs de Lazare à Béthanie. Jésus, en route vers Jérusalem, s’y arrête avec ses disciples pour un moment de repos et d’échange fraternel. Et l’on voit les deux femmes à l’œuvre : l’une, Marthe, s’occupant de la réception et l’autre, Marie, assise aux pieds de Jésus écoutant sa parole. Ora et labora, c’est-à-dire prie et travaille, la devise des Bénédictins. Ensemble, comme par anticipation, elles annoncent l’idéal monastique, qui est en fait l’idéal de tout chrétien. Prier et servir autrui, être en communion avec la source de notre vie et avec l’humanité entière, découvrir peu à peu que nous sommes tous membres d’une même communauté vaste comme le monde dont le ciment qui nous lie les uns aux autres n’est rien d’autre que la charité, l’amour, Dieu tel qu’il s’est manifesté en Jésus-Christ.

En disant cela, je touche à ce que je pensais vous dire aujourd’hui et que le journal La Croix m’a suggéré dans son édition d’hier. Il parle longuement sur près de six pages de François de Sales, le saint d’Annecy – je vous invite à visiter cette ville, ne fût-ce que sur internet, chef-lieu de la Haute-Savoie avec son lac, le lac d’Annecy, mais je vous invite à la visiter comme le fait le journal en compagnie de François de Sales. Le centre historique, avec la cathédrale et les trois églises, Saint- François de sales, Saint-Maurice et Notre Dame de la Liesse est tout rempli de la présence toujours actuelle du saint, comme aussi et surtout le monastère de l’ordre qu’il a fondée avec la baronne de Chantal, à moins d’une demi-heure à pieds du centre où reposent es restes de François et de Chantal. Il vaudrait la peine que vous lisiez au moins quelques extraits de deux de ses livres L’introduction à la vie dévote et le Traité de l’amour de Dieu qui demeurent aujourd’hui encore des nourritures fortes pour ceux qui cherchent Dieu. Je voudrais vous livrer quelques perles que j’estime comme telles (les premières ne sont pas des citations mot à mot, mais rendues dans notre langage à nous, quatre siècles plus ta rd, Car François écrit, ne l’oublions pas, au début du XVIIe siècle qu’on ne peut qu’admirer si on prend le temps de lire) :

Le bonheur de l’homme ne pourra jamais être dans l’oubli de Dieu

Etre en recherche de sainteté, ce n’est pas prendre une face triste.

Adhérer à la volonté de Dieu jusque dans les plus petites choses du vécu quotidien, c’est découvrir en tout sa présence aimante.

En Dieu il n’y a ni variété ni différence quelconque de perfection, mais il est lui-même une très seule, très simple et très uniquement unique perfection ; car tout ce qui est en lui n’est que lui-même, et toutes les excellences que nous disons être en lui en une si grande diversité, elles y sont en une très simple et très pure unité – ce que François de Sales explique à l’aide du soleil : son apparence et ses couleurs varient au fil des jours, des saisons et de l’état du ciel suivant qu’il y a de la brume ou pas le moindre nuage… En réalité le soleil n’pas mille couleurs, il n’a pour toute couleur que sa très claire et perpétuelle lumière laquelle est invariable (TAD dans La pléiade II, 1 p. 409)

«... Comme éternellement il y a une communication essentielle en Dieu, par laquelle le Père communique toute son infinie et indivisible Divinité au Fils en le produisant, et le Père et le Fils ensemble, produisant le Saint-Esprit lui communiquent aussi leur propre Divinité, de même cette souveraine Douceur fût aussi communiquée si parfaitement hors de soi à une créature, que la nature créée et la Divinité, gardant une chacune leurs propriétés, fussent néanmoins tellement unies ensemble qu'elles ne fussent qu'une même personne. »

Et voici une parabole de François de Sales que j’aime entre toutes ; je terminerai par là :

Chaque être humain est comparable à un "apode", c'est-à-dire à un oiseau possédant de très grandes ailes et de toutes petites pattes: pensons, par exemple, à l’albatros. Lorsqu'un tel oiseau se saisit des mouvements ascendants de l'air et se laisse porter par eux, il vole avec une telle agilité et une si grande majesté que cela semble ne lui demander aucun effort. En revanche, dès qu'il se pose sur le sol, il devient lourdaud, disgracieux, et bien incapable, sans le secours du vent, de prendre son envol. Il a beau agiter ses grandes ailles, il n'en résulte que de ridules bonds en avant. Et plus il fait des efforts frénétiques pour se soulever, plus il est renvoyé à son impuissance. Il en est de même pour chacun de nous, dit François de Sales. Quand nous nous tenons vraiment dans notre élément, nous sommes comme les apodes dans le vent : agiles, heureux, prenant appui sur les courants de vie pour déployer toutes les potentialités inscrites en nous. Or, notre élément, notre écosystème pourrait-on dire, c'est l'amour, car Dieu qui nous a créés à son image est Amour (1 Jn 4,8). Au contraire, quand nous quittons notre élément, quand nous refusons de tendre nos ailes au vent de l'amour, c'est-à-dire quand nous développons des connivences avec ce qui vient seulement de la terre, alors, comme les apodes sur le sable mouvant, nous nous enlisons. En raison de toute la misère de notre monde, nous sommes tous des anodes cloués au sol, insiste François de Sales. C'est pourquoi nous avons beau agiter vigoureusement nos ailes, si le vent de Dieu ne souffle pas, nous sommes condamnés à n'exécuter que d'infructueux "essais d'amour" ! En d'autres termes, la reconquête de notre autonomie dépend de la bonté du Créateur et de notre abandon à la force de Dieu. Nous pouvons penser que notre frère Gilbert est à présent totalement abandonnée à l'énergie divine!

 

 

 

 

Partager cette page
Repost0